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Le Taoïsme en Chine (de 1979 à ce jour)

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Ce n’est qu’avec la politique de libéralisation lancée par Deng Xiaoping en 1979 que le taoïsme peut tenter, non sans mal, de revivifier ses vieilles traditions. Son influence augmente alors notablement au niveau populaire, mais se heurte à l’opposition tenace des autorités de l’Etat à ce qu’elles appellent « pratiques superstitieuses et féodales. Le développement promis par la politique officielle de liberté religieuse s’opère sous l’entier contrôle de l’Etat à travers les associations et les activités approuvées par lui. Les initiatives privées ou, ce qui est pire, clandestines sont absolument interdites.


Rétablir les organes de direction et le système administratif

Le gouvernement communiste reprend la tactique du contrôle exercé de l’intérieur au moyen de l’association taoïste chinoise. Celle-ci retrouve ses activités avec sa troisième assemblée nationale, en mai 1980, qui confirme les objectifs déjà définis : réunir les fidèles taoïstes dans l’amour de la patrie et de leur religion, participer activement à la reconstruction nationale, aider le gouvernement à appliquer sa politique religieuse. Les directives pratiques visent à : rétablir les associations locales et provinciales, restaurer les temples pour la protection de leur patrimoine historique et artistique, former des dirigeants, améliorer la recherche sur le taoïsme avec des études et des publications, augmenter les bons rapports avec les corréligionnaires de l’étranger. Le président élu est Lai Yuhang et le siège central reste au temple Baiyun Guan de Pékin, restauré et rouvert au public en 1984. A cette occasion est lancé l' »Appel aux taoïstes de Taiwan » pour nouer des relations et coopérer avec eux.

Conformément aux directives de l’assemblée, les associations taoïstes provinciales sont peu à peu reconstituées : à Shanghai en avril 1985, dans les provinces de Hunan, Hubei et Gansu le mois suivant, à Canton à l’automne de la même année, dans les provinces de Shaanxi en novembre 1986, de Shandong en décembre 1992, de Sichuan en mars 1993, de Jiangsu en avril 1993,etc. Toutes les associations sont administrées par d’anciens daoshi, invités à revenir dans les temples, avec l’aide de jeunes qui finissent tout juste leur formation et de conseillers laïcs.


La quatrième assemblée nationale de l’association taoïste chinoise se réunit en septembre 1986. Les rapports font état des grands progrès de la formation des responsables comme de la recherche. Dans la liste des succès sont à noter : la trentaine d’associations locales et provinciales déjà fondées, une centaine de responsables récemment diplômés qui travaillent dans les cent temples rouverts, en deux ans plus de huit mille pélerins en visite au Baiyun Guan, l’augmentation des échanges amicaux et universitaires avec Hongkong, Macao et d’autres pays.


« L’association s’est engagée à atteindre ses deux objectifs principaux (…) En appelant ses fidèles à observer la constitution et les lois et à distinguer nettement entre activités religieuses normales et pratiques superstitieuses féodales, elle a contribué à normaliser les activités religieuses elle-mêmes. En améliorant les relations avec les organes taoïstes des différentes régions, elle a a pris en charge l’exigence des fidèles d’être légitimement représentés et de faire valoir leurs justes revendications. Ainsi a-t-elle élevé leur position sociale et politique, leur a-t-elle assuré une protection légale et un constant soutien financier de leur activité » 13. Lai Yuhang fut réélu à la présidence.


En juin 1987 l’association taoïste célèbre le trentième anniversaire de sa fondation, au moment où elle commence le quatrième cycle de formation de son personnel, à Pékin, avec 48 étudiants venus de 28 centres taoïstes. En mars 1992 elle tient sa cinquième assemblée. Fu Yuantian est élu président, Lai Yuhang devient conseiller. Le rapport officiel sur le travail réalisé fait ressortir : la mise en oeuvre des directives gouvernementales (données en juin 1989 et en juillet 1991) et des instructions données lors des rencontres des chefs religieux avec le secrétaire général du parti communiste chinois, Jiang Zeming (en janvier 1991 et 1992) ; l’accueil de délégations de Hongkong et de Taiwan en plusieurs temples (et les aides financières données par elles pour leur restauration) ; la reprise du rite des ordinations de la secte Quanzhen, la réouverture du centre de Longhu Shan aux daoshi de l’étranger ; les ordinations et les titres officiels de l’école Zhenyi et le début d’une politique générale en faveur des études et des pratiques approuvées.


L’assemblée approuve aussi les « Règles d’administration des temples et des monastères » et les « Règles provisoires d’administration des daoshi de la secte Zhengyi qui ne vivent pas dans les temples » 14. Ces réglements légalisent leurs pratiques privées, même rémunérées, dès lors qu’elles ne comportent pas de superstitions, que ceux qui s’y livrent sont enregistrés et regroupés dans des organisations, exercent dans des lieux approuvés et sous le contrôle des organes gouvernementaux responsables.


Au cours de cérémonies officielles du 10 au 12 juin 1993 des récompenses sont remises à trente-trois institutions du taoïsme et à cent cinquante de ses personnalités, « modèles d’amour de la patrie et de la religion


Le contrôle que le gouvernement maintient à tous les niveaux sur l’association taoïste ne lui permet pas une activité très vive. Ses bons rapports avec le pouvoir sont d’ailleurs favorisés par la présence de personnalités taoïstes dans les institutions officielles, en particulier à la conférence politique consultative du peuple chinois. Sont invités à la huitième réunion de cette conférence, en 1993, et y participent : Fu Yuantin, Li Yuhang, Zhang Jiyu et Ren Farong, en plus de Zhao Zhendong de l’association taoïste de Hongkong.


Restauration et réouverture des temples

Sont surtout actives aujourd’hui les deux sectes taoïstes principales, Quanzhen Dao et Zhengyi Dao. La première, moins politisée et par là plus facile à contrôler, a obtenu avant l’autre l’autorisation de ramener son clergé dans ses temples. Vingt-et-un temples de la secte ont été restaurés de 1980 à 1983, et ses responsables ont peu à peu été placés à leur tête. Il y a maintenant environ 450 grands temples et monastères rouverts. Beaucoup qui figurent à l’inventaire des monuments nationaux ne sont que des étapes sur les circuits contrôlés par les fonctionnaires du tourisme et des sources de profit pour l’Etat.

Méritent une mention particulière, en plus des centres des deux sectes principales, le temple Baiyun Guan de Pékin et le siège traditionnel du maître céleste du mont Longhu Shan (Jiangxi) : la salle Pixia des ancêtres du mont Tai Shan et le temple Taiqing Guan du mont Lu Shan (Shandong) ; les monastères et les temples des monts Mao Shan, Guoqu Shan et Linwu Shan (Jiangsu) ; ceux des monts Wudang Shan et Zigai Shan avec le temple Changchun Guan à Wuhan (Hebei) ; ceux des monts Qingcheng Shan 15 et Yulei Shan avec le temple Qinyang Gong 16 à Chengdu (Sichuan) ; ceux du mont Hua Shan (Xi’an) avec les temples des huit immortels et de Louguantai 17 de Zhouzhi (Shaanxi) 18 ; du mont Song Shan à Denfeng (Henan) et d’autres dans le Liaoning ; le temple Taiqing Gong à Shenyang (province de Canton) 19 ; dans le Zhejiang20 sur les monts Chicheng Shan, Wu Shan et Tongbo Shan ; dans le Fujian, tels ceux du mont Qingyuan Shan ; à Shanghai comme le temple Baiyun Guan ; à Suzhou, à Xining dans le Qinghai,etc.

Ces temples hébergent tous des pensionnaires permanents et des hôtes de passage. Parmi ces derniers se trouvent aussi des étrangers avec la permission de la police locale. Situés dans des régions de montagne d’une rare beauté, ces temples attirent les touristes autant que les passionnés d’arts martiaux. Ce qui ne va pas sans problèmes : « Beaucoup de temples sont devenus des zoos, se lamente un daoshi, on nous considère comme des animaux de cirqueC’est pourquoi nombreux sont les daoshi qui se retirent dans la montagne et y mènent la dure vie des ermites.


La récente reprise de la célébration annuelle des fêtes traditionnelles a amené celle des festivités taoïstes, dans les temples et dans les villages, avec leurs cérémonies accompagnées de chants et de musique (instruments à percussion et à vent). Dans les temples, aux rites populaires qui reviennent chaque année s’ajoute la célébration des anniversaires des divinités, spécialement celui de Yuhuang, l’empereur de jade, des San Qing (trois purs), des San Yuan (trois origines), de Laotseu, des Baxian (huit immortels, en particulier du patriarche Lu), de Guandi, de Wen Chang, de Tianhou (reine du ciel), etc.

La réglementation ne date que de 1992, mais beaucoup de communautés avaient repris dès le début des années 80 la célébration des Jiao-zhai, rites de renouvellement, de purification et de suffrage. En janvier 1986, pour la première fois depuis trente-sept ans, aux environs de Zhangzhou (Fujian), 250 familles d’un même clan ont célébré un jiao de cinq jours.


Formation des responsables et des agents religieux

A Shanghai, au temple Baiyun Guan, l’Association taoïste de la ville a organisé de 1986 à 1989, pour trente étudiants venus spécialement de Jiangsu, son premier cycle triennal de formation religieuse et sociale, à la fois théorique et pratique. Le deuxième cycle a commencé en 1982 avec le même nombre de participants.

Mais le principal institut d’enseignement supérieur du taoïsme est celui du temple Baiyun Guan de Pékin, qui a commencé en 1984 à accueillir chaque année une quarantaine d’élèves venus de toutes les régions du pays. Les cours portent sur l’histoire du taoïsme, la philosophie taoïste, l’alchimie interne, les arts martiaux, la politique, la langue chinoise et les langues étrangères,etc. et s’étalent sur deux ou trois années. Le 1er avril 1993 la nouvelle année scolaire a été ouverte avec un cours d’initiation et un cours de perfectionnement d’une durée moyenne de deux ans. Les quarante étudiants, dont l’âge moyen était vingt-cinq ans, venaient de seize provinces ou régions autonomes, une bonne trentaine appartenant à la secte Quanzhen, les autres à celle de Zhengy.

Dans les régions et au niveau local les centres de formation organisent généralement des cours d’une année. Mais les novices y sont absorbés par le service du temple et le soin des visiteurs. Décrivant en 1985 la situation au mont Qingcheng Shan où vivaient une cinquantaine de novices, jeunes gens et jeunes filles, le sinologue belge Julien F. Pas écrivait : « Absorbés par des tâches matérielles, ces jeunes ne semblent pas voir beaucoup de temps pour l’étude, les exercices spirituels et la maîtrise de soi. Comme je ne voyais pas de bibliothèque, l’abbé à ma demande m’a conduit à l’étage, au-dessus de la salle des San Qinq. La bibliothèque était bien là, mais elle ne semblait pas fréquentée : étagères fermées, pas même de table dans la pièce. Les novices disposaient de textes pour l’étude, mais je n’ai pas eu la possibilité de les voir, sauf un petit manuel d’histoire du taoïsme. Au dire de l’abbé, le temps des exercices spirituels était le soir. Les prières étaient récitées matin et soir, mais individuellement. Leur récitation en commun était réservée au premier et au quinze du mois lunaire » 21. En 1985 vivaient au temple du mont Wudang Shan environ quatre-vingts taoïstes, dont soixante novices des deux sexes, qui s’étaient retirés là au cours des deux années précédentes. Leur vie ressemblait à celle qu’on vient d’évoquer : le travail et le service des visiteurs absorbant la plus grande partie du temps et ne laissant qu’une heure le soir pour l’étude.

En 1993, au centre de Louguantai, près de Xi’an (Shaanxi), il y avait plus d’une cinquantaine de daoshi, dont vingt jeunes, presque tous membres de la secte Quanzhen. Comme ailleurs, l’accent était mis sur le travail manuel et les exercices religieux étaient normalement laissés à l’initiative de chacun, à l’exception de la cérémonie commune, matin et soir, du premier et du quinze du mois 22.

Toute ordination de daoshi fut interdite à la prise de pouvoir des communistes. Après le lancement de la politique de libéralisation, en 1979, on recommença à voir dans les temples quelques jeunes portant le chignon traditionnel et à parler de jeunes daoshi ordonnés. Thomas Hahn, spécialiste allemand du taoïsme, écrivit en 1986 : « Pour résumer la situation telle que nous pouvons encore la voir aujourd’hui, nous devons dire que les premiers novices ont été affectés aux temples taoïstes à partir de 1981 et qu’ils y sont çà et là devenus plus nombreux que les daoshi anciens. Mais ils n’étaient pas ordonnés, même après avoir accédé aux échelons supérieurs de la hiérarchie administrative du templeCe n’est qu’en septembre 1989 que furent officiellement approuvées des règles pour les ordinations, les dignités, les nominations et les affectations du clergé taoïste. Cette année-là, du 12 novembre au 2 décembre, fut célébrée à Pékin l’ordination de soixante-quinze nouveaux daoshi de la secte Quanzhen, qui reçurent chacun un certificat. Cette cérémonie, la première depuis 1937, était présidée par le vingt-deuxième abbé de la secte, Wang Lixian.


Etudes et recherches

Dans les milieux taoïstes, le niveau des études et de la recherche reste inférieur à ce qu’il est dans les autres traditions religieuses. Les organismes qui s’y intéressent le plus sont les départements d’étude des religions de l’académie des sciences sociales, en particulier à Pékin, Shanghai, au Sichuan et au Jiangsu. Depuis quelques années des instituts de recherche sur la culture taoïste ont été fondés à Pékin (1989), Shanghai (1988) et à Xi’an (1992). Ils organisent des sessions sous le parrainage de l’association taoïste chinoise.

Les études et recherches que l’association favorise et qui reçoivent leur impulsion et leur orientation de l’institut de recherche taoïste de Chine fondé dans ce but à Pékin en 1990, suivent en général un critère de rentabilité. On publie davantage de recueils populaires de légendes et d’anecdotes ou de manuels d’arts martiaux que de textes pour les études universitaires et pour la formation spirituelle. Cependant les études de ce genre ne manquent pas et ont été récemment encouragées. L’organe de l’association créé en 1982 sous le nom de « bulletin de l’association taoïste » (Daoxiehuikan) et devenu en 1987 « Le taoïsme chinois » (Zhongguo Daojiao) publie en plus d’informations sur ses activités des études concernant les écritures, les doctrines et les traditions de méditation liturgique. Les associations taoïstes de province suivent la même ligne : celle de Shanghai publie depuis 1988 le Shanghai Daojiao, celle du Shaanxi, depuis 1992, le Sanqin Daojiao, etc. Et il y a beaucoup de bulletins locaux. Toutes ces publications font un effort remarquable pour rééditer et présenter de nouveau les écritures classiques et les textes rituels. De 1986 à 1993 on a réimprimé « L’essentiel des écritures taoïstes » (Daozanz Jiyao), extrait de treize mille inscriptions sur tablettes de bois remontant à la dynastie Qing. De 1979 à 1990 ont paru une trentaine de volumes et plus de 450 articles sur le taoïsme. Le « grand dictionnaire du taoïsme » (Daojiao Daijian) a été mis sous presse en août 1993.


Les secteurs les plus étudiés sont : l’histoire du taoïsme, la pensée des sages et des philosophes, les écritures classiques, les sectes, les thérapies de santé et de longévité, l’influence du taoïsme sur la culture chinoise, son impact dans la modernisation en cours.

Sur l’histoire et la philosophie du taoïsme, l’ouvrage le plus important est l' »Histoire du taoïsme chinois » (Zhongguo Daojiaoshi) de Qing Xitai, en quatre volumes, publiée par les « Editions du peuple » du Sichuan à partir de 1988. Sous le même titre un ouvrage composé par plusieurs spécialistes a été publié à Shanghai en 1990.

Les grandes figures de la tradition taoïste qui retiennent le plus l’attention dans les publications et les colloques sont Laotseu, Zhuangzi, Ge Hong, Tao Hongjing ; parmi les contemporains, Chen Yingning (1880-1969) et Lai Yuhang (né en 1916, encore vivant).


Des journées d’étude ont porté sur l’influence du taoïsme dans la culture chinoise traditionnelle et moderne, telle la rencontre organisée en juillet 1990 dans la province de Hubei sur « Taoïsme et culture contemporaine », celles de septembre 1992 à Pékin sur la culture taoïste et la modernisation, et de Xi’an en octobre 1992 (suivie par 61 spécialistes, chinois et étrangers), qui ont voulu attirer l’attention des responsables économiques sur l’actualité de la pensée taoïste.


Parmi les sujets spécialement étudiés citons : l’apport du taoïsme à la médecine et aux méthodes thérapeutiques avec sa recherche de l’immortalité ; son action stimulante pour l’imagination et l’originalité dans la littérature ; en peinture son sens de l’union à la nature… En musique aussi l’influence du taoïsme a été reconnue et, depuis 1984, l’association taoïste de Shanghai produit avec l’aide du conservatoire de la ville des audiocassettes de musiques et de chants traditionnels, en particulier ceux des cérémonies zhai-jiao, et organise des rencontres d’experts. Sont également étudiées les traditions cultuelles et liturgiques taoïstes dans les minorités.


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