MARCHER SUR LA VOIE [[Traduit de l’Anglais par Hélène LE, pour www.buddhachannel.tv ]]
28.06.2008
BANGKOK, Thaïlande – Après trois heures passées dans le trafic et une rude entrevue téléphonique sur la pagaille politique actuelle – au parlement et dans les rues – Rosana Tositrakul parvient à paraître disposée et décontractée au moment d’entrer dans la salle et de rejoindre une table ronde de discussion. Son sujet : La vie en tant que bouddhiste engagé dans les mouvements sociaux.
<< Photos de YINGYONG UN-ANONGRAK
Le forum est au programme du forum de discussion mensuel avec le nouveau groupe de conscience, ou Jitwiwat, initiative de l’érudit respecté le prof. Prawase Wasi.
Dès son arrivée, un jeune auteur, Vichak Panich, s’approche d’elle et lui présente son nouveau livre sur l’apprentissage de sa propre transformation. « Pour un guerrier féminin » a t-il dédicacé.
Rosana derrière ses lunettes, est stupéfiée. » J’aime un peu l’idée. Qui est ce que je décris moi-même quand je suis sur le point de lutter pour quelque chose, d’aller en avant et atteindre mes buts,» indique Rosana Tositrakul, 55 ans, activiste sociale vétéran et sénatrice nouvellement élue de Bangkok. « Il ne s’agit pas d’une meilleure position ou de richesse. Il s’agit de lutter pour ce qui est vrai et juste. Cet esprit combatif me maintient en vie, » dit-elle, les yeux brillants.
Reprenant l’idée de guerrier dans son discours, Rosana indique qu’elle a été inspirée par la vision du guerrier dans le Shambhala du maître de méditation tibétaine Chogyam Trungpa : La Voie Sacrée du Guerrier, un livre qui détaille la vision des individus établissant une société éclairée, aussi bien que par le message de Miguel de Cervantes dans Don Quichotte, qui relate l’histoire du chevalier fou combattant l’injustice.
C’est ce qui l’a amené à intégrer la politique nationale, en dépit des avertissements venus de toutes parts : la politique serait « sale ». Mais sa conviction à redresser le mal a frappé les électeurs de Bangkok. Ils lui ont donné leur approbation avec 740 000 voix.
Activiste sociale depuis l’école, la contribution discrète de Rosana en bouddhisme engagé et les mouvements non-violents évoluent après l’effondrement économique de 1997, lorsqu’elle amène près de 30 groupes civiques à exposer la corruption présente au sein du ministère de la santé publique. Et pour la première fois dans l’histoire thaïe, un politicien alors ministre, est emprisonné pour corruption.
Le nom de Rosana devient célèbre lorsqu’ elle décide de travailler avec d’autres groupes pour les droits du consommateur lors d’une campagne contre la privatisation de l’ Autorité Génératrice de l’Electricité de Thaïlande et PTT PCL, le géant national du pétrole et du gaz.
« Je n’ai aucune ambition en politique ni aucune aspiration à l’héroïsme, » se défend cette franche activiste de la paix. » Mes actions font partie de ma pratique bouddhiste – le bouddhisme socialement engagé ».
Pour elle, pratiquer le bouddhisme ne consiste pas seulement en conversations philosophiques ou en méditations de sofa ; ce sont des actes de compassion, de courage et de compréhension pour aider à soulager la souffrance.
« Le bouddhisme engagé, c’est tremper vos pieds et mains dans la boue, mettre votre pratique en action »
« Le bouddhisme engagé, c’est tremper vos pieds et mains dans la boue, mettre votre pratique en action, » explique t-elle. « Tout ce qui vient dans la vie, je le prends comme une leçon qui m’aide à pratiquer la voie. »
Cela signifie préserver un esprit calme, inébranlable et compatissant, en dépit des critiques faisant d’elle une « rétrograde » et « gauchiste » penseuse qui traînerait le pays en bas de l’échelle économique jusqu’à sa ruine, et malgré avoir été traînée plusieurs fois en justice par de hauts fonctionnaires et politiciens au pouvoir. Recevoir des menaces de mort ou entendre une bombe exploser près de son bureau font également partie du contrat.
Les gens aiment se mettre des étiquettes, dit-elle. « Si vous n’êtes pas de droite, alors vous devez être de gauche. Si vous n’êtes pas avec nous, alors vous êtes avec eux. Le bouddhisme nous enseigne de ne pas nous situer sur les extrémités, ce qui n’est pas chose facile. Je dois me rappeler constamment de ne pas errer et ne pas me perdre dans tout ceci. »
A chaque fois qu’elle se demande si elle est sur la bonne voie, elle pense au conseil d’un maître de méditation qu’elle respecte énormément, Luang Por Khamkhian Suwanno. « Luang Por Khamkhian m’a enseigné dans le passé, que lorsque nos esprits s’aventurent hors de la normalité et de l’équanimité, c’est mal. Peu importe que puissent être bonnes les raisons que nous invoquons pour justifier nos émotions et les causes de nos actions, c’est mal. Être en colère ou vindicatif n’est jamais juste.
« Après avoir dit tout cela, je dois préciser que je suis encore en train d’apprendre et d’essayer. »
Sources d’inspiration
Etudiante en journalisme et communications de masse à l’université de Thammasat en pleine floraison démocratique des années 1970, l’aspiration de Rosana au changement a été forgée par des penseurs bouddhistes contemporains tels que Buddhadasa Bhikkhu, le moine zen vietnamien Thich Nhat Hanh et le pionnier japonais de l’agriculture naturelle, Masanobu Fukuoka, ainsi que le gourou Mahatma Gandhi de la non-violence. Ils restent sa source d’inspiration, précise t-elle.
En lectrice avide, Rosana a créé son propre rituel pour incarner les idées des livres qu’elle lit : elle vise la traduction d’un livre par an. Celle-ci étant réalisée pendant les trois mois de retraite de la période du jeûne bouddhiste, loin du travail, au moment même où elle pratique la méditation dans un temple de forêt.
Tandis qu’elle traduit plusieurs titres de Thich Nhat Hanh, elle adopte les idées du maître zen sur la communauté de la Sangha dans la sa vie et son travail. Pour vivre son concept, Rosana avec environ 14 amis, double « L’ordre de l’inter-être », rassemblé une fois toutes les deux semaines pour exposer 14 formations de pleine conscience, des directives pour une vie de pleine conscience et un travail dirigé vers la paix et le service social.
Rosana raconte qu’elle a appris nombre de précieuses leçons de Thich Nhat Hanh, qu’elle appelle Thay (« professeur »), à la fois par ses livres et pour avoir été en sa compagnie lors de son cours séjour en Thaïlande il y a près de 30 ans.
« Bien que moine et professeur, Thay n’a pas essayé de m’imposer ses points de vues et pratiques. Il était juste lui-même et cela m’a inspiré pour suivre ses pratiques et enseignements, » raconte t-elle.
Un des principes auxquels elle s’accroche immuablement est qu’, « avoir différentes convictions n’est pas un problème. Cela le devient quand nous essayons de forcer les autres à adopter nos idées, » expose Rosana.
Le bouddhisme encourage le dialogue compatissant et la discussion, dit-elle. « Mais la voie du Bouddha peut prendre un certain temps, dont la génération télécommandée d’aujourd’hui ne dispose pas. Nous sommes habitués à obtenir des choses rapidement et immédiatement. Et nous intégrons cette attitude dans notre manière de résoudre les problèmes. »
Rosana explique que du point de vue bouddhiste, travailler au contact d’injustices et de fléaux sociaux nécessite une grande compassion ainsi qu’une grande compréhension de l’interconnexion des choses. Elle dit s’être renseignée sur le sujet tandis qu’elle travaillait comme ouvrière agricole en 1989.
Après la traduction d’un classique de tous les temps, La Révolution d’Un Seul Brin de Paille, par Masanobu Fukuoka, un maître de l’agriculture naturelle, Rosana postule pour un programme d’échange afin de travailler dans des fermes japonaises. Son seul objectif est de rencontrer le philosophe et fermier visionnaire Fukuoka.
« Après un travail de neuf mois dans les fermes, et deux jours passés entre 30 trains, je suis enfin arrivée jusqu’à la ferme de l’oncle Fukuoka », se souvient t-elle dans un sourire. »Une fois, alors que nous prenons le train ensemble, vers une autre ville, oncle Fu me dit, » Rosana, nous ne devrions pas nous inquiéter quant à savoir si nous allons arriver à destination. Nous devrions focaliser notre attention sur la question de savoir si nous sommes dans le bon train. Si nous sommes dans le bon train, alors nous pouvons être sûrs que nous parviendrons à la bonne destination, tôt ou tard. »
Elle passe quelques mois avec Fukuoka et apprend la philosophie du naturel, de l’agriculture et l’art de vivre de la « non-activité ».
« Il s’agit de maintenir l’équilibre. Les mauvaises herbes ne se développent pas si vous améliorez la qualité du sol. La plupart du temps, les mauvaises herbes se développent dans un sol abîmé. Cela fait partie d’une protection naturelle avant que le sol ne se transforme en désert. Ainsi nous ne devons pas combattre un système mauvais directement, nous pouvons cultiver un bon environnement afin que de bonnes choses s’y développent, » indique Rosana.
Cela s’applique également à la politique, croit-elle. Pour Rosana, le sol de la politique parlementaire peut être guéri par la politique et la responsabilisation du peuple. C’est pourquoi elle a un grand respect pour Gandhi qu’elle considère comme son modèle.
« Gandhi m’a beaucoup inspiré. Il a expérimenté ses idées dans sa propre vie. Il a voulu apporter la vérité dans la politique. C’était un visionnaire qui a entrevu que pour obtenir l’indépendance indienne de l’Angleterre, il était important que les gens soient indépendants, » dit-elle.
C’est la vision de Gandhi sur l’indépendance qui l’encourage à commencer les Herbes pour un Projet d’Indépendance, qui plus tard résultent en un grand intérêt public pour les médecines herbales et traditionnelles. Le projet se développe plus tard et devient la Fondation Holistique Thaïe de la Santé qui vise à accentuer l’importance de la santé holistique et la richesse de la connaissance locale dans ce domaine.
L’une des batailles de Rosana est le consumérisme qui incite les gens à croire que leur bonheur dépend de leurs possessions matérielles. Un programme volontaire de massage pour bébés est l’un de ses petits projets dont l’objectif est de faire voir aux gens les mensonges de cette croyance.
« Je veux que les gens réalisent que leur bonheur est entre leurs mains. C’est simple. Allez masser des enfants et vous connaîtrez la félicité de la joie. Notre bonheur ne vient pas de notre consommation, mais de notre don aux autres, » croit-elle.
Indépendamment de son programme de massage d’enfants, Rosana s’adonne également à son passe-temps : étendre des feuilles d’or sur de petites statues de Bouddha. « C’est un passe-temps méditatif et cela produit des cadeaux de valeurs. Et çà m’égaye aussi.
« Travailler pour des causes sociales et lutter contre l’injustice demande du temps. Le succès ne vient pas facilement ni rapidement. Et parfois, cela peut freiner votre cœur. J’ai donc besoin de quelque chose pour stimuler mon esprit, quelque chose que je peux réaliser en une période définie.
« Cela m’aide à poursuivre les tâches difficiles, et longues ».
Destin humain et tabebuia
En effet, le chemin de Rosana n’a pas été de tout repos. A maintes reprises, elle se décourage. Ses Herbes pour un Projet d’Indépendance, par exemple, a connu un recul lors de l’introduction de l’arrangement des soins de santé à 30 bahts. « Les gens sont soudainement retournés dépendre du traitement médical plutôt que de prévenir en se soignant, » explique t-elle.
Ses 30 années d’effort seraient-elles vaines ? Le message de l’indépendance serait-il perdu ? « Parfois il semble insignifiant de lutter encore et encore pour obtenir de bonnes choses. C’est un travail sans fin. »
L’absurdité de la vie lui rappelle le destin du Sisyphe de la mythologie grecque, particulièrement dans l’interprétation qu’en fait l’auteur français natif d’Algérie Albert Camus.
« Le destin de l’homme est comme celui de Sisyphe, condamné à répéter pour toujours, la même tâche insignifiante qui consiste à faire rouler un rocher jusqu’au sommet d’une montagne, pour le voir retomber encore et encore. Cela semble injustifié et insignifiant. »
Cependant, poursuit-elle, Camus note qu’un jour, tandis que Sisyphe pousse le rocher vers le sommet de la montagne, il voit une petite fleur s’épanouir le long du chemin, et il se sent heureux.
« C’est peut-être la raison pour laquelle nous devons continuer ce que nous faisons, malgré les tâches injustifiées et fatigantes, car il y a de la beauté le long du chemin. »
Le message de Camus fait écho au sien. Rosana s’est rapidement identifiée au romancier car elle aussi, trouve sa consolation dans les fleurs – le tabebuia, ou trompette rose, une version thaïlandaise du Sakura.
« Tous les ans, quand vient la saison, je suis aussi enthousiaste que si un ami venait me voir. »
Une fois par an, de février à mars, Rosana se rend dans les quartiers de tabebuias en fleur.
« L’arbre est simplement magnifique. Il se tient seul, étendant ses branches d’une manière tellement élégante. Et les fleurs roses sont juste belles à en couper le souffle. En dépit de l’environnement peu amical, le tabebuia reste fidèle à la saison. Il se développe et fleurit courageusement.
La vérité indéniable s’exprime d’une manière si ordinaire. Quand nous nous accordons le temps de contempler la manifestation de ces vérités naturelles, nous avons les pleins pouvoirs et nous nous sentons activés, » dit Rosana.
Quand la saison s’achève, Rosana a des photos du tabebuia à regarder, pour se rappeler qu’elle doit continuer ses tâches ascendantes, tout comme Sisyphe.
» Il est de notre devoir de faire le bien, de persévérer et persévérer, pour créer un karma positif, et on s’occupera du reste, » dit-elle.
« Mon professeur spirituel m’a dit un jour qu’un bouddhiste devait saisir n’importe quelle occasion pour faire ce qui est juste et faire que les choses le deviennent, au travers de petites actions. Peu importe que vous réussissiez ou échouiez. Après tout, le bouddhisme est le chemin et le but en lui-même. »
Par KARNJARIYA SUKRUNG
Source : The Bangkok Post