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L’Ikebana ou l’Art de faire vivre les Fleurs

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Ikebana
Ikebana
L’ikebana trouve ses origines bien avant qu’il soit nommé ainsi au 16ème siècle. En effet, cet art floral arrive sur le sol japonais avec le shintoïsme et le bouddhisme au 6ème siècle. Pour étoffer ce propos, il est utile de faire un retour des fondements du shinto. A la base, le shinto met en avant « le culte de la nature, le respect des ancêtres, le sentiment de communion avec les forces de l’univers et les générations passées ». Ainsi, les fleurs ne sont pas seulement des objets vivants presque divins, mais également une « passerelle » qui permet la communication entre les dieux et les hommes. D’ailleurs, Bouddha lui-même est assis symboliquement sur une fleur de lotus, symbole de pureté et de perfection.


Dès son introduction au Japon, l’art floral est réservé aux moines, puisque la vie monacale est directement liée aux activités artistiques. L’ikebana à cette époque, ne vise pas à atteindre un idéal d’esthétisme, mais a des préceptes religieux comme :
– l’harmonie entre l’Homme et la nature;
– l’idée d’éphémère et de renaissance;
– le principe masculin/féminin;
– le concept confucéen de trinité.

Les samouraïs pratiquent eux aussi l’art des fleurs. L’importance de cette pratique pour les samouraïs, se trouve dans la recherche de calme et de sérénité, « un moment de méditation purifiant l’âme ».



Quelques siècles plus tard, à l’ère Kamakura (1185-1333) et Muromachi (1333-1573), l’art floral s’introduit de plus en plus dans les demeures seigneuriales. Par conséquent, les premières règles de l’ikebana font leur apparition. Dans les palais, les anciens maîtres d’art floral comme Sen no Rikyu, sous la gouverne du seigneur Hideyoshi, sont aussi des maîtres de thé. Rikyu a écrit de nombreux poèmes à ce sujet :

« Sur la droite du vase à l’élan rectiligne de la quenouille,

se mariaient les courbes pures des feuilles d’iris ;

Une fleur était épanouie ;
l
les deux autres, des boutons en train de s’ouvrir.

L’ensemble emplit l’espace de la minuscule alcôve. »


Par la suite, deux « manuels d’art floral » sont produits : le « Sen Den Sho », et le « Senno Kunden ». Le terme précis d’ « Ikebana » fait enfin son apparition au Japon, en 1551 précisément. Ces deux documents datant du 15ème et du 16ème siècle, mettent en avant cette envie permanente de transmission du savoir, du maître à l’élève.



Pour conclure sur les origines de l’intégration de l’art floral au pays du soleil levant, l’ère Meiji (1868-1912) en sera la consécration. En effet, les classes bourgeoises commencent à porter un intérêt tout particulier à l’ikebana. Une multitude d’écoles ouvrent leurs portes, et les jeunes filles se voient imposer l’apprentissage de l’ikebana, de la même manière qu’elles se doivent d’apprendre la danse et la cérémonie du thé. L’ikebana commence à faire partie intégrante de la culture japonaise. Il n’est pas rare de voir sur les chevets des ouvrages de poèmes consacrés à l’art floral qu’est l’ikebana. Okakura Kakuzô (1863-1913), considéré comme un grand classique, a permis grâce à ses écrits de « jeter un pont entre l’Orient et l’Occident ». Ces livres peuvent encore aujourd’hui éclairer notre modernité sur les traditions et pensées japonaises.

Selon Kakuzo : « que l’on fasse son premier ou son centième bouquet, l’émotion est la même. Car chaque branche, chaque fleur est unique ».

« Dans la grise et tremblante lumière

d’une aube de printemps, n’avez-vous jamais senti,

en entendant murmurer les oiseaux dans les arbres,

avec une cadence mystérieuse, que ce ne pouvait être

que des fleurs qu’ils parlaient entre eux. »
(Extrait du « Livre du thé », 1906, de Kakuzo)



Des écoles se sont donc créées, avec pour chacune des trois principales, des philosophies, des styles et des règles qui sont enseignés de façon très différente.



Ikebana
Ikebana




Caractéristiques des 3 écoles :



1.L’école « Ikenobo » :

L’histoire japonaise raconte que « cette école a vu le jour au 6ème siècle. Le prêtre Ono No Imoko approfondit son étude de la voie des fleurs en tant qu’offrande religieuse. Il est le gardien du temple bouddhiste Rokkaku Do, à Kyôto. A côté de ce temple, la cabane des prêtres (bo), près d’un étang (ike), a donné son nom aux futures générations de prêtres gardiens, « Ike no bo ». Les prêtres « Ikenobo » perpétuent la tradition d’arrangement floral et vont être à l’origine des nouveaux styles pendant plusieurs siècles. Néanmoins, l’école Ikenobo ne devient officielle qu’au 15ème siècle, lorsque le moine Daikyoku décrit dans son manuscrit les arrangements d’Ikenobo Senkei, un des premiers maîtres du style rikka pendant l’ère Muromachi. L’école Ikenobo est encore aujourd’hui basée à Kyôto, à côté du temple Rokkaku Do, considéré comme le berceau de l’ikebana. Elle constitue la plus ancienne école d’art floral au Japon ».

Trois styles sont enseignés à l’école Ikenobo :
Le style « rikka » traditionnel suit des règles très strictes, et n’est que rarement enseigné dans les autres écoles. Ce modèle a été développé comme « expression bouddhiste de la beauté de la nature, avec sept branches représentant des collines, des chutes d’eau, vallées, disposées d’une manière formalisée ».
Le style « shôka » traditionnel est issu de l’ikebana plus simple du 18ème siècle. Les caractères essentiels de la plante sont représentés avec simplicité et beauté, dans « un ensemble exprimant le renouvellement continuel de la vie ».
Le style « libre » respecte « les principes de base de la nature, mais permet une approche plus libre qui repose sur l’intuition, la sensibilité et l’appréciation personnelle ».



2.L’école « Ohara » :

Fondée en 1895 par le sculpteur Unshin Ohara, cette école s’imprègne des nouvelles influences occidentales. Il crée un style à part entière, le « Moribana » (« fleurs amoncelées »). De plus, il invente des vases plats et peu profonds, pour mettre en valeur ses arrangements.

L’école Ohara enseigne plusieurs formes d’ikebana :
Le style « hana simple » (arrangement de style fondamental vertical ou incliné)
Le style « nageire ou heika » (arrangement de style vertical, incliné ou en cascade. Ils se réalisent dans des vases en hauteur.)
Le style « moribana » (arrangement de style droit, incliné ou se reflétant dans l’eau. Les fleurs sont empilées dans des récipients plats.)
Le style « hanamai » (il n’y a pas de règles concernant la taille, l’angle ou la direction des plantes. Cet ikebana permet d’exprimer la beauté tridimensionnelle des plantes.)



3.L’école « Sogetsu » :

Cette école a été fondée en 1927 par Sofu Teshigahara, fils d’un artiste d’ikebana.

Son désir est de faire de l’ikebana un art créatif, « dans lequel les artistes pourront exprimer leur originalité et leur imagination ». L’art moderne occidental est sa principale influence. Sofu est à la tête du mouvement d’avant-garde de l’ikebana (zen eibana) qui rompt avec l’ikebana classique, en y introduisant toutes sortes de nouveaux matériaux, tels que le plastique, le plâtre et l’acier.
Il met donc en avant un style plus libre où l’ikebana est composé « n’importe quand, n’importe où, par n’importe qui, avec n’importe quel type de matériaux ». L’ikebana Sogetsu est conçu pour convenir à tout type d’endroits, afin d’y enrichir leur atmosphère.



Dans tous les cas, chaque fait et geste dans la fabrication d’un ikebana a une signification, autant que les fleurs utilisées. Petite démonstration !
– Le bourgeon et le bouton symbolisent l’avenir, le futur.
– La fleur ouverte évoque l’épanouissement.
– Le lichen fait référence au passé.
– Les fleurs de pêcher représentent la féminité.
– Le chrysanthème blanc évoque rivières et ruisseaux.
– Le Bambou symbolise la prospérité.
– Les branches de pin symbolisent les rochers et les pierres.
– L’asymétrie renvoie vers l’idée de mouvement et de vie.



Malgré son état de modernisme avancé, le Japon tient fondamentalement à ses traditions ancestrales. Pour rien au monde, les japonais ne souhaiteraient que leur pays perde ses valeurs d’origine. Peut-être que pour nous occidentaux, le fait de pratiquer des rituels vieux comme le monde apparaît comme dépassé ou même démodé, mais pour les japonais c’est sacré ! La preuve étant que dans la société japonaise contemporaine, l’enseignement de l’ikebana se fait dès le plus jeune âge, à l’école. Est-ce un instinct de conservation, une façon de protéger les différents arts traditionnels ancrés dans la culture japonaise depuis des siècles et des siècles, ou bien une envie d’implanter la culture japonaise à l’étranger ? Il apparaît clairement que ces trois aspects se rejoignent, et se confondent presque. C’est un mélange savant et subtil dans lequel se plait la société nippone, et dont elle n’est pas prête de se débarrasser. Un exemple flagrant corrobore cette façon de cultiver l’art floral à travers les siècles. Pratiquer l’ikebana pour les jeunes filles japonaises désireuses de se marier, c’est un atout non négligeable. C’est une façon de montrer à ses compères que vous ne reniez aucunement les traditions de votre pays, malgré une modernité affichée et accélérée. Mais surtout c’est augmenter ses chances de trouver un mari …



Tiphaine Bellambe pour www.buddhachannel.tv




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