Accueil Espace Bouddhiste Bouddhisme Ralph Stehly — Le bouddhisme tantrique ou Tantrayâna

Ralph Stehly — Le bouddhisme tantrique ou Tantrayâna

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Le bouddhisme tantrique est apparu au 2ème siècle de notre ère au Bengale et en Assam, et au 8ème siècle au Tibet.

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Il comporte quatre écoles:
– le Mantra-yâna,
– le Vajra-yâna,
– le Sahaja-yâna
– le Kâlacakra-yâna.

Le Petit Véhicule se réfère essentiellement à l’enseignement donné par Gautama à Bodhgaya, le Grand Véhicule à celui donné par Gautama au Pic des Vautours (Ghrdrakûta) consigné dans la Prajñâparamitâ, le bouddhisme tantrique à celui donné par le Bouddha dans le ciel Tushita avant sa naissance et dans le ciel d’Indra lors de son ascension.

L’enseignement du tantrisme tibétain est consigné dans deux immenses corpus: le Kanjur et le Tanjur (plus d’une centaine de volumes chacun).

Le tantrisme vise à la réalisation d’une conscience ésotérique, à faire accéder l’adepte à des plans supérieurs de conscience, sur la base de ses propres forces, sans le secours d’une quelconque grâce divine. La littérature tantrique et les actes qui y sont recommandés sont enveloppés de secret et fermés aux non-initiés.

Le Mantrayâna

A partir du 2ème s. de notre ère, le mantra (sanskrit: « formule sacrée ») est la parole utilisée comme moyen de libération. Le mantra est communiqué au disciple par son guru (lama) après une très longue préparation, lors d’une cérémonie d’initiation secrète et constitue la clé par laquelle l’adepte aura accès en lui-même à l’Absolu. Les mantras agissent comme une médecine psycho-active. Ils ne suffisent cependant pas à eux seuls à entraîner la libération. Ils doivent être utilisés concurremment avec la méditation (samâdhi) et la discipline de soi (çîla)

Le Vajrayâna

Le vajra est le foudre, originellement le foudre de la divinité hindoue Indra, sceptre émettant des éclairs. Dans le bouddhisme tantrique, le vajra désigne l’illumination intérieure par laquelle l’homme se rend compte de sa vacuité essentielle, autrement dit de sa bouddhéité. C’est aussi l’instrument rituel du culte du moine vajrayâna, qui comme l’éclair d’Indra, détruit les ténèbres de l’ignorance.

Pour le Vajrayâna, le monde n’est qu’une représentation de l’esprit.

Ainsi chaque objet du cosmos possède une nature individuelle qui se laisse exprimer par une « semence verbale » (bîja-mantra). Quiconque, en tant qu’initié, connaît le bîja-mantra d’un bouddha transcendant ou d’un bodhisattva, peut, par la prononciation de cette formule et sa concentration sur elle, le faire apparaître dans sa conscience.

Dans l’hindouisme déjà, il était entendu que dans le processus de l’adoration d’une divinité, il fallait que l’adorant s’élève au même plan que la divinité, et devienne en quelque sorte lui-même un dieu, selon la formule sanskrite « quiconque ne se change pas en dieu ne peut devenir un dieu  » (na adevo devam arcayet) .

Dans le processus de méditation tantrique, il s’agit aussi en quelque sorte de devenir un dieu ou plutôt une divinité tutélaire (yi dam) qui s’avère être un bouddha ou un bodhisattva.

Le méditant part d’une formule de méditation qui décrit l’aspect et les symboles des diverses divinités, puis il se concentre sur une particularité déterminée, choisie par lui. Il crée un espace-temps en lui que la divinité viendra occuper. Il transforme dans son esprit le lieu où il se trouve en un paradis jusqu’à ce que celui-ci se tienne effectivement devant lui. Au milieu de celui-ci un palais divin. En son milieu un lotus blanc, s’il s’agit de dieux lumineux bienveillants, un lotus rouge dans le cas de divinités effrayantes. Il contemple sur ce lotus la syllabe magique génératrice, symbole sonore représentant l’essence de la divinité concernée (bîja-mantra).

Si par ex. P’yag (pr ja) na rdo rje doit être évoqué, le méditant se concentre sur la syllabe hûm dans son coeur, jusqu’à ne faire qu’un avec cette divinité sous son aspect particulier évoqué par lui. Une telle transformation s’appelle dam ts’ig sems dpa’ ( skt samaya-sattva).

Catharsis

On attribue à chaque individu sa divinité protectrice (yi dam lha), la forme du divin avec laquelle il est en harmonie et qui en vertu de cette attache mène dans la bonne voie la réalisation de sa catharsis.

Le but des exercices mystiques du vajrayâna est en effet une espèce de catharsis. Il ne s’agit point de réprimer les faiblesses humaines, les passions, mais de les transférer sur un plan supérieur. Les passions ne doivent pas être réprimées, elles sont inhérentes à notre nature. Il convient de les sublimer en les purifiant graduellement, ce faisant on en fait l’instrument de leur propre abolition.  » L’homme tel qu’il vit dans le monde est né à cause des passions, mais au moyen de la passion elle-même il redevient libre  » (rDo rge gur).

Le but de la liturgie et des exercices mystiques est d’élever le sems (l’énergie spirituelle du corps inné), il devient sgyu lus (corps subtil), ye she lus (corps de conscience sublimée). Il s’agit de transformer le moi précipité dans la structure espace-temps en un moi délivré de la structure espace-temps.

Le Maître

Comme en Inde, la figure du maître (sanskrit guru, tibétain blama, prononcer lama) joue un très grand rôle dans le bouddhisme tibétain.

Le lien qui unit le maître au disciple est considéré comme étant plus important que les liens du sang. On appelle sampradâya (sanskrit) ou brgyud (tibétain, prononcer jü) le lien spirituel entre le maître et le disciple et grâce auquel tous deux s’insèrent comme les maillons dans une chaîne qui garantit une durée ininterrompue de l’enseignement et de l’expérience mystique.

Lors de l’initiation la Parole (lung) et la Puissance (dbang) sont transmis de manière indissoluble. Paroles et expériences se reproduisent en vertu des normes govatsanyâya ( » lien vital qui existe entre la vache et le veau qu’elle a nourri de son lait et qu’elle a élevé « ). Une initiation simplement fondée sur la parole écrite d’un livre, sans lien avec un lama présent est non seulement dénué d’efficacité, mais peut même être pernicieux. Si la chaîne s’interrompt, la doctrine n’étant plus désormais contenue que dans les écrits perd de son efficacité. Ce n’est plus qu’une sorte de cadavre et aucune puissance au monde ne saurait lui rendre vie et lui faire reprendre vigueur. En la personne du maître s’associent donc deux fonctions:

1) le maître transmet la parole (lung), il assure la continuité de l’enseignement

2) le maître confère la puissance (dbang) par l’initiation ou la consécration.

En Inde, de même on fait la distinction entre le çiksha-guru (maître de l’enseignement) et le dikshâ-guru (maître de l’initiation)

Les maîtres indo-tibétains ont une remarquable aptitude à susciter des états psychiques où l’on est hors de soi et dans des états de vie intensifiée. ces expériences attestent leur capacité à saisir les mécanismes qui influent sur le psychisme à des niveaux extrêmement profonds et déclenchent ainsi des états paranormaux que les maîtres peuvent ensuite diriger comme il convient.

© Ralph Stehly, Professeur d’histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg

stehly.chez-alice.fr/


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