Arrivés à l’ancien monastère bouddhiste chevillé à la montagne, les moines se sont prosternés pour prier et ont fondu en larmes. Emus à en oublier où ils se trouvaient: aux portes des zones tribales pakistanaises, bastion fort peu touristique des talibans.
«Nous avions l’impression d’être chez nous, c’était un sentiment puissant, impossible à décrire avec des mots. Nous regrettions seulement d’avoir attendu aussi longtemps pour venir ici», écrit à l’AFP l’un de ces moines sud-coréens, Jeon Woon Deok.
C’était il y a près d’un an. Une vingtaine de moines avaient défié les appels de leur gouvernement à renoncer au voyage pour des raisons de sécurité.
Et c’est escortés par les forces de sécurité pakistanaises qu’ils ont visité le monastère encore bien conservé de Takht-e-Bahi, situé à la lisière des zones tribales, et ont même poussé du «côte de chez Swat», dans la vallée voisine où les talibans avaient imposé leur loi de 2007 à 2009 et abîmé au passage des statues de Bouddha jugées impies.
Depuis près de deux millénaires, les pierres ocres de ces monastères ont vu les hommes et leurs religions passer sans broncher, du bouddhisme d’hier à l’islam d’aujourd’hui, secouées au cours de la dernière décennie par les attentats réguliers de talibans jamais neutralisés par l’armée.
Du premier millénaire avant Jésus-Christ au VIIe siècle, le nord-ouest du Pakistan était au coeur du grand royaume du Gandhara. Cette civilisation a connu son âge d’or sous l’empire kouchan, entre le Ier et le IIIe siècle, lorsque les traditions grecques et bouddhistes s’y sont mélangées pour donner naissance au «bouddhisme mahayana».
Un siècle plus tard y naissait le moine Maranantha qui traversa la Chine pour essaimer le bouddhisme jusqu’en Corée. Puis, ce fut au tour de Padmasambhava de disséminer le «bouddhiste tantrique» jusqu’au Tibet et au Bhoutan.
Aujourd’hui dans les jardins suspendus du monastère de Takht-e-Bahi, les adolescents rêvassent de jeunes filles en fleurs, des familles aux enfants aux yeux maquillés de khol pique-niquent paisiblement et des étudiants des écoles coraniques philosophent sur la condition humaine. Mais les étrangers se font rares….
«Avant, il y avait des touristes étrangers ici. Mais depuis les attentats il n’y en a presque plus», regrette le guide local Iftikhar Ali, crâne dégarni et visage rond enluminé d’un sourire serein.
Du tourisme «zen» au Pakistan ?
Ce passé bouddhiste renaît lors des visites de moines aventureux venus d’Asie comme Jeon et ses collègues. Mais au compte-gouttes: Iftikhar Ali dit n’en voir passer qu’«un à deux par mois» en moyenne.
«Pour eux, cet endroit est comme La Mecque», lance Zulfiqar Rahim, chef de l’Association culturelle Gandhara (GACA), dédiée à la promotion de l’héritage bouddhiste du Pakistan.
L’an dernier, des moines bouddhistes venus du Bhoutan, royaume himalayen connu pour son indice du «bonheur national brut», avaient eux aussi visité les sites anciens de la vallée de Swat.
Rêvant d’attirer des millions de bouddhistes de riches pays asiatiques sur ses trésors archéologiques, le Pakistan dit vouloir passer à la vitesse supérieure.
«Nous faisons actuellement la promotion du tourisme religieux archéologique bouddhiste», explique à l’AFP Syed Jamal ud din Shah, numéro deux du ministère du Tourisme de la province du Khyber Pakhtunkhwa (nord-ouest), qui abrite les principaux sites du pays.
Les autorités comptent proposer un «séjour tout compris» aux touristes de Corée du Sud, de Chine, de Singapour ou du Japon incluant des visites de sites à Taxila, Peshawar, Takht-e-Bahi et Swat.
«Le potentiel touristique est énorme. Si chaque personne qui vient ici dépenser 1.200 dollars, avec l’hôtel et tout le reste, et qu’un million de personnes viennent cela fait plus d’un milliard de dollars. Mais nous ne parlons pas d’un million de personnes, mais bien de 50 millions de +bouddhistes mahayana+ en Corée, en Chine et au Japon», s’extasie M. Rahim.
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