Cloche, tambour, bracelets, statuettes de bronze ; perles en cornaline et agate ; tête de Bouddha, linga – symbole de Shiva, le dieu hindou -, linteaux, fragments de bas-reliefs ciselés et stèles gravées dans le grès ; divinités féminines aux seins ronds comme des pommes, objets rituels, statue de bois doré… Au total, 46 catégories d’objets, identifiés par leur taille et des photos, composent la première « Liste rouge des antiquités cambodgiennes en péril » dressée et diffusée, fin juin, sur Internet par le Conseil international des musées (ICOM).
« Il était temps, l’ICOM est sur les dents », souffle Stanislas Tarnowski, directeur du programme ICOM pour le Cambodge. Ce cri d’alarme sonne comme un cri du coeur : « La situation est urgente. Depuis des années, on cherche des soutiens. Les choses sont encore graves, les premières portes de sortie du trafic restent les pays frontaliers dont la situation est instable. » En dépit des mesures prises par le gouvernement cambodgien pour protéger l’héritage culturel des Khmers de plus de deux millénaires, le pillage généralisé et la destruction des sites archéologiques se poursuivent dans tout le pays.
Pour l’heure, seul le périmètre des temples principaux d’Angkor (Angkor Vat, Bayon, Baphuon, Preah Khan, Ta -Prohm, etc.), inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992, est protégé, soit 230 kilomètres carrés. Les vestiges angkoriens enfouis dans la forêt couvrent une superficie bien plus vaste.
De l’apogée de l’empire khmer (du IXe au XIIIe siècle), il ne reste que les mausolées en grès des rois, mais aussi quantité de plus modestes constructions. Les cités royales elles-mêmes, comme les palais en bois, ont été réduits en poussière par les termites.
Hormis à Angkor, la lutte contre les vols est loin d’être efficace. « A ce jour, très peu de recherches ont été menées sur le passé du Cambodge, indique l’ICOM avec sa « Liste rouge », lequel reste très peu documenté. Le pillage de sites, toutes périodes de l’histoire cambodgienne confondues – il en existe des milliers dans la jungle -, prive le monde de la possibilité de comprendre les origines exceptionnelles de la civilisation khmère et son évolution. »
Bertrand Porte, ingénieur d’étude à l’Ecole française d’Extrême- Orient (EFEO), basé à Phnom Penh, précise que, « ces dernières années, ce sont les nécropoles protohistoriques qui ont été très pillées ». Notamment celle de Phum Snay, à la frontière thaïlandaise, « où les sépultures sont d’une grande richesse : la tradition était d’enterrer les morts avec leurs bijoux de pierres précieuses et semi-précieuses. C’était « l’empire de l’or » », note Tan Theany, secrétaire générale de la Commission nationale du Cambodge pour l’Unesco. Ajoutant : « Les objets et monnaies anciennes sont en vente sur les marchés, au su et au vu de tous. »
La population n’a pas idée de leur valeur patrimoniale ni de l’interdiction d’en faire commerce. « Les provinces ont très peu de moyens pour former des experts et informatiser les inventaires », insiste M. Porte. Sans photographies ni description exacte de l’objet, impossible d’en signaler efficacement la disparition.
Ce qui explique qu’en 2009 seuls deux vols – statues de Bouddha en grès – aient été déclarés à Interpol qui tient, pour le Cambodge – l’un de ses 188 pays membres -, l’état des lieux des objets volés, photos à l’appui. Cette base de données, baptisée WAO, est disponible depuis 2009 sur Internet. Une avancée notoire pour Karl Heinz Kind, coordinateur de l’unité oeuvres d’art d’Interpol : « Jusque-là, n’existait pour le Cambodge que la « Liste des 100 objets disparus » publiée par l’EFEO, réactualisée en 1997, et dont seules dix pièces ont été retrouvées. »
Les vols récents n’ont pas l’impact médiatique de la razzia spectaculaire de 1999 sur le temple de Banteay Chmar, à l’est d’Angkor, où cinquante mètres carrés de bas-reliefs avaient été découpés et embarqués en camions à travers la jungle jusqu’en Thaïlande où, à une centaine de kilomètres de la frontière, ils furent interceptés. Puis restitués au Cambodge. L’objectif de cette première « Liste rouge des antiquités cambodgiennes en péril » de l’ICOM, qui s’adresse aux collectionneurs, aux musées, aux marchands d’art, aux douanes, comme à la police, est d’informer la population autant que d’en attiser la vigilance.
Un outil précieux, aussi, alors que le trafic illicite des objets d’art se réorganiserait autour du port franc de Singapour situé sur l’aéroport et qui n’obéit pas aux contraintes que se sont imposées les Suisses, dont celle de déclarer l’origine et la nature des objets déposés. Les deux plaques tournantes connues, la Thaïlande et la Suisse, pays qui, par ailleurs, n’ont toujours pas signé la convention de l’Unesco de 1970, seraient ainsi moins attirantes.
Source: Le Monde