Lettre à Sakineh
De Federico PROCOPIO Djong Do Gosa Nim, moine bouddhiste zen, abbé du Temple Bouddhiste Zen Kwan Um de Paris
« Sakineh,
mes quelques mots ne pourront vous sauver peut être; mais cet océan d’écrits qui vous parviennent à travers le site web laregledujeu.org exprime déjà ici et maintenant la grandeur de l’humanité. Dans les pires souffrances, dans les plus atroces épreuves, improbables, nous courons le risque de perdre confiance en l’humanité, de ne plus croire en l’être humain. C’est le pire sentiment que nous pouvons ressentir face au mal, face au bourreaux. Le pire car directement proportionnellement lié au sentiment de confiance vis à vis de nous même. Lorsque l’on croit que l’humanité sombre dans le mal, que l’individu est pervers et obscur, on finit par croire que nous même faisant partie de cette même humanité, nous ne pouvons qu’être pareils. La solitude s’installe. Notre esprit crée le néant. L’illusion d’une humanité « mauvaise » apparaît.
Je voudrais tant que tous ces mots laissés sur cette toile virtuelle par des centaines de personnes puissent relever votre regard vers le haut au milieu de cette forêt touffue et sombre, pour soudainement apercevoir le bleu du ciel. Large et infini, ce ciel que nul homme ne peut posséder. Et respirer. Ce ciel et vous, vous n’êtes pas différents.
Puissent tous ces mots vous être baume d’amour, onguent de compassion. Le moine et abbé bouddhiste que je suis condamne profondément ce qui vous arrive et plus largement cette dérive des hommes avides et farouches, souffrants plus qu’on ne le croit au creux même de leur ignorance, de leur arrogance et de cette obscurité qui emprisonne leur vie et aliène leur humanité.
Ils ont pris le pouvoir qui ne leur était pas donné; ils ont nourri leur ignorance leur avidité et leur désir malsain par des vies humaines. Holocaustes incompréhensibles de l’avidité stupide et cruelle de l’homme souffrant.
Je vous envoie toute l’énergie dont je dispose, et avec elle toute l’harmonie de l’univers et l’affection du frère que je suis. Nous devons tous combattre ces régimes moyenâgeux et absurdes, dominés et régis par des êtres ignorants. Mais, ne vous laissez point salir ou abîmer par la haine. Ne touchez pas à leur « nourriture »; je voudrais vous prêter ma force pour rester aussi digne et grande que vous l’êtes. Une femme, une mère, un être humain unique et merveilleux. Les enfants dont vous avez été privée, dont l’un a été contraint d’assister à vos 90 coups de fouets, je les prends dans mes bras chaque jours dans mes prières. Comment pourrait-on faire autrement que les aimer ces enfants? et avec eux l’humanité souffrante toute entière.
Ne sombrez point dans les ténèbres qui vous entourent. Revenez sans cesse à vous même et à la beauté de cette vie que vous portez dans votre chair. Il y a quelque chose que nul être ne pourra jamais vous enlever ni anéantir, même en vous ôtant la vie. Toute la puissance de ces individus ravagés par la haine et l’ignorance ne pourra jamais posséder ce que vous êtes au plus profond de vous.
Ils parlent, prêchent et exhibent un Dieu qu’il ne connaissent ni ne comprennent.
Ils appuient leurs opprobres sur la volonté d’un Dieu qu’eux mêmes salissent et bafouent.
Alors vous n’êtes pas seule. Certes cela n’est pas grand chose en ce moment de souffrance. Mais vous voyez, Sakineh, par cette chaîne d’amour et de solidarité autour de vous, des milliers et des millions de mains tiennent la vôtre.
Soudain vous êtes aussi large et infinie que l’espace.
Eux, vos bourreaux, ils sont tous petits. Écrasés par leur propre ignorance et leurs méfaits. Et pour cette raison même méritent à al fois la condamnation de leurs actes et une infinie compassion.
Si un Dieu existe, il s’exprime sans doute dans la grandeur de cet océan de solidarité qui se livre à travers votre histoire.
Pour eux, vos barbares bourreaux, ce même Dieu est mort à chaque mort.
Ils sont abandonnés. Seuls. Vides. Creux. Comme une cloche sans maillet pour retentir. Métal froid de tristesse.
Vous êtes sans doute coupable et condamnable pour ces hommes qui ne connaissent guère l’amour, qui en ont peur, et qui en font un opprobre.
Soyez triste pour eux; réjouissez vous de la beauté de l’amour auquel aucun d’entre eux ne pourra porter atteinte quoi qu’il advienne.
De tout mon esprit je vous envoie une infinie lumière, ainsi qu’au peuple iranien stigmatisé et meurtri.
Je vous dis merci pour l’enseignement de votre dignité, pour la transparence de votre regard et pour l’écho que votre histoire douloureuse représente pour chaque être vivant.
Je sais que tout ce qui est en train de se passer au tour de votre épreuve injuste va changer les choses. Je ne puis imaginer une seconde que votre exécution aura lieu.
Avec toute mon affection et mon soutien. »
Federico PROCOPIO Djong Do Gosa Nim
moine bouddhiste zen
abbé du Temple Bouddhiste Zen Kwan Um de Paris
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Sakineh Mohammadi Ashtiani attendait dans la prison de Tabriz, à l’ouest de l’Iran, où elle croupit depuis cinq ans, la réponse à une demande de réexamen de son cas – prévue, initialement, pour le 15 août.
Son “crime” (qu’elle n’a avoué, rappelons-le, que sous la torture et qui consisterait, selon ses accusateurs, à avoir eu deux relations amoureuses hors mariage) avait déjà été puni par 99 coups de fouet administrés en présence de l’un de ses deux enfants.
Mais voilà qu’une nouvelle et nébuleuse accusation a débouché, il y a quelques mois, sur une condamnation à mort – et pas n’importe quelle mort puisqu’il devrait s’agir d’une mort par lapidation!
L’opinion internationale, touchée par l’horreur de cette menace qui pèse sur Sakineh, attendait avec elle la révision d’un verdict aussi inique que barbare – quand, le 11 août dernier au soir, se produisit l’un de ces coups de théâtre dont l’Iran commence à être coutumière : le régime diffusait à la télévision, dans une émission de grande écoute, les prétendus « aveux » de la jeune femme qui, couverte par un tchador noir qui ne laissait voir que son nez et l’un de ses yeux, tenant une feuille de papier entre les doigts comme si elle récitait une leçon mal apprise, une voix off en farsi couvrant sa propre voix qui s’exprimait dans sa langue maternelle, l’azéri, confessait sa supposée “complicité” dans le meurtre de son mari.
Son actuel avocat, Hutan Kian, a affirmé que cette déclaration, contraire à toute vraisemblance, a été arrachée, à nouveau, sous la torture et rapporte que les enfants de Sakineh sont, quant à eux, « complètement traumatisés » par l’émission.
Outre le fait que l’on peut avoir des doutes sur l’identité de la femme qui est apparue ce soir-là, sur les écrans, dissimulée sous un tchador étonnamment couvrant, ces propos vont, par ailleurs, clairement à l’encontre de ceux rapportés par le Guardian, la semaine dernière, et où Sakineh expliquait que les autorités iraniennes l’avaient déjà, en 2006, lavée de cette accusation infâme; qu’elles mentaient donc sciemment en revenant ainsi sur une charge abandonnée depuis longtemps et ce dans le seul but de semer la confusion dans les médias et de les préparer à une exécution à la sauvette; et que la “justice” ne s’obstinait sur son cas que « parce qu’elle est une femme » et qu’elle vit « dans un pays où les femmes sont privées de leurs droits les plus élémentaires. »
Que Sakineh soit privée de ses droits les plus élémentaires, cela ressort du fait qu’elle n’a même pas eu droit, dans cette affaire, à un jugement limpide, dans une langue qu’elle puisse comprendre (« quand le juge a prononcé la sentence, a-t-elle déclaré au Guardian, je n’ai même pas réalisé que j’allais être lapidée à mort car j’ignorais ce que signifiait le mot “rajam”; ils m’ont demandé de signer la sentence, ce que j’ai fait, et quand je suis retournée en prison et que mes codétenues m’ont avertie que j’allais être lapidée, je me suis immédiatement évanouie»); cela est confirmé par les mésaventures de son ancien avocat, Mohammad Mostafaei, celui-là même qui a attiré l’attention internationale sur son cas et qui s’est vu, pour cela, menacé d’emprisonnement (il n’a dû son salut qu’à la fuite en Turquie où il attend un visa pour la Norvège – mais non sans que son épouse, Fereshteh Halimi, ait été retenue en otage et emprisonnée); et cela est attesté, enfin, par le fait que, nonobstant l’horreur de la chose même, et quitte à entrer dans les détails les plus scabreux, une mise à mort par lapidation n’est possible en “droit” iranien que lorsque la famille de la victime en fait la demande (ce qui, dans le cas de Sakineh et de sa famille, n’est, évidemment, pas le cas!).
Mais par delà ces considérations dans lesquelles nous n’avons ni le goût ni peut-être, désormais, vraiment le temps d’entrer, il est urgent d’intervenir pour empêcher une mise à mort dont les observateurs de la scène iranienne ont tout lieu de redouter l’imminence.
Il est urgent de répondre à l’appel des enfants de Sakineh, Fasride et Sajjad Mohammadi Ashtiani, nous adjurant de ne pas fermer les yeux sur une mise en scène aussi grossière et de ne pas laisser leur « cauchemar devenir réalité ».
Il est urgent d’exiger des autorités, pour Sakineh, le renoncement à toute forme d’exécution, une remise en liberté sans délai et la reconnaissance de son innocence.
Des dizaines de femmes sont, chaque année, en Iran, condamnées au fouet, à la lapidation ou à d’autres peines dont la barbarie glace, tout autant, les sangs: il est urgent, au-delà même du cas de Sakineh, que l’ONU rappelle au régime des Mollahs les promesses faites, en 2002 et en 2008, quant à l’abolition de ce type de châtiments.
La vie d’une femme est en jeu.
La liberté et la dignité de milliers d’autres se jouent également là.
Et il s’agit enfin de l’honneur d’un grand pays, doté d’une culture aussi magnifique qu’immémoriale, et qui ne peut se voir résumer, sous les yeux du monde, au visage ensanglanté, réduit en bouillie, d’une femme lapidée.
Pitié pour Sakineh.
Source : laregledujeu.org
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