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La Corée, Zen et High-tech

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Séoul depuis les montagnes qui surplombent le quartier de Muak-Dong, au nord de la ville.
Séoul depuis les montagnes qui surplombent le quartier de Muak-Dong, au nord de la ville.
ASIE. Après des siècles d’isolement, la Corée du Sud s’ouvre timidement au monde. Voyage sur les ondes du «chi», l’énergie vitale qui parcourt le Pays du Matin calme.

«Mais ce train à grande vitesse, il n’était pas là l’année passée. Vous allez voir, de toute façon, ici, tout va vite. Très vite!» Un petit matin, à l’aéroport ultramoderne de Séoul. La Coréenne émigrée ne peut s’empêcher d’arrondir sa bouche devant les exploits technologiques de son pays, où elle retourne pourtant régulièrement. «Ppalli, ppalli!» (vite, vite!) C’est l’une des premières expressions que le voyageur étranger apprendra au Pays du Matin calme. Qui n’a plus de calme que le nom, car tout se fait à la seconde.

Un des premiers contacts avec Séoul, quand on y débarque, ce sont les images du labyrinthe de routes, ponts et embranchements qui enlacent et étourdissent quelque 12 millions d’habitants. Pourtant, en s’y enfonçant, on découvre une ville qui reste étonnamment vivable et un ordre à faire pâlir la bonne réputation helvétique.

Après avoir appris à jongler avec les lignes de métro et les innombrables sorties des stations – où les haltes sont annoncées par une musique de Mozart – on peut se lancer à la conquête de la capitale. Pour découvrir un mélange surprenant de modernité high-tech et culture millénaire, révélée au détour d’une ruelle ou dissimulée dans la pénombre d’un petit temple. Des trésors que l’isolement a contribué à préserver. Le «royaume ermite» n’a-t-il pas été fermé au monde jusqu’aux Jeux olympiques de 1988? Ce qui ne l’a pas empêché de rattraper son retard en un temps record et de devenir l’une des puissances mondiales les plus connectées. Dans la rue, le train, le métro et les hôpitaux, Internet est omniprésent et les moins de 30 ans vivent le nez plongé dans le dernier joujou électronique. Le mieux? Prendre toute cette modernité à contre-pied, se laisser guider par le chi, l’énergie invisible qui sillonne le Pays du Matin calme, comme si c’était lui, le responsable de la toute neuve «réussite» de la Corée.

Les traditions coréennes enseignent que la terre est parcourue par le chi et que chaque objet de la nature est habité par un esprit. Surtout les montagnes. Ces croyances ancestrales sont encore vivaces aujourd’hui et beaucoup de Coréens passent leur peu de temps libre à essayer de renforcer leur énergie vitale. Même Séoul a été construite selon ces principes.

Trois palais royaux se dressent en pleine ville, résistant vaillamment à l’assaut des gratte-ciel après avoir bravé des hordes d’envahisseurs pendant des siècles. Bâtiments d’apparat aux couleurs vives et pagodes aux toits ondulés se perdent dans des parcs parsemés d’étangs, gardés par des arbres centenaires. Ici, le temps et l’espace brouillent leurs codes. Les Coréens visitent ces vestiges avec une dévotion presque religieuse, semblant chercher les racines égarées dans le brusque passage qu’a connu leur pays du Moyen Age au troisième millénaire.

Certaines parties de Séoul d’ailleurs, ne cessent de ramener inlassablement le passant au Moyen Age. Au Nord de la ville se dresse un étonnant quartier, Muak-dong, surplombé par une montagne sacrée où des sanctuaires chamanistes se cachent dans des temples bouddhistes. En apparence du moins. Aujourd’hui encore, des chamans viennent parfois y pratiquer un exorcisme, le gut. «Contactez mon professeur de chamanisme. Il a étudié à l’Université de Bâle et pourra vous faire assister à une cérémonie», suggère ici un Coréen qui planche sur la religion de ses ancêtres. Plus loin, des jeunes apportent leurs offrandes à la source de la Terre Mère, lovée au cœur de cette mystérieuse montagne toute en rondeurs. Dévotion surannée. Tenues branchées, coiffures fluo. On est bien en Corée.

«Ma grand-mère était une voyante, mais elle ne voulait plus pratiquer le gut», raconte Bae So Hee. «Elle a eu le courage d’arrêter, mais à 60 ans, elle est décédée d’une maladie inexplicable. Notre famille, qui était catholique, a décidé de se convertir au bouddhisme, car le catholicisme interdit les exorcismes et c’est peut-être pour cela que ma grand-mère est morte.» Bae So Hee termine la visite de Haeinsa, le plus grand temple bouddhiste de Corée. Perdu dans la montagne et coupé du monde jusqu’aux années 90, le monument a gardé intacte son authenticité unique, que le visiteur ressent tout particulièrement en ce jour de templestay, cette retraite qui permet de vivre presque comme les moines, selon les préceptes rigides de la secte zen. Ce genre de séjours reste très couru par les Coréens et les rares touristes, car ils offrent un havre de paix bienvenu dans la vie frénétique des citadins qui travaillent, pour la plupart, six jours sur sept et n’ont que deux semaines de vacances par an.

Dès l’arrivée, il faut enfiler pantalon et tee-shirt gris, couleur des robes monacales. Puis, l’initiation aux règles du repas monastique, soit une bonne demi-heure pour apprendre l’emplacement des bols et baguettes, la façon de déplier et nouer la serviette et de laver sa tasse. A 18h, repas en 24 minutes exactement, en silence et selon d’autres règles bien précises. Quand vient l’heure du coucher, hommes et femmes dorment séparément, mais dans une pièce unique et à même le sol. A 21h, extinction des lumières et, pour ceux qui y arrivent, brève nuit de sommeil. A 3h du matin, réveil. «L’énergie sexuelle est à son apogée entre 3h et 6h et il faut méditer pour ne pas tomber en tentation», explique, sans rire, Hae-In, un moine qui a passé quelques années aux Etats-Unis. Il nous avoue que cela lui a quand même pris trois ans pour s’habituer à la discipline de Haeinsa.

Après avoir écouté le gong et le tambour retentir dans la montagne, les pèlerins se rendent au temple pour prier avec les moines. Un rêve éveillé à la lumière des bougies et au milieu des volutes d’encens. Suivent les 108 prosternations devant Bouddha et la méditation en position du lotus face au soleil levant. Un moment de paix infini bercé par le chant des oiseaux. «Si vous entendez les oiseaux, c’est que vous n’êtes pas concentrés», avertit le moine, qui se promène un bâton à la main, prêt à taper sur l’épaule de ceux qui s’endormiraient. Tant pis pour la musique ailée.

«Toutes les deux semaines, je quitte Séoul pour aller à la montagne. Je m’oxygène, je décompresse et je fais remonter mon chi. Mes parents vivent à la campagne et ils ont l’air heureux, tandis que mes cousins, qui habitent dans la capitale et gagnent beaucoup d’argent, sont toujours stressés. Je pense que mes parents puisent leur chi dans la nature», confie Seung-Han Lee, dans le train express qui fonce vers le Sud.

Lee est ingénieur chez General Motors et il a 40 ans. Pardon, 41. Car les Coréens comptent le temps passé dans le ventre de leur mère et affichent déjà un an à la naissance.

Les montagnes, qui recouvrent 70% du pays, sont sacrées pour les Coréens. Le dimanche, hommes, femmes et enfants de tout âge partent harnachés à la conquête de ces sommets aux formes enchanteresses, où se nichent des autels et des temples bouddhistes. Pour se prélasser ensuite dans les innombrables sources chaudes qui jaillissent au milieu des forêts. Les montagnes les plus courues? Celles qui ont le chi le plus élevé, bien entendu.


Par Isolda Agazzi

Source : Infosud




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