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Méditation en Thailande — par Jean Marcel

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Expatrié depuis de nombreuses années, l’écrivain québécois Jean Marcel fait le récit de son expérience au sein d’un centre de méditation Dharma. Retour sur une pratique ancestrale.

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On se souviendra peut-être d’un petit article dans Gavroche que je commis l’année dernière à la suite d’un stage de méditation à Suan Mok, dans la province de Surat Thani. Eh bien, j’ai récidivé cette année, mais en changeant de centre. Suan Mok est unique depuis 1932, n’a pas d’autre copie en Thaïlande (même si on prévoit d’ouvrir bientôt un second centre à Koh Samui). Sans oublier qu’à la rigueur, tout temple est un centre de médiation. Mais les centres Dhamma sont partout dans le monde, dans toutes les langues, sous tous les cieux. Des centaines de centres dont l’un, en Inde, comprend une salle de méditation de cinq mille personnes. Il convient d’en faire une brève histoire.

Vision profonde

Le Bouddha, qui a tout de même passé les quarante-cinq dernières années de sa vie publique à n’enseigner que la méditation, n’a laissé, dans le Canon qui recueille par écrit son enseignement oral, qu’un seul long discours relatif à ce sujet. Comme tout texte, il est sujet à interprétation, sur un point ou sur l’autre — ce que n’a pas manqué de faire la tradition, qui remonte, elle, à plus de deux millénaires et demi. Mais l’on sait dans tout monde bouddhiste que c’est en Birmanie (après la disparition du bouddhisme en Inde même où il était né) que l’on a conservé la tradition la plus pure de la méditation, et cela jusqu’à nos jours. Tradition réputée sans discontinuité depuis que la Birmanie (premier pays étranger à bénéficier de l’enseignement du bouddhisme) a reçu la doctrine par des missionnaires envoyés par l’empereur Asoka. C’est donc là que S.N. Goenka, Birman d’origine indienne et hindouiste, homme d’affaires célèbre dès son tout jeune âge, a découvert dans les années 60, par un laïc (Sayagyi U Ba Khin) qui la détenait de la longue tradition monastique, la pratique de la méditation dite Vipassana (en pâli : vision profonde). Goenka fit pendant quinze ans son initiation sous la direction de ce maître laïc, qui lui confia, en raison de sa notoriété mondiale, la mission de répandre cette « technique spirituelle » dans le monde, et plus particulièrement de la réintroduire dans le pays de ses lointaines origines, l’Inde. Il y fut, y resta et y est toujours dans la sagesse de ses 84 ans.

Stages pour étrangers

Il y a en Thaïlande même cinq centres de stage Vipassana en activité : Prachinburi, Khon Kaen, Pitsanulok, Minburi (Bangkok), Kanchanaburi et bientôt Lampang. Je procéderai, pour en décrire les activités, par comparaison avec ce que j’ai connu l’an dernier à Suan Mok, qui pratique aussi Vipassana mais avec des variantes de techniques. La première différence est que les stages de Suan Mok sont réservés, dans la première quinzaine du mois, aux étrangers, dans la seconde, aux Thaïlandais – mais c’est affaire de langue. A Pitsanulok, la centaine de méditants comptait trente hommes (dont quatre étrangers – deux résidents et deux venus spécialement de Hollande et de Pologne) pour 70 femmes (dont cinq étrangères). Sauf en salle de méditation, les sexes sont séparés, contrairement à Suan Mok où l’on mangeait dans le même réfectoire et où les activités de promenade se faisaient dans les mêmes lieux. Il est remarquable que dans l’un et l’autre centre il y a beaucoup de jeunes, surtout des Thaïlandais à Pitsanulok. Mais la grande différence est dans l’environnement : alors qu’à Suan Mok le décor de la végétation est très aménagé et soigné, avec salle de méditation donnant de tous côtés sur la nature, à Pitsanulok, en raison de l’accent mis exclusivement sur le retrait intérieur, la salle est fermée de tous côtés, et l’on demande aux méditants de ne pas pratiquer devant la nature… On aménage même sur les côtés de cette salle des petites cellules fermées où l’on peut méditer à certaines heures dans la plus grande solitude (mais cela ne se fait qu’au bout de quelques jours quand on est sur sa lancée méditative).

Pour éviter que l’on confonde la Nature (Dhamma = Loi de la réalité) et la nature (Thammachat = végétation), Goenka a donc choisi de dissimuler ce que Baudelaire appelait ironiquement « les légumes sacrés »… Le mérite de Suan Mok en cette matière donne lieu parfois à des scènes cocasses, telles ces petites Américaines, attifées à l’indienne, qui se pâmaient devant les grenouilles bleues des étangs, ou la forme des feuilles des grands lotus. Pour éviter ce genre d’atermoiement, à Pitsanulok, votre seul étang est votre puits intérieur…dix heures par jour dans la salle de méditation, avec à peine de brèves directives de respiration données le matin pour toute la journée, une seule conférence de Goenka sur écran le soir. A Suan Mok, les séances de méditation étaient le plus souvent suivies (et parfois interrompues) par les Dhamma talks (sermons bouddhistes), donnés, il est vrai, à Surat Thani, par un moine d’origine britannique assez génial…A Pitsanulok, on insiste sur la présence de fidèles de toutes les religions (y compris des prêtres catholiques) et l’institution se dit non-confessionnelle. La méditation est une activité neutre, libre à chacun ensuite, s’il y a toujours lieu, de la combler avec le culte qui lui convient, y compris celui de la laïcité athée.

Respect des règles

Dans les centres Dhamma et partout dans le monde, les discours et directives sont donnés par Goenka lui-même sur cd (en version idoine pour chaque lieu) avec toutefois la présence d’un maître de méditation formé par lui et que l’on peut (et doit même) consulter – comme pour bien s’assurer que la « technique » sera enseignée correctement et ne déviera pas d’un souffle. A quelques reprises, le Maître Goenka (qui n’a rien du gourou traditionnel indien) fait entendre ses graves et touchantes psalmodies de soutras du Canon bouddhiste, mais davantage pour leurs effets incantatoires intériorisés que pour leurs vertus verbales ou éducatives. Comment décrire ce qu’on y apprend, sinon que l’on en sort plein d’une nouvelle sagesse. Le monde dans lequel nous vivons n’en a que trop besoin. Et que nous n’avons pas de plus grand signe d’amitié à donner à nos amis en sortant que de leur suggérer d’y rentrer à leur tour un jour.

Retour à la réalité…

L’avant-dernier jour, comme à Suan Mok d’ailleurs, pour nous permettre de replonger avec douceur dans le monde laissé pendant dix jours derrière soi, le silence est rompu pendant quelques heures et l’on peut entrer en contact avec des voisins que l‘on a côtoyés pendant ces jours, sans même souvent les regarder (à Suan Mok on peut se sourire, pas chez Goenka où tout regard ne peut être jeté que sur l’intérieur de soi). J’eus la surprise de constater ainsi que des gens dispersés aux quatre coins de la salle se trouvaient être de la même famille : le père, la mère, les enfants et la grand-mère de 80 ans, qui y venaient deux fois par an. Le père était chauffeur de taxi à Pattaya. A quand votre tour ?


Source: Gavroche Thailande




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