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Rencontre avec Wong Kar Wai

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Il y a beaucoup de grands réalisateurs, mais peu de légendes. Wong Kar Wai est présent à Deauville Asia en tant qu’invité d’honneur, à l’occasion d’une rétrospective qui lui est consacrée. Le cinéaste, sympathique et détendu, vient nous parler de The Grandmaster, en salles le 17 avril.

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Sur sa collaboration avec Xu Haofeng

Xu Haofeng (réalisateur de The Sword Identity, ndlr) enseigne à l’université et pratique les arts martiaux depuis qu’il est tout jeune. Un jour, il a voulu tester ses qualités, a sauté du troisième étage du bâtiment de l’université. Il n’est pas mort, sa chute a été ralentie par les arbres, mais il a été blessé quand même et a été immobilisé pendant deux ans. Pendant ce temps, il s’est mis au bouddhisme. J’ai rencontré Haofeng et lui ai d’abord proposé d’être un consultant sur The Grandmaster, avant de lui demander tout simplement de co-écrire le scénario avec moi ! Parce que je pensais qu’il était capable de fournir un angle tout à fait singulier. Sa technique d’arts martiaux appartient à une école particulière, et dans le film il y a certains aspects de cet art martial et de cette philosophie qui sont exploités.

Sur l’approche chorégraphique des combats

En fait il y a différentes approches dans le film en ce qui concerne les scènes de combat. L’élément essentiel était que ces scènes devaient respecter les différents styles de combat. Elles devaient être basées sur l’habileté, prendre en compte la gravité, ne pas être trop extravagantes. Beaucoup de films d’arts martiaux reposent sur la violence. Un grand maître vous dira que les combats sont courts, sans que vous ne voyiez arriver le coup. Vous n’échangez pas des coups pendant cinq minutes. On ne peut pas faire tout un film comme ça, avec juste un coup par scène. Il me fallait comprendre chaque mouvement, l’analyser, c’était un vrai challenge.

Dans The Grandmaster, il y a différentes scènes de combat, avec des techniques différentes. Dans la première, Yip Man n’a pas encore quarante ans et c’est un aristocrate. Il ne gagne pas sa vie grâce aux arts martiaux, pour lui il s’agit d’un divertissement. Le premier combat se déroule sur son terrain de jeu. Il y a une autre scène entre lui et Zhang Ziyi, et il s’agit plutôt là d’une danse. Ce sont deux grands maîtres, et il y a des règles qu’ils ne sont pas censés briser. La dernière scène de combat, dans la gare, c’est une vengeance et c’est vraiment une question de vie ou de mort. Il y a une approche très différente pour chacune de ces scènes.

Sur les films d’arts martiaux qu’il a vus

Je n’ai pas spécialement revu de films d’arts martiaux. Etant gosse j’ai été imprégné par ces films de la Shaw Brothers, les films de Bruce Lee, puis Jackie Chan, Jet Li, Tsui Hark…

Sur l’accueil public réservé au film

Je suis très reconnaissant et surpris par l’accueil, le public a vraiment répondu présent à Hong Kong, notamment le jeune public qui était avide d’explorer cet aspect culturel des arts martiaux. Parce que le film ne parle pas que d’arts martiaux, mais aussi de ce qui fait Hong Kong. Dans les années 30, 40, 50, il y a eu beaucoup d’immigrés qui sont arrivés à Hong Kong pour fuir la guerre en Chine. Ce sang neuf a créé le Hong Kong d’aujourd’hui. Le sujet de beaucoup de films d’arts martiaux c’est « qui va gagner, qui va perdre », « qui est le meilleur combattant », je sentais qu’il était temps de faire un film sur la technique de combat, mais aussi sur ses origines, sur la philosophie qui se cache derrière. Pour moi ce qui fait de The Grandmaster un film différent, c’est qu’il met en valeur la notion d’héritage. C’est ce que les anciennes générations veulent laisser aux plus jeunes, et c’est un message important.

Le public a vu beaucoup de films venus de Chine, mais veut voir des films qui représentent Hong Kong, parlent de son identité. Hong Kong est devenu un centre commercial, avec du LVMH partout. C’est comme si vous viviez dans un centre commercial. Les gens veulent retrouver une part de leur identité et de leur histoire.

Sur l’implication physique des acteurs

C’était évidemment difficile, d’abord parce qu’il est facile d’imaginer à quel point ils sont occupés. Je ne peux pas leur dire que le tournage va durer trois ans ! (rires) Ce projet demandait une implication énorme de la part de Tony (Leung) et Ziyi (Zhang) qui ont toujours cru en ce film. Tony s’est cassé la main deux fois, il n’a jamais abandonné et a insisté pour faire ses propres scènes de combat. Il fallait qu’ils atteignent le niveau de professionnels. Quand ils n’y arrivaient pas, je les obligeais à poursuivre leur entrainement ! (rires)

Sur le personnage de Yip Man

Quand on se penche sur la vie de Yip Man, il s’agit plus ou moins d’un reflet de l’histoire récente de la République de Chine. Il est né sous la monarchie de Qing, puis il y a eu la République, la guerre civile, la guerre entre Chine et Japon, et il a fini à Hong Kong. Beaucoup de films se concentrent sur le personnage, sur le combattant. Il n’y a pas de film qui appréhendent Yip Man sous ce point de vue-là. Si l’on ne comprend pas ça, on ne comprend pas vraiment la grandeur de ce maître. Il est né dans une ville qui à l’époque était très conservatrice. Cet art martial était réservé à une élite. L’apprendre coûtait très cher. Il a été celui qui a popularisé cet art.

Sur le tournage de la scène de la gare

Au début du tournage, on devait commencer par la scène de Tony sous la pluie, la première du film. On sait tous que Tony est un grand acteur, mais on ne savait pas s’il serait capable de se battre. Et il s’est cassé la main pendant les répétitions, par accident. Il a donc fallu arrêter le tournage de cette scène et passer à autre chose. On est allé au nord à un moment où il fait encore très froid, 25 degrés en dessous de zéro. Et on a commencé à tourner cette scène, pendant deux mois, dans cette gare d’une petite ville, la nuit, alors qu’il faisait ce froid polaire. Je vous laisse imaginer !

Sur l’utilisation de la musique d’Il était une fois en Amérique d’Ennio Morricone

C’est un hommage effectivement. Parfois on appelle son film Il était une fois dans le kung-fu. L’utilisation de cette musique était aussi un hommage à Sergio Leone.

Sur les différents montages

C’est à peu de choses près le même film. La principale différence c’est que la version internationale est plus courte, avec une fin plus courte. Dans la version chinoise, il y a certaines choses qui peuvent être facilement comprises par le public, mais qui ne passeraient peut-être pas aussi aisément sur un public international. Il y a par exemple une référence à une société d’import/export. Les gens à Hong Kong savent ce que c’est. Ce sont des ajustements pour rendre le film plus accessible. La fin chinoise est plus ouverte, la fin internationale est plus simple.

Sur la présence à l’écran de Yuen Woo-Ping

Je l’ai forcé, je l’ai séduit ! (rires) C’est quelqu’un de très timide malgré son talent immense de chorégraphe. Je l’ai convaincu de jouer ce rôle, en lui assurant qu’il serait court et qu’il n’aurait rien à craindre. Il était très nerveux !
Sur sa collaboration avec Philippe le Sourd

Je travaille avec Philippe depuis un moment, sur des publicités. Philippe fait très attention aux films qu’il choisit parce qu’il est très attaché à sa famille. Et faire un film, c’est passer des mois loin de chez soi. J’ai séduit Philippe pour qu’il fasse ce long métrage car je savais qu’il était fasciné par les arts martiaux chinois. Alors je lui ai dit : « Philippe, viens en Chine, je vais faire un film de kung-fu, ça va te prendre six mois ». Et on a passé deux Noëls ensemble.


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