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Le bouddhisme est-il politique?

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Quand on retrouve les idéaux de la non-violence chez des maîtres comme feu Maha Ghosananda, on voit qu’une interprétation du bouddhisme limitée à la délivrance personnelle évite la doctrine politique qui lui est liée.
Quand on retrouve les idéaux de la non-violence chez des maîtres comme feu Maha Ghosananda, on voit qu’une interprétation du bouddhisme limitée à la délivrance personnelle évite la doctrine politique qui lui est liée.

L’histoire du bouddhisme demeure souvent muette sur les conséquences sociales et politiques de sa doctrine. L’image traditionnelle d’une spiritualité du détachement est en général associée à une indifférence aux affaires du monde et elle a été renforcée par les versions californiennes, concentrées sur le bien-être personnel et l’art de vivre. S’il est vrai que la sérénité demeure l’idéal classique du bouddhisme religieux, cette préséance ne doit pas faire oublier l’importance de la doctrine de la compassion. Dans un essai récent, le grand spécialiste français Éric Rommeluère, lui-même enseignant bouddhiste, propose de redonner à cette vertu de la compassion toute la portée qu’une longue histoire doctrinale a fini par occulter.

Le bouddhisme peut-il apporter une réponse politique satisfaisante au défi de la violence et de la souffrance sociale ? Si le dharma, au coeur de la doctrine, vise d’abord l’élimination de l’angoisse existentielle par l’acceptation de la nudité de l’être, il embrasse aussi la délivrance de tous les membres de la société. Sur le long chemin qui mène à l’éveil, le disciple rencontrera très tôt les idéaux de la non-violence, qui trouvent leur origine dans la sagesse indienne. Quand on les retrouve chez des maîtres contemporains, comme Maha Ghosananda (1929-2007), considéré comme le Ghandi du Cambodge, on voit qu’une interprétation du bouddhisme limitée à la délivrance personnelle évite la doctrine politique de la non-violence. Cet enseignement est pourtant très présent dans les écrits canoniques du bouddhisme, et les exemples modernes, comme celui de ce moine engagé dans les camps de réfugiés cambodgiens après la prise du pouvoir par les Khmers rouges, nous montrent comment l’idéal d’engagement ne contredit en rien la recherche de l’éveil. Au contraire, les fameuses marches du dharma organisées en vue de la paix sont des exemples d’une pratique sociale de la compassion ouverte à tous les défis du présent.

Le bouddhisme engagé

La figure la plus connue de ce bouddhisme engagé est certainement Thich Nhat Hanh, un moine vietnamien contraint à l’exil durant la guerre du Vietnam. On peut lui attribuer la paternité de l’expression « bouddhisme engagé », dont il fit le leitmotiv de son combat pour la paix. Dans son essai, Rommeluère lui consacre des pages inspirées, rappelant la tragédie des réfugiés de la mer. Il passe également en revue d’autres grandes figures de l’engagement, comme le réseau de la Sôka Gakkai et le Buddhist Peace Fellowship, ainsi que des écrivains héritiers des années de la beat generation comme le poète Gary Snyder ou le philosophe David Loy. Ces noms sont connus, mais on oublie souvent que leur réflexion trouve ses bases dans la doctrine traditionnelle de la compassion.

Un des aspects les plus visibles de ce bouddhisme engagé est certainement le lien vital avec la cause de l’écologie : pas seulement parce que la doctrine du monde naturel se trouve au fondement de l’un et l’autre, mais surtout parce que la solidarité nécessaire à la survie peut se nourrir d’un idéal de bienveillance que seul le bouddhisme peut soutenir fortement. Cela explique qu’il soit devenu au cours des dernières années la philosophie implicite de la majorité des penseurs écologistes. David Loy et Robert Aitken, mais aussi le Japonais Yamada Kôun, se présentent comme des critiques de l’avidité capitaliste et leur réflexion croise le bouddhisme sur ses préceptes les plus fondamentaux. Rommeluère insiste justement sur l’importance du livre de Loy, Lack and Transcendence (1996), une méditation sur l’illusion du manque.


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