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Jésus : la montée au Ciel

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Un texte de René LUDMANN, cssr
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Entrer dans la fête de l’Ascension n’est pas aisé pour le chrétien moyen. Il pense qu’en ce jour on commémore le départ du Christ, ce qui n’a rien d’une fête. Et puis il ne se sent pas concerné. Et, même si on lui dit que cette entrée du Christ au ciel prépare la sienne, ce ciel lui semble lointain – et la terre est trop belle. Enfin certains, et des meilleurs, craignent que, à regarder trop vers là-haut, ils s’évadent de leurs devoirs d’ici-bas.


UNE ACCUMULATION DE MEPRISES

Ce que nous fêtons au juste, c’est moins un départ qu’une autre présence de Jésus. Ne nous dit-il pas, au moment de nous quitter visiblement : Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20) ? Il est donc là, mais autrement et même plus intensément. Glorieux, agissant dans son Esprit qui nous le communique.

Quand un père de famille, un chef de groupe partent pour préparer une bonne place où passer les vacances, ce n’est pas un adieu. Ce départ réjouit même le coeur qui, déjà, rêve de beaux jours. Ainsi le Christ dit-il : Je m’en vais vous préparer une place, mais je reviendrai et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous soyez aussi (Jn 14,3).
Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père (Jn 14,28). Oui, seul l’amour peut vraiment vaincre cette indifférence pour le ciel. Un regard perçant nous invite à prendre quelque distance avec nos réussites fragiles et passagères. Un détachement lucide – pour un joyeux attachement.


Quant au danger de trahir la terre, il n’est pas grand lorsque les anges secouent les apôtres : Qu’avez-vous à rester là et regarder ainsi le ciel ? (Ac 1,11). Et Jésus, en ce jour, nous donne du travail plus que nous n’en pouvons faire : allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle, chassez les démons, guérissez les malades (Mc 16, 15-18). Comment concilier le désir du ciel et nos responsabilités terrestres ? En prenant conscience que nous sommes en route. Je m’intéresse à tout ce qui fait cette route j’y cueille les fleurs, j’y soutiens le faible qui marche avec moi… Mais je ne m’assieds pas sur le chemin pour y faire ma demeure.
A y regarder de près, nous célébrons à nouveau la fête de Pâques : le passage de la vie terrestre du Christ à sa vie glorieuse. Il est définitivement retiré aux apôtres. La présence exaltante des quarante jours fait désormais place à la présence patiente dans la seule foi.


En même temps, nous célébrons déjà « la parousie », la venue triomphale du Christ : Il reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller au ciel, dit l’Ange aux disciples (première lecture). Une traduction plus fidèle du texte dit : Il viendra plutôt que « Il reviendra » (Ac 1,11). C’est plus qu’une nuance, car il s’agit moins d’un retour que de la manifestation visible et éclatante de Celui qui reste présent dans son Église. Ce sera plutôt un lever de rideau sur ce qui était déjà là, mais caché. Inversement l’Église, tout en étant encore en route, est déjà, de quelque façon, au but. Par sa tête, le Christ. Nous, les membres de son corps, c’est là (dans la gloire) que nous vivons en espérance (oraison du jour). On le voit bien, à l’Ascension il n’est pas question de départ, comme à la fin des temps il ne sera pas question de retour. Et nous, nous possédons déjà en amorce ce que nous aurons un jour en plénitude.


Qu’est-ce à dire pour notre vie spirituelle ?


Qu’il ne faut pas creuser un fossé imaginaire entre l’Eglise terrestre et la céleste. Les deux sont étroitement unies : je suis en communion avec les saints tout comme le Christ est présent à notre monde. Et si je distingue la solidarité avec les hommes de mon désir de Dieu, je ne dois, en aucune façon, les séparer. Les Orientaux l’ont mieux compris, du moins dans leur culte. Pour eux l’eucharistie est le lieu où s’entrecroisent deux liturgies, la terrestre et la céleste qui s’appellent et se répondent dans un va-et-vient grandiose.


La messe


La fête de l’Ascension est relativement tardive. Au début du quatrième siècle, en certains lieux (en Palestine par exemple), on commémorait encore l’Ascension le jour de la Pentecôte. Aussi curieux que cela paraisse, ce fait montre qu’à l’époque on avait une vue globale du Mystère pascal qui contient et la Résurrection de Jésus et son Ascension et la venue de son Esprit.


Le désir de revivre plus historiquement que mystiquement les événements de la Pâque conduisit, vers cette même époque, à une fête particulière. Cette pratique s’appuie sur l’Écriture elle-même, car le Seigneur, bien que déjà enlevé près du Père, s’était montré vivant après sa passion… pendant quarante jours il leur était apparu, puis ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux. (première lecture). Le passage du Christ de sa mort à sa résurrection, « le pas de géant » (Ps 18,7) nous, esprits sans intelligence et lents à croire (Lc 24,25), nous le concevons et célébrons par fragments, par étapes, à petits pas.


Première lecture : Ac 1.1-11


Nous lisons le commencement du livre des Actes des Apôtres, un ouvrage de Luc qui fait suite à son premier livre, son évangile. L’écrit est adressé à un certain Théophile, littéralement : « celui qui aime Dieu », dont on ne sait s’il est un personnage vrai ou un nom fictif désignant le lecteur pieux.


Après un bref résumé de son premier livre, résumé qu’il centre sur Jésus le ressuscité apparaissant aux Apôtres pendant quarante jours, Luc parle d’un repas que Jésus prenait avec eux. Les évangiles rapportent plusieurs repas du Christ avec ses Apôtres après sa résurrection, repas d’une densité toute particulière. Avec celui de la Cène, ils sont à l’origine de ces repas où les premiers chrétiens « rompaient le pain », et qui sont les premières liturgies chrétiennes.


Jésus donne aux Apôtres ses dernières instructions, l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’attendre l’Esprit qu’il va leur envoyer. Cet événement est décrit comme un baptême : vous serez baptisés (mot à mot : plongés) dans l’Esprit Saint.


Les Apôtres lui demandaient : Est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? Sont-ils encore bloqués par une royauté temporelle de suprématie juive ? Il semble plutôt que perce ici la croyance des chrétiens primitifs en une venue très prochaine du Seigneur triomphal, et que la phrase : il ne vous appartient pas d’en connaître les délais – veut dissiper. Jésus veut orienter la jeune Église vers une mission dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre, mission qui prendra un certain temps. Luc décrit alors l’Ascension – il est le seul à le faire. Mais la description n’est pas du reportage, c’est une méditation théologique.


Jésus s’élève et disparaît dans une nuée. Pas de lévitation ni de nuage. Être élevé : l’expression est théologique, elle exprime le triomphe du Christ. Paul, dans la deuxième lecture de ce jour, approfondira cet aspect. La nuée (pas un nuage) rappelle la présence réelle de Yahvé sur l’arche d’alliance, mais une présence que l’on ne peut capter ! Jésus reste parmi nous dans la sainte nuée de l’Evangile, des sacrements, de la foi.


Enfin deux hommes, des messagers célestes en vêtements blancs, reflets de la gloire de Dieu, invitent les Apôtres âne pas regarder le ciel, mais à oeuvrer pour le Royaume jusqu’à ce que Jésus vienne triomphalement de la même manière.


Ainsi se volatilisent d’elles-mêmes bien des difficultés, en premier lieu la confusion entre les voyages interspatiaux et le départ du Christ. Jésus n’est pas une fusée qui s’est cachée quelque part dans le cosmos. Le Christ, dans son humanité glorifiée, est auprès du Père et, en même temps, il demeure en nous. Je m’en vais et je viens vers vous (Jn 14,28). Par son départ il vient. Autrement. Et déjà nous pouvons résumer l’enseignement spirituel de ce récit :


Jésus n’est pas mort et puis c’est fini. Jésus est ressuscité en gloire, ainsi il est élevé, près du Père.


Jésus élevé ne s’est pas distancé de nous. Dans son Esprit, il est présent d’une manière plus intense encore qu’au temps de son séjour en Palestine : Le voici présent dans son Église qui nous donne sa Parole, ses sacrements, la foi.


Le départ visible du Christ est pour nous un appel à continuer son oeuvre. Pas d’évasion, soyons ses témoins, ici et maintenant.


Un jour le Christ viendra et nous fera participer pleinement à Sa gloire et à son intimité avec le Père.


Cette page est typique – c’est un morceau choisi de l’exégèse – pour nous faire sentir comment les évangélistes ont rédigé leur récit. Non en reporters, mais en hommes de foi qui méditent, après coup, de vrais événements, mais qu’ils commentent, interprètent, souvent avec des allusions à l’Ancien Testament qu’ils voyaient réalisé. Un commentaire « pour que vous croyiez et que vous ayez la vie » (Jn 20,31).


Psaume : Ps 46


Hymne d’intronisation. Jésus ressuscité monte parmi l’acclamation des anges et de la multitude céleste. Il est, par sa victoire pascale, vraiment le Roi, le Seigneur, le Très-Haut, l’Adorable.


Chantons, acclamons, battons des mains, crions de joie. Que toits les peuples l’acclament, car il règne.


Deuxième lecture : He 9,24-28 ;10,19-23


La lettre aux Hébreux s’adresse à des juifs convertis, des familiers de la liturgie du temple à laquelle l’auteur fait continuellement allusion. L’extrait évoque la fête de l’Expiation qui avait lieu tous les ans, et au cours de laquelle le grand-prêtre entrait dans le sanctuaire et aspergeait les lieux avec le sang des sacrifices, en un rite de purification. Rite sans grande valeur. Quant au temple il ne pouvait être que copie du sanctuaire véritable. Le Christ, par contre, nouveau et véritable Grand-Prêtre de l’humanité, lui, il est entré dans le ciel même. Il se tient maintenant pour nous devant la face de Dieu son Père, il intercède pour nous.


Suit un développement où l’auteur montre avec insistance que le Christ n’a pas à recommencer plusieurs fois son sacrifice, comme devait le faire le grand prêtre juif. Le Christ s’est sacrifié une fois pour toutes, car son sacrifice a valeur infinie.


Le Christ étant ainsi entré au ciel, ayant pénétré au-delà du rideau de son corps, de sa condition humaine, nous avons là une voie nouvelle, vivante par où passer pour aller vers Dieu et connaître un jour notre propre « ascension ». Oui, c’est sûr. Et c’est avec pleine assurance que désormais nous pouvons entrer au sanctuaire du ciel. Là où est le Christ, là nous serons un jour avec lui. Avançons donc vers Dieu, dans la certitude que donne la foi, sans fléchir, sans hésiter. Ce n’est pas un peut-être. C’est sûr. Car il est fidèle, celui qui a promis.


Crois-tu vraiment, là vraiment, que tu iras au ciel ?
Tu hésites. Aussi n’es-tu pas motivé pour t’y préparer sérieusement. Pourtant tu as en main le billet d’entrée. Le Christ lui-même qui, par son Ascension, t’ouvre la porte et t’attend. Alors, prépare-toi ! Fais-toi une beauté !


Évangile : Lc 24,46-53


Jésus ressuscité, apparaissant le soir de Pâques à ses disciples, leur dit : Il fallait que s’accomplisse ce qui était annoncé par l’Écriture. Nous dirions le plan du Père consigné dans les Écritures : les souffrances du Messie, sa résurrection des morts le troisième jour. Il faut aussi que s’accomplisse maintenant l’autre volet des annonces : la conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés. La conversion. Pas de belles théories, de grandes idées, mais un appel direct à changer de vie. Jésus avait proclamé la conversion au temps de son ministère. Maintenant les disciples doivent la proclamer en son nom. A sa place. Plus profondément en sa personne, unis à lui qui restera invisiblement avec eux.


Proclamez cette conversion à toutes les nations, au monde entier. Mais, selon un procédé pastoral précisé dans les Actes (1,8), en commençant par Jérusalem, là où j’ai clos ma mission. C’est vous que je charge de cette proclamation, c’est vous qui en êtes les témoins. Vous ne réciterez pas une leçon apprise par coeur, vous témoignerez de ce que vous avez vécu, expérimenté.


Pour cela, moi je vois envoyer sur vous ce que mon Père a promis, l’Esprit Saint qui vous assistera. Jésus appelle l’Esprit la force venue d’en haut dont vous serez revêtus. Préparez-vous. Demeurez dans la ville jusqu’à ce moment.


Puis la scène change. Jésus les emmena jusque vers Béthanie, sur l’autre versant du mont des Oliviers. Et levant les mains, il les bénit en un geste d’affectueuse protection et de solennel adieu, les confiant à l’Esprit Saint. Notre liturgie répète ce geste du Christ quand le prêtre nous bénit à la fin de la messe pour nous dire à nous aussi : Allez, allez annoncer ce que vous avez vécu.


Tandis qu’il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel. Pas de lévitation, pas de fusée interplanétaire. Jésus disparaît à leurs yeux corporels. Mais cet instant où Jésus les quitte a dû être d’une clarté fulgurante. Ils reconnurent que Jésus est plus qu’un homme, ils sentirent en lui la transparence de Dieu. Alors ils se prosternèrent devant lui en un geste d’adoration.


Cette expérience les remplit de joie. Ils ne se sentent pas abandonnés. Déjà ils savent que le Christ reste avec eux. Une forme de présence remplace l’autre. Leurs coeurs exultent.


Pour l’instant, ils obéissent à la consigne de Jésus, ils retournèrent à Jérusalem… c’est au temple, lieu privilégié de la présence de Dieu, qu’ils bénissent Dieu sans cesse. Bientôt le monde entier sera leur temple.


Relisons ces versets, voyons des yeux intérieurs le Christ qui nous donne les mêmes consignes, qui nous assure de sa même présence. Alors, le contemplant, le voyant nous unir, nous serons, nous aussi, remplis de joie.


Près de Lui


Pour nos grands-parents désirer le ciel, espérer entrer en paradis allait de soi. L’entourage favorisait cette foi et la vie leur rappelait quotidiennement la brièveté de l’existence : on peinait dur, on mourait jeune. Leur antenne pour l’éternité était plus développée, plus sensible à la fragilité humaine. Qu’on n’y voie pas l’opium du peuple trop vite collé par Marx sur une perception plus aiguë des choses.


Est venu le confort tous azimuts : nous vivons mieux et plus longtemps. Je ne critique pas ce confort, j’en use. Mais je constate que cet avantage matériel a émoussé l’antenne. Gavés de biens immédiats nous n’avons plus faim de Dieu. Quand la terre est belle, le ciel s’éloigne.


Mais on ne vit pas indéfiniment de frigidaire, de télévision et tes tranquillisants ne résolvent pas nos problèmes. L’homme ne vit pas seulement de ce pain-là (Mt 4,43). Il est programmé pour autre chose. Ne faisons pas partie du personnel rampant quand nous sommes faits pour voler.


Christ vient en cette fête de l’Ascension nous élever vers lui, nous sortir de notre prison dorée pour essayer nos ailes.


Commençons par prendre quelque distance avec les biens terrestres : je n’ai pas besoin de tout avoir, de tout goûter, de grimper tous les échelons et de gagner toujours plus. Perçons la fragilité de ces réussites et nous serons ouverts à une autre.


Donnons de l’importance à ce qui ne sera pas détruit par la mort : l’amour, le don de soi, l’aide aux petits, l’engagement pour la justice… Saint Augustin dit si joliment : Au ciel tu chanteras, alors apprends à chanter (Hom. sur le Ps 148). Au ciel régnera la paix, alors travaille à la paix. Tout de suite.


Passons de la religion, des rites, des choses religieuses à la foi, au toi-et-moi avec le Christ. Notre désir du ciel est faible parce que notre relation au Christ est faible. Si j’aime le Seigneur Jésus, alors certains mots se mettent à vibrer : Ne craignez pas, je vais vous préparer une place et je viendrai vous prendre avec moi (Jn 14,1-2). Père, je veux que là ou je suis, ils soient aussi avec moi (Jn 17,24). Entends encore les mots de Paul et de Jean : Nous partagerons sa gloire (Rm 8,17). Nous le verrons tel qu’il est (1 Jn 3,2), face à face (1 Co 13,12).


Enfin n’attends pas la mort, c’est triste. Attends Jésus qui viendra te chercher.


Où donc était Jésus pendant ces quarante jours quand il n’apparaissait pas aux disciples ?


Se tenait-il caché dans la montagne, au désert ?


C’est près de son Père qu’il est , et ce dès le jour de sa résurrection. Ne dit-il pas au bon larron : « Aujourd’hui-même, tu seras avec moi dans le paradis » (Lc 23,43) ? Ne fait-il pas comprendre à Madeleine au jardin qu’elle ne saurait le retenir, car il monte près de son Père (Jn 20,17) ? Jésus est dans la gloire de son Père dès sa Pâque.


Mais il reste aussi près de nous. Seulement le mode de présence a changé. Avant la résurrection, c’était une présence terrestre dans un corps soumis à nos lois de pesanteur, de lieu… maintenant c’est une présence dans l’Esprit, invisible, mais réelle et non plus liée à un lieu. Cette présence invisible peut devenir une présence visible, localisée. Jésus alors « apparaît ». Il l’a fait pour les apôtres un temps assez long (les quarante jours sont le temps symbolique qui insinue une certaine durée), à une assez grande fréquence pour qu’ils soient sûrs de n’être pas les victimes d’une illusion. Ce but atteint, les apparitions cessent. Jésus disparaît à nouveau, non dans un nuage, mais dans la nuée de sa présence-absence.


Un texte de René LUDMANN, cssr
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