Le bouddhisme est un enseignement réaliste qui reconnaît la valeur des autres enseignements. L’antiquité, l’époque de Bouddha, était une période florissante de la pensée humaine : il existait une multitude de croyances différentes, comme c’est le cas de nos jours aussi. Avant son Eveil, le prince Siddhatta a passé de longues années à apprendre tous les systèmes philosophiques contemporains de l’Inde. Il n’était pas satisfait de tout ce qu’il a pu étudier, mais il respectait le savoir des maîtres.
Désormais, hélas, les adeptes de différentes doctrines n’ont pas toujours la tolérance nécessaire les uns envers les autres. Notre société européenne par exemple maintient la tradition néfaste des querelles entre catholiques et protestants, dispute historique qui produit de la violence de nos jours en Irlande du Nord. Or ces deux communautés en conflit adorent le même Christ qui nous a enseigné l’amour et la fraternité.
Dans mon pays natal les actions violentes entre les terroristes Tamouls et les forces armées cinghalaises sont exactement de la même nature absurde. Les Tamouls sont hindous, or la religion hindoue considère que Bouddha est une incarnation du dieu Vishnu. Les Cinghalais sont bouddhistes, ils respectent les dieux hindous. Malgré cette acceptation mutuelle entre les deux communautés confessionnelles, la lutte entre les groupes armés continue depuis des décennies pour des causes politiques. Mais les vrais hindous et les véritables disciples de Bouddha sont tous non-violents, comme l’ avihimsa est un but spirituel dans chacune des deux religions, alors les vrais disciples laïques s’abstiennent de ces désaccords. Par exemples lors des bagarres de 1983 les familles hindoues persécutées par la foule ont trouvé asile dans les monastères bouddhistes de Colombo.
En effet, il arrive parfois que le fanatisme religieux fasse oublier à certains adeptes de telle ou telle foi les préceptes même de sa propre religion. Le Qur-an écrit qu’il n’y a pas de contrainte dans la religion. Et que se passe-t-il aujourd’hui en Algérie ? Ce sont des enfants et des adultes innocents qui payent de leur vie, sans raison, pour un fanatisme soi-disant religieux. Pourtant la tolérance et la liberté de la pensée sont des conditions indispensables pour toute conviction de conscience.
Bouddha nous a enseigné la tolérance envers les autres religions à travers son propre exemple. Il lui est arrivé une fois qu’un chef de famille riche nommé Upâli, [disciple laïque de Nigantha Nâthaputta, fondateur du jaïnisme], vint le visiter pour le vaincre dans un débat sur la théorie du kamma. La manière bouddhique de voir le kamma est très différente de celle du jaïnisme. Lors de la discussion avec Bouddha, Upâli a changé d’avis après avoir écouté les arguments de Bouddha.. Il demanda à Bouddha de l’admettre comme disciple laïque, et il déclara qu’il ne voulait plus soutenir Nigantha Nâthaputta. Bouddha lui a conseillé de ne pas être trop pressé, et de continuer à soutenir son vieux maître.
Asoka, le grand empereur bouddhiste de l’Inde a réalisé la tolérance dans la pratique politique et administrative. Il a écrit dans ses édits gravés sur le rocher : « On n’honore pas uniquement sa propre religion et on ne condamne pas les autres religions. En agissant ainsi on aide sa propre religion à grandir et on rend aussi service à celle des autres. » Le rocher a été une matière bien choisie par l’empereur – les prosélytes de nos jours qui propagent leur foi en blâmant celle des autres peuvent toujours étudier le message précieux de l’antiquité indienne.
La liberté de la pensée professée très clairement par Bouddha a trouvé une expression admirable dans le Kesamuttisutta :
« Seigneur, de temps en temps, différents maîtres viennent dans notre village et nous donnent divers enseignements. Un jour l’un d’eux nous enseigne quelque chose ; le lendemain un autre nous enseigne autre chose, totalement différente voire même le contraire. Ces différents maîtres viennent jour après jour dans notre village, nous enseignent des choses diverses qui sèment en nous doute et confusion. Nous ne pouvons séparer le vrai et le faux. Nous sommes perplexes et nous vous demandons de nous guider vers le droit chemin et de nous écarter du pervers. » Bouddha répondit :
« Il est tout naturel que vous ayez des doutes puisque vous avez entendu des enseignements contradictoires ; de telles situations provoquent certes la confusion. Cependant, je vous dis ceci : ne croyez pas quelque chose parce qu’elle vous a été simplement transmise par une tradition. Ne croyez pas quelque chose simplement parce que vous pouvez la trouver dans les écrits. Quelquefois dans les livres il peut y avoir des choses correctes ou fausses, comment le savoir ? Ne croyez pas aveuglément ce qu’un maître spirituel, votre gourou, vous enseigne, parce que lui aussi peut faire des erreurs de temps en temps. Ne croyez pas non plus parce que vous entendez ici ou là par la rumeur. Et, même ce que j’enseigne, ne le croyez pas. Quoi que vous entendiez, testez-le, essayez de l’expérimenter. Lorsque vous le testez, que vous l’expérimentez et que vous vous apercevez que cela est bénéfique, alors vous comprenez que cela est bon pour vous. »
Nous, en tant que bouddhistes, qui vivons ici en Europe plus de deux mille cinq cent années après Bouddha, nous devons respecter les maîtres et les enseignements et les adeptes des autres confessions avec qui nous vivons ensemble en France. Bouddhistes, chrétiens, hindous, juifs, musulmans ou agnostiques – ce sont des étiquettes qui ne nous informent pas de la qualité de l’homme. Parmi les fidèles des autres confessions il doit y avoir de très bons bouddhistes, qui, sans même savoir, observent parfaitement la compassion, l’amour bienveillant, et tous les autres préceptes de ma religion. Prenons une rose : son odeur embaume notre jardin, sa beauté nous réjouit. Nous pouvons donner d’autres noms à cette rose, mais l’odeur agréable restera de toute façon la même.
Les différentes religions devraient coopérer pour un monde plus paisible. Si on essaye de comprendre le vrai message des différents fondateurs de religions, on trouvera que c’est notre obligation prescrite par chacune de nos écritures saintes. Permettez-moi de réciter un sutta de ma confession pour prouver cela du côté des bouddhistes :
âyusâ ekaputtam anurakkhe
evampi sabba bhùtesu
mânasam bhâvaye aparimânam
surveille et protège son unique enfant,
ainsi avec un esprit sans entraves
doit-on chérir toute chose vivante.
Par le Vén. Parawahera Chandaratana