KAREN ARMSTRONG : « LA RELIGION EST INHÉRENTE A L’HUMANITÉ » [[Traduit de l’Anglais par Hélène LE, pour www.buddhachannel.tv ]]
La religion et la spiritualité sont des sujets que beaucoup d’intellectuels aussi bien en Orient qu’en Occident abordent avec précaution, si ça n’est pas du tout. Ce qui n’est pas le cas de Karen Armstrong. La spécialiste britannique y porte un intérêt authentique et a une grande passion pour l’étude, l’écriture et les conférences touchant à tout engagement de l’homme à découvrir l’ultime.
Invitée récemment au Pakistan dans le cadre d’une tournée de conférence célébrant le jubilé dorée de l’ascension du Prince Karim Aga Khan à l’imamat Ismail, Mlle Armstrong a consacré quelques minutes à Dawn en dépit d’un emploi du temps chargé d’entretiens et de conférence avec les médias. Voici des extraits de cette conversation.
– Q : Vous vous êtes décrite comme une « monothéiste freelance ». Pouvez vous nous donner des explications ?
A : J’ai dit cela un jour avec désinvolture et çà me poursuit depuis. Ce que je voulais dire à ce moment, c’est que je me suis nourrie des trois religions d’Abraham – le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam. Je ne considère aucune d’elle comme étant supérieure à l’autre. Mais depuis lors, j’ai étendu mon intérêt et mon appréciation à des croyances qui ne sont pas centrées sur Dieu, le Bouddhisme par exemple. J’ai écrit sur le Bouddha. Dans mon bouquin The Great Transformation j’ai inclus les religions orientales, non théistes de notre point de vue.
– Q : Mais trouve t-on des traces de monothéisme dans le Bouddhisme ?
A : Non, parce que les Bouddhistes n’aiment pas l’idée de Dieu pour l’expression de l’ultime. Ils n’ont pas l’idée d’un créateur. Pour eux, il est trop limitant de se référer à Dieu car nous parlons souvent de Dieu d’une manière trop personnalisée. En fait, les Musulmans le font moins que les Juifs ou les Chrétiens. Le Dieu du Coran est bien plus transcendant, moins anthropomorphique que le Dieu de la Bible, ou le Dieu incarné dans le Christianisme. Les Bouddhistes pensent que parler de Dieu est limitant si l’on veut atteindre le Nirvana, qui va bien au delà de tous les concepts humains.
– Q : Vous avez reçu quelques griefs pour votre biographie du Saint Prophète (PBUH). Quelques critiques l’ont qualifié de révisionniste et d’erroné. Que répondez vous à cela ?
A : Je ne pense pas qu’il soit particulièrement révisionniste. Je pense qu’il s’aligne sur les dernières recherches. Je ne sais pas qui sont ces critiques. Je ne lis jamais les articles. Ce que je voulais, c’est montrer la grandeur de la vie du Prophète (PBUH).
– Q : Les trois fois issues d’Abraham, en plus de l’Hindouisme et du Bouddhisme, attendent un sauveur qui établira la paix et la justice sur terre. Est-ce que tous attendent la même personne ?
A : Je pense que c’est symbolique. Tous les Musulmans ne sont pas dans l’attente d’un sauveur. Je ne pense pas que ce soit particulièrement fort dans la tradition sunnite. Les Chrétiens ont eu leur sauveur en Jésus. L’idée messianique dans le Judaïsme n’en est vraiment qu’une part mineure. Je pense donc que l’idée d’un sauveur est plus une manière de symboliser l’attente de temps meilleurs, et de penser qu’il doit y avoir un moyen de sortir de l’impasse présente. Mais les théories apocalyptiques sont quelque peu dangereuses en ce qu’elles peuvent souvent être assez vindicatives à l’encontre des personnes qui appartiennent à d’autres traditions. Cela semble trop antagoniste pour la religion.
“Je pense que le désir de vivre dans la transcendance est une caractéristique humaine.”
– Q : Est-ce que les gens sont religieux par essence ?
A : Oui. Je pense que le désir de vivre dans la transcendance est une caractéristique humaine. Aussitôt que l’être humain est sorti de sa caverne, il a commencé à créer les religions et les travaux artistiques dans le but d’exprimer la transcendance de la vie. Nous sommes aussi des créatures qui recherchons un sens à notre vie. Si nous n’en avons pas, nous sombrons facilement dans le désespoir. Nous sommes des animaux uniques dans ce respect.
Vous ne verrez pas des chats et des chiens se lamentant sur leur condition féline et canine ou s’inquiétant de l’engagement des chiens et chats dans d’autres parties du monde ou dans les vies futures. Mais nous les êtres humains, nous posons ce genre de questions; « pourquoi ce genre de choses arrive ?». Un chien, lorsqu’il est malade, se laisse aller. Vous ne le verrez pas se demander « pourquoi moi » ou « qu’est-il arrivé ? ». C’est une totale acceptation. Nous avons la capacité de regarder en arrière et en avant. Nous devons vivre avec notre propre mortalité, ce qui nous est pénible.
C’est aussi une caractéristique de l’esprit humain d’avoir des idées et expériences qui vont bien au delà de ce qui nous est accessible ou compréhensible. Le monde a toujours été mystérieux pour nous, et il continue de l’être, malgré l’avancement de la science moderne. Pour toutes ces raisons, la religion est inhérente à l’humanité. Ce qui ne signifie pas que des idées religieuses ou des symboles particuliers soient inhérents à l’humanité. Cela change souvent avec le temps.
– Q : L’athéisme n’est donc pas en phase avec la nature humaine ?
A : L’athéisme moderne est une expérimentation moderne, une condition moderne. Le laïcisme d’Europe de l’Ouest – pas d’Amérique, qui est un pays très religieux – est nouveau, je pense, dans l’histoire de l’humanité. Je pense qu’il vient largement comme un résultat de notre modernité parce que depuis le 17ème siècle, les Chrétiens écrivent sur Dieu d’une manière tellement rationnelle en Occident, qu’ils en ont rendu Dieu incroyable.
– Q : Vous avez dit que le fondamentalisme était un produit de l’âge moderne. Est-ce que son antidote réside dans la religion ou loin d’elle ?
A : Le fondamentalisme est un phénomène complexe. Ce n’est pas une révolte contre la religion, c’est même une révolte contre le laïcisme dans chaque région où un gouvernement de style moderne laïque s’est établi. Une contre-culture religieuse se développe en parallèle, visant à ramener Dieu et toute religion sur le devant de la scène. Vous le voyez dans le Bouddhisme, l’Hindouisme, le Confucianisme, et aussi dans les trois traditions monothéistes.
Et ces théologies innovantes, peu orthodoxes et à contre-courant sont un produit de la période moderne. Souvent, dans leur souci de protéger la religion, qu’ils perçoivent comme étant en danger, les fondamentalistes déforment souvent la tradition qu’ils essayent de protéger, mettant l’accent sur ses aspects plus belligérants et minimisant ceux qui prônent la compassion et le respect envers autrui.
Attaquer le fondamentalisme est contre-productif. L’Histoire démontre que lorsque vous attaquez ces mouvements, ils n’en deviennent que plus extrêmes. Cela vaut aussi bien pour les attaques médiatiques qu’armées. Les adhésions à Al-Qaida, par exemple, ont énormément augmenté depuis l’invasion de l’Irak. Ce fut un cadeau parfait pour Al-Qaida. Les gens sont convaincus que la société moderne laïque veut évincer la religion lorsqu’ils voient des Musulmans, par exemple, attaqués; ils se disent « nous avions raison. C’est ce que veut le monde moderne ».
Vous devez écouter les craintes et anxiétés à l’origine du fondamentalisme. Attention à ne pas inextricablement aligner le fondamentalisme sur le terrorisme. Seul une proportion minuscule de fondamentalistes prend part à des actes de terreur et de violence. Ce terrorisme est principalement motivé par des raisons politiques plutôt que religieuses. Ici au Pakistan il s’agit plutôt d’une motivation tribale.
La réponse à ce problème est la réparation de certains conflits politiques, pour régler ces problèmes en suspens comme le conflit israélo-palestinien et celui du Cachemire, qu’on a laissé s’envenimer, devenant symboliques et introduisant une sorte de malaise.
De plus, (il y a) l’habitude occidentale de faire la promotion de dirigeants vraiment affreux pour obtenir du pétrole peu onéreux ou pour sécuriser des positions stratégiques au sein d’une région riche en pétrole – pour exemple le Shah d’Iran, Saddam Hussein etc. Cela crée un malaise dans la société. Sous les régimes dictatoriaux, les gens ne peuvent pas exprimer leur mécontentement ailleurs que dans la mosquée, ce qui rend toute la religion problématique.
Il y a un déséquilibre de pouvoir dans le monde – trop de pouvoir entre les mains d’une poignée de gens. Que nous le voulions ou non, nous vivons dans un monde global. Ce qu’il se passe aujourd’hui en Afghanistan ou au Pakistan ne sera pas sans répercussions à Washington et Londres demain, d’une manière ou d’une autre.
Par Qasim A. Moini
Source: www.Dawn.com