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L’énigme souriante des statues de bouddhas du Shandong

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19.09.2009

Ces statuettes portent nombre d'énigmes.
Ces statuettes portent nombre d’énigmes.
En 1996, des terrassiers retournent le sol pour préparer un terrain de football à Qingzhou, ville minuscule pour la Chine (1,5 million d’habitants), située au sud de Pékin, dans la région du Shandong.

A quelques heures de route se trouve Tangshan, détruite par un tremblement de terre en 1976. Entre Tangshan et Qingzhou passe actuellement le cours inférieur du fleuve Jaune, qui a la mauvaise habitude de changer de cours presque tous les trente ans, laissant derrière lui de vastes marécages. Cette nature instable a contribué à isoler le Shandong du reste du pays, mais c’est pourtant l’un des berceaux de la culture chinoise, patrie de Confucius (551-471 av. J.-C.).

Qingzhou avait une autre allure au début du Ier millénaire de notre ère, alors que le bouddhisme était entré depuis peu en Chine, par mer ou à dos de chameau. La ville était riche en temples, palais, jusqu’à un incendie à l’époque de Yuan, vers le XIVe siècle.

En creusant pour la gloire du football, les terrassiers, vite relayés par les archéologues, ont mis au jour un véritable cimetière de statues ou fragments, plusieurs centaines, pieusement rangés pour l’éternité. A l’examen, ces pièces, qui datent du IVe au VIe siècle, révèlent une grande diversité de styles, mais un haut niveau de sculpture.

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On s’aperçoit qu’elles ont été endommagées, une, deux, trois fois, par des tremblements de terre, des incendies. D’abord réparées, elles auraient été enterrées par des moines quand leur état et aussi l’évolution des styles en vogue auraient écarté d’elles piété et dévotion.

Une trentaine de ces œuvres ont été prêtées au Musée Cernuschi, à Paris. Il y a des statues entières ou des stèles (la plus haute dépasse 3 mètres) et quelques fragments significatifs, telle une délicieuse joueuse de flûte de 8pan (vers 550).

Allons vers la fin de l’exposition, sans jeter un oeil aux trésors exposés. Sur la gauche, avant la dernière salle, d’un rouge intense, se dresse une haute silhouette, à la fois gracile et douée d’une douce autorité. Les plis de sa robe tombent, ordonnés comme les marques laissées sur le sable par une mer calme. Elle est simplement identifiée comme un Bouddha debout, taillé dans le grès, haut de 1,50 m, sans les pieds ni le piédestal, qu’un mauvais destin lui a subtilisés, est datée du VIe siècle de notre ère.

Ces statues, par leur ampleur, le lieu où elles ont été trouvées, ce qu’elles signifient, portent nombre d’énigmes. Même sous la torture, Gilles Béguin, directeur du musée, n’en dira pas plus, même s’il sait être intarissable sur les vertus de cet ensemble. « Depuis l’exhumation de ces statues, chaque année, chaque exposition apporte un fragment de réponse. Cette collection est exceptionnelle, autant par la beauté de certaines sculptures, comparables aux grandes oeuvres de la Grèce classique, que par les questions qu’elles soulèvent. »

YEUX PRESQUE DORMANTS

Gilles Béguin pointe dans la salle rouge un bodhisattva. « C’est un chef-d’œuvre absolu ! » Le bodhisattva est un de ces disciples du bouddha sur la voie de l’éveil, pour indiquer aux hommes le bon chemin pour s’en sortir. L’exposition du Musée Cernuschi a fait un gros effort pédagogique, qu’il s’agisse d’histoire de la religion, de techniques, etc.

Un des panneaux, partant d’une photo associant bouddha et bodhisattva, permet de décrypter le sens des signes, gestes, vêtements ou postures attribués à l’un ou à l’autre. Mais les sculpteurs – anonymes – pouvaient en Chine prendre quelques libertés par rapport aux règles venues d’Inde.

Le bodhisattva préféré de M. Béguin porte ainsi des ornements fastueux, où alternent les éléments venus d’Inde et une inspiration parfois chinoise. Mais l’essentiel est ailleurs, dans la finesse des traits du visage, les yeux bridés, presque dormants, la bouche sensuelle, dans les geste des bras – l’un au moins, celui qui tient rituellement la robe, est resté intact.

Puis, ayant fait le tour de ce bodhisattva, on redécouvre de biais le bouddha à la robe de sable. Imperceptiblement, il semble avoir bougé : un léger déhanchement, juvénile, presque féminin, qui s’oppose à l’immobilité sereine du personnage vu de face.

« Les bouddhas du Shandong », Musée Cernuschi, 7, avenue Vélasquez, Paris-8e. Jusqu’au 3 janvier 2010. Tél : 01-53-96- 21- 50. Catalogue : 142 p., 39 €. A paraître : « L’Art bouddhique », de Gilles Béguin, CNRS Editions, 416 p., 75€. www.cernuschi.paris.fr->


Frédéric Edelmann

Source : www.lemonde.fr->

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