» C’était au début du mois de juin, il ne faisait pas encore trop chaud sur ce rivage du Nord de l’Afrique. Au gré de l’humeur des hommes et des populations, les combats et la terreur avaient marqué une pause.
La paix était presque tangible, du moins le croyions nous naïvement et nous avions décidé d’aller sur une plage que nous aimions bien mais que, sécurité élémentaire oblige, nous n’avions plus fréquentée depuis quelques années. La journée était splendide sur cette immense étendue de sable blond et fin, bordée de roseaux, avec des sources d’eau fraîche dans les talus. Le ciel était d’un bleu intense, comme seule l’Afrique peut en offrir et sa couleur rejoignait celle de la mer au point qu’on avait du mal à distinguer l’horizon. Tout respirait le calme. La Méditerranée était tranquille et seules, quelques vaguelettes battaient le sable du rivage. Ma mère et ma grande soeur somnolaient sous leur parasol et mon père, qui venait de mettre au frais de l’eau et une bouteille de vin rosé dans le sable humide, marchait le long de la plage, les mains derrière le dos à la recherche de coquillages et de haricots de mer. Je l’avais rejoint, paisible et heureux de cet instant de bonheur simple vécu intensément dans l’instant, sans même nous en rendre compte. Il y avait peu de monde et le temps semblait arrêté.
Seule, une barque de pêche rentrait doucement du large et se rapprochait peu à peu du rivage au rythme régulier de son petit moteur. Plus de quarante ans après, j’entends encore ce bruit qui, loin d’être incongru m’avait au contraire fait prendre pleine conscience de la paix du moment et amplifié cette sensation rare. »
Pierre Suchet