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Soutra du Sermon de Vimalakîrti…

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Soutra du Sermon de Vimalakîrti

Vimalakîrtinirdeshasûtra

Chapitre7

 Le Regard Complet sur les Êtres – en Chinois –

La Déesse – en Tibétain –

Introduction :

Vimalakīrti, signifie en sanskrit «  Renommée Immaculée » (vimala, adj.: pur, immaculé, clair, limpide; kīrti, n.f.: distinction, renommée, gloire).

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Vimalakīrti, selon le texte tiré du corpus Mahâyâna, qui porte son nom (Soutra du Sermon de Vimalakîrti) ; était un personnage influent et célèbre, élève laïc du Bouddha Shâkyamouni.

Il était même, alors, le représentant le plus remarquable de la Sangha laïque.
Cependant il n’est jamais mentionné dans les textes du canon pâli…..

Vimalakīrti pratiquait, il est vrai, la Voie du Bodhisattva, au sein du courant Mahâyâna.

D’après la tradition c’était un marchand aisé, bien installé dans la société, habillé comme tout un chacun, vivant en famille dans la ville de Vaisali, actuelle Basarh, (40 km au nord-ouest de Patna) : mais son niveau spirituel était si élevé et son intelligence était si brillante qu’aucun disciple du Bouddha Shākyamuni ne se sentait digne d’être son interlocuteur.

Dans cet épisode, Vimalakīrti s’est, à dessin, déclaré souffrant et le Bouddha demande qu’on aille prendre de ses nouvelles.

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Les disciples monastiques se dérobent, craignant de l’affronter.

Finalement, Manjushri se décide, et ils vont le suivre.

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En effet, dit-on, seul le Bodhisattva Mahâsattva Manjushri pouvait se montrer capable de débattre avec Vimalakīrti  ; sur toutes questions concernant le sens le plus profond du bouddhisme et, notamment, sur la vacuité et le non dualisme.

Le Sûtra du Sermon (Entretien) de Vimalakīrti (Vimalakīrtinirdeśasūtra) le montre par son érudition ainsi que sa somptueuse rédaction. On peut souligner, en particulier la description du déploiement des pouvoirs surnaturels extraordinaires d’une « déesse ».

De plus, il constitue un exemple unique dans le corpus de littérature bouddhique. C’est le seul Sûtra ou l’on voit retenir et présenter comme enseignement fondamental un texte venant d’un bodhisattva laïc.

La déesse, ayant beaucoup appris en douze ans passés (dit-elle) auprès de Vimalakīrti, prend le relais de ce dernier et terminera l’exposé du sutra s’adressant alors au Boddhisattva Mahâsattva Shâriputra, qui va remplacer Manjushri.

Cet autre grand disciple du Bouddha Shākyamuni; si renommé par son intellect.. et dit « le Vieux sage » dans la Sangha; va néanmoins ici devoir faire plutôt « profil bas » et se comporter à la fin en élève de la déesse…

En fait, parfait adepte du Hinayâna, il va montrer une certaine « imperméabilité » au Mahâyâna…, tentant de réfuter ses thèses, il sera mis en mauvaise posture….

Vraisemblablement rédigé au II° siècle, ce Sûtra du Mahâyâna est très important, pour la définition du concept de la Vacuité et des Deux Réalités ; selon la Voie du Milieu, Mâdhyamika.

J’ai choisi de présenter la traduction en français du Chapitre 7 de ce Sûtra dans la mesure ou il répond à une question fondamentale de Manjusrhi :

Comment trouver, en ce monde relatif, le comportement juste…

Voici la question, telle que formulée dans le Sûtra:

« Quel regard un Bodhisattva devrait-il porter sur les Êtres Vivants ? »  

Notes :

Autrement dit : « Comment pratiquer la Bonté à l’égard des êtres vivants alors que ceux-ci, étant dans le Samsara, devraient être regardés comme des illusions? » .

Vers la fin de ce chapitre, la « Déesse » nous montre, malicieusement, suite à une question (à son goût un peu trop « macho ») de Shâriputra, arc-bouté sur la condition préférentiellement « masculine » des « éveillés » ; que la notion de « genre » qu’il pose à cette époque, déjà.., est illusoire !

Texte extrait du Sermon de Vimalakîrti – Chapitre 7 –

Première partie (Dialogue Manjusrhi-Vimalakîrti) :

« Manjusrhi demanda à Vimalakîrti :
‘Quel regard un Boddhisattva devrait-il porter sur les êtres vivants ?’

Vimalakîrti répondit :

‘Un Boddhisattva devrait regarder les êtres vivants comme :

un illusionniste les hommes illusoires (qu’il a produits),

un sage regarde le reflet de la lune dans l’eau, et son propre visage dans un miroir,

la flamme d’un feu,

l’écho d’une voix,

les nuages dans le ciel,

la mousse sur un liquide,

les bulles d’une eau,

le cœur (vide) d’un bananier,

un éclair,

le cinquième élément (le non-existant, outre les quatre qui forment le corps humain,

le sixième agrégat (outre les cinq qui forment un être sensible),

les données du septième sens (outre les six objets des sens),

la treizième entrée (outre les douze impliquant les données des six organes et des six sens),

le dix-neuvième royaume du sens (outre les dix-huit dhâtu ou éléments de sens),

la forme dans un monde sans formes,

le germe non existant d’un grain de riz carbonisé,

un corps vu par un Shrota-âpanna (qui s’est débarrassé du corps illusoire en entrant dans le fleuve sacré),

l’entrée d’un Anâgâmin–Shravaka (qui ne revient jamais) dans le ventre d’une femme afin de renaître,

un Arhat qui aurait conservé les trois souillures (convoitise, colère, ignorance) qu’ il a éliminées à jamais,

un Boddhisattva qui ayant compris la patiente endurance du non-créé serait resté cupide, plein de ressentiments et irrespectueux des interdits,

un Bouddha qui serait encore soumis aux klesha (fléaux / voiles obscurs ),

un aveugle qui voit,

un adepte qui continuerait a respirer en état nirvânique d’impassibilité,

les traces d’oiseaux dans l’azur,

la progéniture d’une femme stérile,

la souffrance d’un homme illusoire,

un homme endormi se voyant éveillé en rêve,

un dévot atteignant le Nirvâna mais qui prend une forme corporelle pour se réincarner à nouveau, et,

un feu sans fumée….

Voila comment un Boddhisattva devrait regarder les êtres vivants’

Alors Manjusrhi demanda à Vimalakîrti : ‘Une fois qu’un Bodhisattva a médité ainsi, comment devrait-il pratiquer la Bonté (Maitrî) ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Une fois qu’un Bodhisattva a fait cette méditation :

il devrait se dire qu’il lui faut enseigner aux êtres vivants à méditer de la même manière ; voilà la véritable Bonté.

Il devrait pratiquer la bonté sans causes qui empêcheraient la créativité ;

la bonté sans chaleur qui met fin aux klesha (fléaux/obscurcissements);

la bonté immuable couvrant les trois ères, qui est doncsans commencement ni fin puisqu’elle comprend simultanément passé-présent-futur;

la bonté sans passion, qui balaie les conflits ;

la bonté non dualiste qui est au delà des organes des sens (à l’intérieur) et des données des sens (à l’extérieur) ;

la bonté indestructible qui supprime toute faiblesse devant la corruption ;

la bonté stable qui est celle de l’esprit en soi qui ne meurt pas ;

la bonté pure et propre – sans tâches- comme le dharmatâ ;

la bonté infinie omniprésente dans l’espace ;

la bonté de l’état d’Arhat, celui qui a détruit tout attachement ;

la bonté du Bodhisattva, qui réconforte tous les êtres ;

la bonté Tathâgata, qui conduit à l’état d’Absolu ;

la bonté du Bouddha, qui illumine tous les êtres ;

la bonté spontanée, qui est sans cause ;

la bonté bodhi qui est quintessence de sagesse uniforme et sans mélange ;

la bonté insurpassable, qui élimine tout désir d’attachement ;

la bonté miséricordieuse qui mène à la voie du Mahâyâna ;

la bonté inlassable parce qu’elle voit le soi, vide et inexistant ;

la bonté conférant le dharma (dâna) libre de regrets et de repentirs ;

la bonté respectant les préceptes qui ramène ceux qui ont rompu les vœux ;

la bonté patiente (kshânti) qui protège soi et les autres à la fois ;

la bonté zélée (vîrya) qui libère tous les êtres ;

la bonté sereine (dhyâna) qui n’est pas affectée par les (cinq) sens ;

la bonté sage (prajnâ) qui est toujours opportune ;

la bonté habile(upâya) qui manifestée à tout moment enseigne les êtres;

la bonté non dissimulée, celle de la pureté et propreté de l’esprit honnête ;

la bonté de l’esprit profond libre de toute discrimination ;

la bonté non illusoire qui est diamant sans défauts;

la bonté joyeuse, enfin, qui est Joie du Bouddha (dans le Nirvâna).

Telles sont les caractéristiques de la bonté Bodhisattva’

Manjushri demanda alors à Vimalakîrti :‘Que devrait être sa Compassion (karunâ) ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Sa Compassion devrait inclure le partage de tous les bienfaits qu’il a obtenu avec tous les êtres vivants’ ;

Manjushri demanda : ‘Que devrait être sa Joie (muditâ) ?’

Vimalakîrti répondit :  »Il devrait être empli d’une Joie sans mélange en voyant les autres atteindre les fruits du dharma » ;

Manjushri demanda : ‘A quoi devrait-il renoncer (upekshâ) ?

Vimalakîrti répondit : ‘Dans son aide pour le salut des autres il ne devrait rien attendre en retour (ni gratitude, ni récompense)’ ;

Manjushri demanda : ‘Sur quoi devrait-il compter face à la peur de la naissance et de la mort ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Il devrait s’appuyer sur la puissance des mérites du Tathâgata » ;

Manjushri demanda  : ‘Que devrait-il faire pour bénéficier de ces mérites ? »

Vimalakîrti répondit : ‘Il devrait se consacrer à libérer tous les êtres ‘ ;

Manjushri demanda : ‘Que devrait-il leur faire éliminer pour cela ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Il devrait les aider à éliminer leurs klesha’ ;

Manjushri demanda :‘Que devrait-il faire pour cela ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Il devrait conserver la plénitude de l’esprit droit qui discrimine le vrai et le faux ‘ ;

Manjushri demanda  :’Que devrait-il faire pour conserver la plénitude de l’esprit droit ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Il devrait se prononcer sur le Non-né et le Non-mortel’ ;

Manjushri demanda  :’Qu’est-ce que le Non-né et le Non-mortel ?’

Vimalakîrti répondit :’Le Non-né est le mal qui ne se manifeste pas et le Non-mortel est le bien sans fin  » ;

Manjushri demanda : ‘Quelle est la racine du bien et du mal ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Le corps est la racine du bien et du mal » ;

Manjushri demanda :’Quelle est la racine du corps ?’

Vimalakîrti répondit : ‘L’attachement- désir insatiable est la racine du corps’ ;

Manjushri demanda :’Quelle est la racine de l’attachement insatiable ?’

Vimalakîrti répondit : ‘Une préférence sans fondement telle est la racine de l’attachement’ ;

Manjushri demanda : ‘Quelle est la racine de la préférence sans fondement ? »

Vimalakîrti répondit : ‘La pensée fausse en est la racine’ ;

Manjushri demanda : ‘Quelle est la racine de la pensée fausse ?’

Vimalakîrti répondit : ‘le Non permanent est la racine de la pensée fausse’ ;

Manjushri demanda : ‘Quelle est la racine de ce Non permanent ? »

Vimalakîrti répondit : ‘L’ Impermanent est sans racine, Manjushrî, et toutes les choses naissent de ce Non permanent ».

Deuxième partie ( Dialogue déesse – Shâriputra) :

Une déesse, qui avait observé cela avec les dieux, à l’écoute du Dharma dans la chambre de Vimalakîrti   apparut alors.

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Elle fit pleuvoir des fleurs sur les Bodhisattvas et les principaux disciples du Bouddha pour les honorer.

Quand les fleurs tombèrent sur les Bodhisattvas, elles glissèrent à terre.

Quand elles tombèrent sur les principaux disciples elles restèrent collées sur leur corps, en dépit de tous les efforts qu’ils faisaient pour s’en débarrasser….

Shâriputra était dans ce cas…..

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A – L’abolition du Temps….

La déesse demanda :Shâriputra pourquoi essayes-tu de faire tomber les fleurs ?’

Shâriputra répondit :‘ Je veux me défaire de ces fleurs, elles ne participent pas de l’Immuable (Tathatâ= Ainsité)’ ;

La déesse dit alors : ‘Non ! Ne dis pas que ces fleurs ne participent pas de l’Immuable !Et pourquoi ?

Parce que ces fleurs, par elles-mêmes, ne font pas de discrimination, c’est toi seul qui fait apparaître la discrimination.

Si tu pratiques encore des discriminations après t’être avancé sur le chemin dans ta quête du Dharma, c’est que tu n’es pas dans un état d’Immuabilité. Tu seras dans cet état quand tu ne feras plus de discrimination.

Regarde les Bodhisattvas, si leur corps ne retient pas les fleurs c’est parce qu’ils ont aboli la discrimination.

Un homme apeuré est une proie facile pour les mauvaises gens.

De même, un disciple qui redoute la naissance et la mort est encore troublé par la forme, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher ; alors que, s’il ne craint rien, il est immunisé contre les données des cinq sens.

Pour toi, Shâriputra, la force de l’habitude subsiste encore et c’est pour cela que les fleurs adhèrent à ton corps.

Si tu élimines l’habitude, elles ne colleront pas.

Shâriputra demanda : ‘Depuis combien de temps te trouves-tu dans cette pièce ?’

La déesse répondit : ‘Ma présence dans cette pièce est comparable à la délivrance des vénérables vieillards » ;

Shâriputra demanda : ‘Veux-tu dire par là que tu es ici depuis longtemps ?’

La déesse rétorqua : ‘Est-ce que ta délivrance fait appel au temps ?’

Shâriputra garda le silence…..

La déesse lui demanda : ‘Pourquoi gardes-tu le silence, pourquoi le vieux sage est-il silencieux ? »

Shâriputra répondit :‘Celui qui parvient à la délivrance ne l’exprime pas en mots ; je ne sais donc pas quoi dire… »

(Note : On entame ici l’expression de l’essence du Mâdhyamika (Voie du Milieu).

Cette école reconnaît : le noumène immatériel, le phénomène matériel et le « milieu ».

Celui-ci agit en principe unificateur qui place chacun dans l’autre et dans tout.

La « Voie du Milieu » est unificatrice, elle est au delà de toute dualités, relativités, contraires.

Shâriputra se référe, lui, en bon Sharavaka au noumène immatériel, d’où son silence.
La déesse prêche le « milieu », dans cette Voie du Milieu la « délivrance » est un mot que l’on ne peut éviter…

Elle exprime donc que « l’immatériel , l’absolu» ne peut être révélé sans le passage par l’expérience du « matériel » ; dans (à travers…) ce Samsara qui permet par une « précieuse vie humaine » d’atteindre la Délivrance.

C’est ce qu’elle va développer par la suite…).

B – L’abolition de l’Espace ….

La déesse dit :Shâriputra, les mots parlés et écrits révèlent bel et bien la délivrance. Et pourquoi ?

La délivrance n’est ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, ni entre les deux… ; les mots ne sont ni à l’intérieur, ni à l’extérieur, ni entre les deux…

Ainsi, Shâriputra, on ne peut prêcher la délivrance sans se servir de mots.

Et pourquoi cela ?

Parce que toutes les choses tendent vers la délivrance.’

Shâriputra demanda : ‘Veux-tu dire par là qu’il n’est pas nécessaire d’éviter la sensualité, la colère-haine et l’ignorance pour parvenir à la délivrance ?’

La déesse répondit : ‘En présence de ceux qui étaient orgueilleux et imbus de leur personne, le Bouddha a dit qu’il fallait éviter la sensualité, la haine et l’ignorance dans la quête de la délivrance; mais, en leur absence, il a dit que la nature sous-jacente (ou nature absolue, en-soi) de la sensualité, de la haine et de l’ignorance était IDENTIQUE à la délivrance.’

Shâriputra s’exclama : ‘Excellent, déesse, excellent ! Qu’as-tu donc appris et éprouvé pour avoir une si parfaite éloquence ?’ ;

La déesse répondit : ‘C’est le fait que je n’apprenne ni n’éprouve rien qui me confère cette éloquence..

Pourquoi ?

Parce que celui qui prétend avoir appris et éprouvé est arrogant et impudent aux yeux du Dharma de Bouddha ! ‘;

Shâriputra, alors, demanda : ‘Lequel des Trois Véhicules pratiques-tu ?’

La déesse répondit :

‘Quand je prêche le Shrâvaka Dharma, j’apparais comme Shrâvaka,

Quand j’explique les Douze Liens d’interdépendance dans la chaîne de l’existence, j’apparais comme Pratyeka-Buddha,

Quand j’enseigne la Grande Compassion, j’apparais comme un maître du Mahâyâna ;
Vois-tu, Shâriputra, tels ceux qui pénètrent dans un bosquet de campas odorants sublimement, et qui ne sentent que le parfum des campas- à l’exclusion de toutes les autres fleurs -, ceux qui entrent dans cette chambre ne sentent que le parfum des mérites de Bouddha, et ils n’apprécient plus l’arôme des exploits des Shrâvakas et des Pratyeka-Buddhas.

Ainsi, Shâriputra, quand Indra, Brahmâ, les Quatre Rois Deva des cieux, gardiens du monde, les dragons célestes, les nagas des eaux, …les fantômes et les esprits,…etc.. ; sont entrés dans cette pièce et ont entendu cet Upâsaka Vimalakîrti expliquer le Dharma parfait, tous se délectèrent de respirer le parfum des mérites du Bouddha qui s’en exhalait et tous acquirent l’esprit Mahâyâna avant de s’en retourner dans leurs mondes.

Shâriputra, sache-le, je suis restée ici douze années pendant lesquelles je n’ai jamais entendu enseigner les Dharmas de Shrâvaka et Pratyeka-Buddhas….;
mais, uniquement, y ais-je entendu :

La Parfaite Doctrine de la Grande Bonté (Maitrî) et de la Grande Compassion (Karunâ) des Bodhisattvas et de l’Inconcevable Dharma du Bouddha.

Shâriputra, je te le dis:

‘Dans cette chambre se manifestent toujours

Huit phénomènes inhabituels :

Premièrement , baignée d’une lumière dorée qui est la même jour et nuit ce lieu n’a besoin ni de soleil ni de lune pour être éclairé ;

Deuxièmement, celui qui y entre est immunisé contre tous les soucis dus aux souillures ;

Troisièmement , cette chambre est habitée par Indra, Brahmâ, les Quatre Rois Deva des cieux, les Bodhisattvas des autres royaumes ;

Quatrièmement, le Dharma des Six Pâramitâs y est toujours présent et toujours expliqué ;

Cinquièmement , on y entend la musique céleste de mélodie insurpassable célébrant les innombrables portes du Dharma menant vers l’éveil ;

Sixièmement , cette chambre contient les quatre Canons des Sûtras, Shrastras, et diverses écritures ; autant de précieux trésors inépuisables pour nourrir la spiritualité des pauvres êtres ;

Septièmement , quand le Vénérable upâsaka Vimalakîrti s’unit en méditation au Bouddha Shâkyamuni, au Bouddha Amitâbha, au Bouddha Akshobya, au Bouddha des Précieuses Vertus, au Bouddha de la Précieuse Flamme, au Bouddha du Précieux clair de lune, au Bouddha de la Précieuse Majesté, à l’Invincible Bouddha, au Bouddha du Rugissement du Lion, au Bouddha de Grande Perfection, et aux autres Innombrables Bouddhas des Dix Directions… ;

TOUS viennent et expliquent les secrets de l’ésotérique Dharma et après quoi ils regagnent leurs royaumes.

Huitièmement , tous les palaces célestes, toutes les Terres Pures apparaissent dans cette chambre.

Ainsi, Shâriputra, après avoir perçu ces huit phénomènes en cet endroit remarquable, penses-tu que quelqu’un pourrait encore chercher le Dharma du Shrâvaka ?’

Shâriputra demanda :’Pourquoi ne changes-tu pas ta forme corporelle féminine ?’
(note :sous-entendu .., au mieux pour adopter une forme masculine.., plus valorisante , au pire changer son état de déesse contre celui d’humaine…!).

La déesse répondit : ‘Au cours des douze dernières années, j’ai cherché en vain une forme féminine, pourquoi voudrais-tu que je change ?

C’est comme si un illusionniste créait une femme illusoire! Faudrait-il lui demander de changer cette femme irréelle ?’

Shâriputra dit  :’Non, bien sur, parce que ce n’est pas un corps réel, mais alors en quoi pourrait-il être changé ?’

La déesse répondit  : Shâriputra, TOUS les phénomènes(dont les formes) sont également irréels !

Alors, pourquoi m’as-tu demandé de changer mon corps féminin, irréel ?

Vois, Shâriputra …

Et, sur ces mots, la déesse recourut à ses pouvoirs surnaturels.

Shâriputra fut changé en déesse céleste et elle-même devint un homme en tous points semblable à Shâriputra.

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La déesse demanda alors: ‘Shâriputra, pourquoi ne changes-tu pas cette forme féminine ? ‘

Shâriputra dit :‘Mais…, je ne sais pas pourquoi je me suis transformé en déesse !’

La déesse dit alors  : ‘ Shâriputra,si tu pouvais changer ce corps féminin, toutes les femmes pourraient aussi être capables de se changer en hommes… !

Comme, Shâriputra, si toi, – qui n’est pas une femme – apparaît ici sous forme féminine, il en est de même pour toutes les femmes, elles sont pareilles à toi et, même si elles apparaissent sous forme féminine dans ce monde relatif, …..– en absolu – … ; elles ne sont pas fondamentalement des femmes.

C’est pourquoi le Bouddha a dit :

« Toutes les choses ne sont, en absolu, ni mâles, ni femelles ».

Là-dessus, la déesse redonnant à Shâriputra son corps initial demanda : ‘Ou est ta forme féminine maintenant, qu’en est-il advenu ?’

Shâriputra répondit : ‘Eh bien…, la forme (d’une femme) n’est ni existante, ni non existante.’

La déesse déclara alors :

‘De même, toutes les choses sont selon la réalité absolue (au delà de toutes les dualités, relativités et contraires…) – fondamentalement – ni existantes, ni non-existantes ; et, ce qui n’existe pas et n’est pas non-plus non existant est manifesté par le Bouddha ».

Shâriputra demanda : ‘ Quand quitteras-tu (mourras-tu) et quand renaîtras-tu ? ‘ ;

La déesse répondit : ‘Je renaîtrai comme un Bouddha par transformation. »

Shâriputra dit : ‘La transformation en Bouddha n’implique ni naissance ni mort…’.

La déesse répondit : ‘ Comme tous les êtres vivants – fondamentalement -, (i e par leur nature de Bouddha), qui ne sont sujets ni à la mort ni à la naissance  ‘ ;

Shâriputra demanda : ‘Quand parviendras-tu à l’ Eveil suprême ? ‘

La déesse répondit :’ Je parviendrais à l’Eveil suprême quand Shâriputra reviendra au mode de vie terrestre….’

( note : la déesse moqueuse envers son interlocuteur, lui explique qu’il n’y a, en absolu, aucune différence entre le sacré et le terrestre et plus aucune discrimination n’est alors à opérer…).

Shâriputra rétorqua : ‘Il n’est pas question que, moi, homme saint, au stade Shrâvaka ; je revienne au mode de vie terrestre !!! ‘

(note : Shâriputra, montre qu’il n’a pas compris, et s’indigne…)

La déesse dit alors : ‘Il n’est pas question que je parvienne à l’Eveil Suprême..

Pourquoi ?

Parce que le bodhi n’est pas un objectif qui puisse être atteint’.

(note :sous entendu, pour balayer le dualisme sujet-objet).

Shâriputra, à nouveau, rétorqua : ‘Comment ? !

Mais il y a autant de Bouddhas que de grains de sable dans le Gange ; certains qui ont connu et d’autres qui connaîtront l’Eveil Suprême !

Que fais-tu d’eux ? ‘

La déesse dit : ‘On dit, au profane, que les trois ères (Passé, Futur, Présent) sont du domaine terrestre ( relatif) ; mais cela ne signifie pas que le bodhi ( par essence détaché du temps) soit lié à la fois au Passé au Futur et au Présent..,

(note : parce qu’il est dans le « quatrième » temps, au delà du temps relatif des trois ères..;)’

Elle demanda à Shâriputra :

‘Shâriputra, as-tu atteint l’état d’Arhat ?’

Shâriputra répondit : ‘ Je l’ai atteint, parce que je ne cherche pas à atteindre quoi que ce soit. »

La déesse dit alors  : Ainsi, Shâriputra, de même, tous les Bouddhas et Bodhisattvas atteignent leur but, parce qu’ils sont libres de l’idée mentale d’accéder à l’Eveil Suprême….’

A cet instant, Vimalakîrti s’adressa ainsi à Shâriputra  :

«Shâriputra,

Sois satisfait !

Cette déesse a fait des offrandes à quatre-vingt douze Bouddhas.

Elle peut user des pouvoirs transcendantaux des Bodhisattvas.

Elle a réalisé tous les vœux.

Elle a trouvé la patiente endurance du non-créé.

Elle est parvenue à l’étape du Bodhisattva sans retour.

Afin d’accomplir un de ses vœux, elle t’est apparue ; car elle apparaît à volonté partout pour enseigner aux êtres sensibles et les aider vers l’Eveil . ».

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Sources consultées:

E. Lamotte – 1962 –

« L’enseignement de Vimalakîrti »

(d’après la version tibétaine du IX° s. de Dharmatasila).

Bibliothèque du Muséon, Louvain.

U. Sangharaksita – 1990 –

« The Inconceivable Emancipation – Themes from the Vimalakîrti Nirdesa »

Windhorse Publish.

S. Bercholz et S.C. Kohn – 1993 –

‘Pour comprendre le bouddhisme, une initiation à travers les textes essentiels’

R. Laffont Ed. « Coll. Pocket ». Paris

P. Carré – 2000 –

« Sûtra de la liberté inconcevable, les enseignements de Vimalakîrti »

(d’après la version chinoise de l’an 406 de Kumârajiva).

Fayard Ed. « Coll. Trésors du bouddhisme » Paris.

J.Nattier – 2000 –

« The Teaching of Vimalakîrti. A review of four english translations »

Buddhist literature – n° 2 – p.234-258

J. Hubbard – 2012-

« Exposition commentary on the Vimalakîrti Sûtra »

Nirmata Center for Buddhist Translations and Research. Berkeley Univ. Press.




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