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Le dressage du taureau en dix images – Partie 3

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Enseignement de Maître Tokuda donné lors de la sesshin du 24 au 26 novembre 1995

Le dressage du taureau en dix images

Tokuda Senseï
Tokuda Senseï

7. Le taureau transcendé

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Sur le dos du taureau, je suis de retour à la maison.

Je suis serein. Le taureau lui aussi peut se reposer.

L’aurore est venue. Dans ce doux repos,

Dans ma chaumière, j’ai abandonné le fouet et la corde.

Commentaire : Tout est une seule loi, pas deux. Nous faisons seulement un sujet temporaire du taureau. C’est comme la relation entre le lapin et le collet, entre le poisson et le filet. Comme l’or et les scories, ou la lune émergent d’un nuage. Un sentier de claire lumière voyage à travers le temps sans fin.

8. Le taureau et le « moi » sont tous deux transcendés

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Le fouet, la corde, la personne, et le taureau – tous fusionnent dans le Rien.

Ce ciel est si vaste qu’aucun message ne peut le ternir.

Comment un flocon de neige peut-il exister dans un feu furieux ?

Là se trouvent les empreintes des patriarches.

Commentaire : La médiocrité a disparu. L’esprit est clair de toutes limitations. Je ne cherche aucun état d’illumination. Ni ne demeure où nulle illumination n’existe. Ne m’attardant dans aucune situation, les yeux ne peuvent me voir. Si des centaines d’oiseaux jonchaient de fleurs mon chemin, un tel hommage n’aurait aucune signification.

Commentaire de Maître Tokuda

A ce stade, tout disparaît. La dualité disparaît. Le sacré disparaît. On dit que là où est le Bouddha, il ne faut pas demeurer, et là où il n’y a pas de bouddha, s’il vous plait passez rapidement.

Cette image 8 n’est pas la suite logique des précédentes. Cette image 8 est l’expérience du zen. Sans cette expérience, l’entraînement continue bien sûr, mais il n’est qu’un simple entraînement. Avec cette expérience de l’image 8, vous devenez un maître. Cette image signifie : abandonnez votre corps et votre esprit et tout disparaît ; c’est ce qu’on appelle dharmakâya, « le corps cosmique du Bouddha ». En réalité, cette vacuité est le vrai Soi. Sans la vacuité, il y a toujours moi et l’autre, vous restez dans la dualité.

De nos jours, et c’est très regrettable, certaines personnes critiquent les maîtres. Cette attitude prouve que l’ego est toujours présent. Quand un grand maître apparaît, avec lui apparaissent de nombreux disciples, de bons disciples mais aussi des mauvais disciples et ce sont ces derniers qui argumentent. A l’époque du Sixième Patriarche[4] il y eut des combats entre les représentants de l’école du Sud et ceux de l’école qui sera appelée par la suite l’école du Nord. Il existe un livre intitulé « Le Soûtra de l’estrade du Sixième Patriarche Houei-neng[5] » – que Maître Dôgen n’appréciait pas –, écrit par un disciple du Sixième Patriarche qui critique un autre maître. La critique est un problème.

Ce cercle vide représente le Moi, et aussi le vrai Soi, à savoir ni corps ni esprit. Je veux insister sur le fait que ce n’est pas l’entraînement avec le bœuf, tel que décrit sur les images 1 à 7, qui est important. Durant cette période, en passant par tous ces stades, vous pouvez vous entraîner n’importe où, y compris dans un monastère, sans pour autant accéder au stade 8. Les entraînements décrits dans les images 1 à 7 sont académiques. Vous pouvez recevoir tous les diplômes possibles, accéder aux plus hauts degrés, vous pouvez même devenir une élite en allant jusqu’au stade 7, mais l’entraînement dans une école ne vous permettra pas d’atteindre le stade 8. Ce stade 8 ne peut avoir lieu que sur un champ de bataille, c’est une question de vie et de mort. Il ne s’agit pas d’une étude systématique mais de faire l’expérience de la souffrance, du désespoir le plus profond, de dépasser les limites de votre corps et de votre esprit. Bien que de nos jours, le zen se répande dans le monde, on constate que ni les écoles ni les monastères ne préparent à ce stade. Il ne reste que peu de maîtres authentiques, on peut dire que leur présence est comme la pâle lumière des étoiles de l’aurore : non seulement ils sont peu nombreux mais ils vont bientôt disparaître. C’est l’état actuel des choses. Pour les maîtres aussi c’est très difficile, car il n’existe aucun moyen pour fabriquer des moines et des maîtres zen. Il faut souffrir de l’impermanence du monde pour éveiller son corps et son esprit, et cela prend beaucoup de temps. Si beaucoup de petits poissons mordent à l’hameçon, les gros poissons n’apparaissent qu’exceptionnellement. Or, nous avons besoin d’un gros poisson ! Ce « gros poisson » peut être considéré comme « un général zen » qui n’a pas besoin de s’entourer de nombreux soldats ou d’officiers d’élite, un ou deux généraux suffisent. En France une seule personne suffit et sa présence peut changer l’histoire. Nous sommes dans l’ère postmoderne, à la fin d’un millénaire, qui est une période de grands changements.

9. Atteindre la source

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On fait de trop nombreux pas pour retourner à la racine et à la source.

Mieux aurait valu être sourd et muet dès le commencement !

Habiter dans sa demeure véritable, non concerné par ce qui est extérieur

La rivière coule tranquillement et les fleurs sont rouges.

Commentaire : Dès le commencement, la vérité est claire. Calmement, dans le silence, j’observe la naissance et le déclin des formes. Celui qui n’est pas attaché à la « forme », n’a pas besoin d’être « réformé ». L’eau est émeraude, la montagne est indigo, et je vois cela qui crée, et cela qui détruit.

Commentaire de Maître Tokuda

Ici apparaît la vacuité totale, le néant total et à ce moment une fleur s’épanouit. On l’appelle « la fleur du vide ». Lorsqu’une fleur s’ouvre, le monde apparaît. Cette fleur du vide est la réincarnation de la vacuité. Cette vacuité est le vrai Soi. Cette fleur, qui est la réincarnation de votre vrai « Moi », c’est vous-même, la réalisation de vous-même. Auparavant, lorsque nous regardions, par exemple, les bourgeons des arbres, les fleurs au printemps, nous étions dans la dualité puisqu’il y avait un objet regardé et un sujet qui regarde, mais au stade décrit ici, nous voyons tous les phénomènes de ce monde selon au tout autre point de vue, et tout ce que nous voyons est aussi nous-mêmes.

[4] : Houei-neng (jap. Enô) (638-673).

[5] : Traduit du chinois et commenté par Patrick carré : Le soûtra de l’estrade du sixième patriarche Houei-neng –Editions du Seuil / Inédit Sagesses,1995.


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