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Le bouddhisme et des femmes « remarquables » – Entretien avec Martine Batchelor

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La plupart des livres qui ont été publiés
ces dernières années sur le thème « les
femmes et le bouddhisme » présentaient
surtout des Occidentales et des
laïques. Or, dans « Rencontre avec des
femmes remarquables », tu as présenté
avant tout les témoignages de femmes
asiatiques et, surtout, de très nombreuses
nonnes !

Martine Batchelor :

icone_moines_VN.jpgEn effet, c’était
mon choix ! Quand j’ai vécu comme
nonne zen en Corée, j’ai rencontré
beaucoup de nonnes remarquables. Et,
pendant mon voyage de retour vers la
France, j’ai eu encore l’occasion d’en
rencontrer d’autres, tout aussi remarquables,
notamment à Taïwan.

Une fois revenue en France, quand je
suis redevenue laïque, j’ai eu envie
d’écrire un livre sur ces Asiatiques
qu’on connaît si mal en Occident. On
trouve en effet, maintenant, beaucoup
de livres sur les femmes bouddhistes
occidentales – surtout en anglais –
mais les nonnes asiatiques restent largement
méconnues.

Il existe un très beau livre de Jack
Kornfield sur les maîtres thailandais et
birmans, « Dharma vivant ». J’ai lu ce
livre et je me suis : ce serait bien d’en
faire un comme cela sur les femmes.
On trouve toujours des livres d’hommes
sur des hommes, mais il y a peu
de livres – même dans les pays anglosaxons
– sur les femmes et leur expérience
vécue, surtout en Orient…

J’ai donc pris contact avec deux organismes
pour obtenir des subventions
afin d’écrire ce livre – ce qui a
pris du temps ! – et, finalement, pour
trouver un éditeur, il a fallu que j’y
présente aussi quelques Occidentales…
pour faire vendre ! J’en connaissais
beaucoup ; ça n’a donc pas
été trop difficile… Mais ce n’était pas
dans le projet initial !

Ce qui m’a surpris, aussi, c’est combien
ces femmes évoquent l’importance de la
foi et de l’étude ; deux thèmes dont on
ne peut pas dire qu’ils soient très
fréquemment traités en Occident quand
on parle de bouddhisme !
Je souhaitais montrer que le chemin
bouddhique est en fait beaucoup plus
étendu et varié qu’on ne le pense généralement
: il n’y a pas que la méditation
!! J’ai regroupé aussi ces témoignages
en quatre grandes thématiques
: les femmes qui se vouent à la
méditation, les artistes, celles qui
oeuvrent dans le secteur de l’éducation
et de l’action sociale. C’était aussi une
manière de mettre en évidence cette
variété.

Et il est vrai qu’en Orient les études
sont aussi importantes que la méditation.
Elles font partie du parcours de
toute nonne… quand elles en ont la
possibilité – par exemple, c’est beaucoup
plus difficile en Thaïlande, même
si cela a bien évolué depuis quelques
temps ; mais en Corée, les nonnes –
comme les moines – suivent toutes,
obligatoirement, trois ans d’étude.

Chaque chapitre se présente comme
la transcription d’un entretien assez
libre. Comment se sont passé ces entretiens
?

Au départ, j’avais un plan assez précis.
Je souhaitais interviewer deux
femmes dans chaque pays : Corée,
Japon, Taïwan, Thaïlande…
Mais en fait, en Corée – pays dont je
parle la langue – je suis restée un mois
et j’y ai rencontré en tout une quinzaine
de femmes. J’en ai rencontré
aussi plusieurs en Thaïlande. Mais à
Taïwan et au Japon ce fut plus difficile,
d’abord parce que je ne parle ni japonais
ni chinois et qu’il me fallait un traducteur
; ensuite, surtout au Japon,
parce qu’il y est très difficile d’entrer
en contact avec des nonnes : c’est un
pays très formel et il est nécessaire
d’avoir des « introductions » !…

J’avais préparé un jeu de questions
que je voulais soumettre à chacune :
sur leur vie avant de s’engager dans la
voie religieuse, sur leur parcours spirituel,
leur pratique de la méditation et
la manière dont elles l’enseignaient –
quand c’était le cas -, leur rapport à la
sagesse et à la compassion, ce qui les
avaient inspiré…

Mais, très vite, j’ai dû abandonner cette
dernière question ; elles me répondaient
toutes la même chose : « C’est moi qui
m’inspire ! ». Une autre question que
j’ai cessé de poser c’est celle, « occidentale
» par excellence, de la place des
femmes dans le bouddhisme… Toutes
celles que j’ai interrogé m’ont répondu
: « Nous sommes égales aux
hommes » !…

C’est vrai qu’avec le titre de ton livre,
on aurait pu s’attendre à voir cette
question traitée !

Mais la question ne les intéressait pas,
elles… En fait je n’en parle que dans
l’entretien avec Myongsong Sunim,
qui me dit que « hommes et femmes
sont comme les deux ailes d’un oiseau »,
nécessaires pour que celui-ci puisse
voler ! C’est la position de toutes…
Et qu’est-ce que l’Occidentale que tu
es a pensé de cette réponse ?
D’un point de vue relatif, c’est vrai
qu’il y a des conditions plus ou moins
favorables aux femmes. En Corée, par
exemple, les femmes sont réellement
égales aux hommes, il n’y a aucune différence
! Mais quand on va en
Thaïlande, en revanche, les conditions
sont beaucoup plus défavorables : les
femmes ne disposent pas de lieux
d’étude, il leur est plus difficile d’apprendre
et de pratiquer la méditation,
de devenir nonne, etc. Cependant, dans
l’absolu, si elles veulent réellement
pratiquer, quelles que soient les conditions,
rien ne les en empêche et elles
peuvent devenir elles-mêmes de
grandes enseignantes !

C’est ce qui m’a le plus frappée : rencontrer
des nonnes qui vivaient dans
des conditions difficiles mais qui,
pourtant, étaient totalement épanouies et, quand on leur parlait des hommes,
répondaient : « Les hommes ? Ah oui,
les pauvres… Il faut être gentils avec
eux ; il faut s’en occuper !! »

J’ai rencontré aussi des personnes,
notamment en Thaïlande, qui se battent
effectivement pour l’égalité des
femmes et des hommes. Mais, en général,
cela ne les inquiète pas vraiment
car, en fait, rien ne les avait empêché
de s’épanouir. On trouve toujours des
moines pour soutenir les femmes…
même en Thaïlande !

A propos de la question, finalement
abandonnée, de « l’inspiration »…
Qu’attendais-tu comme réponse ?
En Occident, les gens auraient répondu
: c’est ce texte qui m’inspire,
c’est ce maître qui m’inspire, c’est
telle ou telle chose…
Quelque chose d’extérieur…
Voilà. Alors que les femmes asiatiques
m’ont toutes dit : « C’est moi ! » Je
trouvais cela fantastique… mais il n’y
avait pas grand chose à ajouter !!
Cela dit, la réponse m’a beaucoup inspiré
; en fait, elle m’a confirmé dans ce
que je pensais : c’est bien soi-même
qui inspire.

Alors comment interprètes-tu le fait
qu’en Occident les gens aient besoin
de poser quelque chose d’extérieur
comme déclencheur ?
Parce que notre culture est très
différente et que la spiritualité n’y occupe
pas une place « ordinaire » !
Donc, quand on commence, on se
trouve toujours de bonnes raisons
pour le faire. Quand tu médites, tu
passes pour quelqu’un d’un peu « bizarre
» !! Pourquoi le faire ? C’est
vrai, c’est en train de changer, mais il
faut que tu donnes des raisons, il faut
qu’il y ait une justification, un moteur
extérieur.

Puis, après, ta propre inspiration te
suffit… Pour les asiatiques, comme
elles vivent dans une culture déjà imprégnée
de bouddhisme, elles se disent
« C’est moi qui ai commencé », parce
qu’il n’y a personne qui les y a poussé.
Finalement, comment s’est effectué
ton choix parmi ces interviews ?

Mon souhait était que la voix de chacune
de ces femmes puisse s’exprimer
d’elle-même. Ce n’est pas moi qui
écris le livre, ce sont elles. Chaque
chapitre est différent car chaque voix
est différente. Sur une quarantaine
d’interviews je n’ai gardé que celles
qui me paraissaient les plus claires, les
plus « parlantes » pour les Occidentaux,
qui ne seraient pas trop « exotiques
»…
Il y a tout de même un témoignage qui
pourra paraître très original : c’est
celui de la nonne taïwanaise de
l’école de la Terre Pure, l’école
bouddhiste sans doute la moins connue
en Occident !

Ce fut une interview très rapide, car je
n’ai pu la rencontrer que trente minutes.
Mais elle cadre bien avec l’idée
que je me faisais de ce livre : montrer
que le bouddisme est très varié, qu’il
existe de nombreuses manières de pratiquer
et que notre tendance à dire
« Oh ! ceux-là, ce ne sont pas de bons
bouddhistes… » – parce qu’ils ne pratiquent
pas la méditation comme on
croit qu’il le faudrait – est une réaction
trop rapide et simpliste ! Ces témoignages
ont totalement changé mes
idées à ce sujet. Dans un sens, ce n’est
pas la méthode qui est importante, le
type de technique employée, c’est la
façon dont la personne pratique. J’ai
été assez convaincue par cela !

A Taïwan, j’ai interviewé sept personnes
dans ce temple – qui en compte des centaines… Puis j’ai demandé :
« Quelle est celle d’entre vous qui pratique
le plus ? » et on m’a dit : « C’est
elle ». Je suis donc allé la voir et je lui
ai demandé : « Comment fais-tu, comment
pratiques-tu ? » Mais je me suis
rendu compte que je lui imposais un
point de vue qui était plutôt occidental,
parce que j’attendais qu’elle me
présente une méthode bien définie. J’ai
dû la restreindre, en un sens…
Finalement, la « pratique » est un
champ beaucoup plus étendu qu’on ne
le croit. Nous, Occidentaux, on attend
quelque chose de très « technique »,
mais ce n’est pas du tout le cas. En
fait, je pense que je n’ai pas vraiment
réussi à avoir de réponse, mais plutôt
une impression de ce qu’ils font exactement.

Sa réponse était « fleurie » :
elle parlait de visions, de rêves…
J’étais très impressionnée : il y avait
une telle légèreté, une telle joie, une
humilité, une facilité à être… Au début,
elle m’a dit : « La Terre Pure, il
faut y aller, faire le voeu d’y renaître »,
mais, à la fin, elle m’a dit : « En fait,
c’est là !! »

C’est d’ailleurs l’image qui a donné
son titre au livre en anglais : « Marcher
sur des fleurs de lotus », c’était
une image qui m’avait beaucoup frappée.
On marchait sur le macadam et
elle me dit « Regarde ! » – je regarde…
je ne vois rien… – « Regarde
: il y a des lotus, là !! »
Elle me montrait que c’était ça la pratique
: voir la vie au-delà de ce qui
peut être fixé, avoir cette ouverture,
cet étonnement. Cette nonne, elle m’a
eu au « feeling » – si on peut dire ça en
français !! – ce n’est pas à mon intellect
qu’elle parlait !

A propos de la diversité des pratiques,
tu présentes les témoignages de femmes
qui pratiquent dans les écoles de
la Terre Pure, mais aussi du Tien-Tai,
de l’école de l’Avatamsakasûtra…
J’ai aussi rencontré une Américaine
pratiquante du Shingon, l’ésotérisme
japonais. L’interview était très intéressante…
mais la personne n’a pas
voulu que je le publie, pour des raisons
personnelles. C’est dommage !
Revenons à cette distinction entre
« pratique » et « technique ». Est-ce
un « défaut » particulièrement occidental
?
Non ! Tout le monde est attaché à
« sa » technique !! « Ma technique
c’est une bonne technique, c’est la
technique juste, c’est la meilleure
technique ! » tout le monde dit ça :
Orientaux comme Occidentaux !

Ce que je voulais dire, c’est qu’il y a
généralement cette idée que « Ma
tradition, la façon dont je médite,
dont je prie, les sûtra que je lis, etc.
sont les meilleurs, les plus sûrs, les
plus complets »… Souvent, même si
on dit « Non, non, les autres, aussi,
sont bien… », il y a toujours ce sentiment
: « Mais nous, on est un petit
peu mieux, quand même !! »

En fait, il y a un fil conducteur à tous
ces témoignages : l’attention, la pleine
conscience, la vision éclairée. Toutes,
absolument toutes, témoignent de
cela ! Et je me suis donc dit que, finalement,
la façon dont on médite, la
« méthode », n’y fait pas grand
chose… tant qu’on pratique cette attention,
cette vision des choses,
ouverte et éclairée.

Il me semble que, d’une certaine façon,
on retrouve dans toutes les traditions
les deux pratiques de samatha et
de vipassana, parce que la pleine
conscience vient des deux réunies. En
fait, ce qui compte vraiment, c’est
l’engagement qu’on a, la dévotion, la
pratique réelle, le fait qu’on soit vraiment
sincère, qu’on soit aussi
ouvert… C’est cela qui compte !

Finalement : y a-t-il une différence,
dans le bouddhisme, entre les hommes
et les femmes ?
Pour moi, je ne trouve pas qu’il y en ait !

La Lettre de l’UBE n°16

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