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Naissance, maladie, fin de vie et mort : éclairage du bouddhisme.

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21 septembre, 2009

Atelier-débat question d’éthique :

« Naissance, maladie, fin de vie et mort : éclairage du bouddhisme. »

« Les êtres sont possesseurs de leurs actes et héritiers de leurs actes. L’acte est la matrice d’où ils naissent, I’acte est leur ami, leur refuge. Quel que soit l’acte qu’ils accomplissent, qu’il soit bon ou mauvais, ils en seront les héritiers » (Mo, III, 203.)

Introduction

Le sujet choisi pour ces ateliers coïncide avec le travail parlementaire en cours sur l’actualisation des lois de bioéthique et fait suite à des états généraux qui se sont tenus au printemps dans tout le pays. La réflexion sur l’euthanasie est toujours d’actualité et les prises de position des religions monothéistes sur ces thèmes sont régulièrement rappelées.

Deux ateliers-débat se sont déroulés au dojo de Nice les 6 et 27 Juin 2009.

Éthique du vivant

La bioéthique s’envisage sous trois angles qui se complètent:

  • l’angle légal qui fait référence à la loi votée par le parlement, reflet de l’évolution de la société et qui nécessite une application bienveillante.
  • l’angle scientifique qui fait référence aux avancées techniques mais aussi à l’éthique professionnelle (code de déontologie)
  • l’angle religieux qui fait référence aux principes généraux (dogmes ou préceptes) et à la casuistique (cas particuliers)

L’éthique bouddhiste consiste fondamentalement en l’éclairage apporté par le Dharma sur l’action/karma.

Le corpus bouddhique comporte de nombreux enseignements du Bouddha sur l’éthique qui s’appuient presque toujours sur des questions très pratiques posées par les disciples à partir de situations rencontrées dans leur vie.

Les réponses apportées par le Bouddha découlent directement de son expérience de l’éveil.

Le premier précepte bouddhiste consiste à s’abstenir de tuer.

Ce précepte repose sur la nature précieuse de la vie des êtres sensibles et particulièrement des êtres humains dont la condition est l’occasion unique de pratiquer la voie et d’apporter une solution à la souffrance de nos existences.

Les préceptes ne sont pas des commandements absolus ou des dogmes mais des principes qu’il faut interpréter avec compassion dans notre réalité quotidienne faute de quoi ils peuvent générer de nouvelles souffrances.

Ainsi dans le bouddhisme et en particulier dans le bouddhisme mahayana l’état d’esprit, l’intentionnalité de l’auteur des actes pondère les préceptes (éthique de valeur). La prise en compte des causes et des conditions joue un rôle important en terme de rétribution karmique.

Si une atténuation des conséquences de l’action peut être envisagée, tout acte reste néanmoins porteur de ses fruits karmiques. La prise de conscience des conséquences de ses propres actes et la pratique des préceptes génèrent un comportement plus juste et pour le bonheur du plus grand nombre (éthique utilitariste). Il n’y a aucun recours à une autorité transcendante ou un jugement divin dans ce processus. La conscience de l’interdépendance nous ouvre à la compassion envers les auteurs d’actes conditionnés par l’ignorance. Un acte négatif peut être à l’origine d’une prise de conscience ultérieure et il est nécessaire de développer une profonde compassion lorsque un conseil éthique est sollicité.

La causalité karmique n’est pas la seule loi de causalité pouvant conditionner nos actions. Au-delà de la prise de conscience claire de nos bonnos, la force des mauvaises habitudes est un puissant poison pour l’éveil.

Le bouddhisme vise à transformer l’être humain en être éveillé c’est-à-dire animé de compassion et qui va s’interdire de générer de la souffrance par ses actes. Il développe la conscience des liens de causalité, des enchaînements et finalement du karma. Même si l’on ne peut pas prévoir toutes les conséquences d’un acte, d’une parole ou d’une pensée, il est nécessaire d’en prendre conscience (vigilance) et d’agir avec sagesse en évitant de nuire. La sagesse invite parfois à différer un choix influencé initialement par les émotions et les conditionnements. La pratique de zazen laisse émerger un comportement compassionnel, responsable et finalement éthique. Un allègement du poids de la causalité karmique sur nos existences est alors réalisé instantanément et automatiquement.

La sagesse dans le bouddhisme c’est la compréhension de la vraie nature de l’existence, c’est-à-dire des trois sceaux du dharma :

  • L’interdépendance qui implique la responsabilité et la compassion et qui repousse les limites de « l’être » de la philosophie occidentale.
  • L’impermanence qui implique l’acceptation de la mort et au-delà la réalisation de la non naissance et de la non mort.
  • Le non soi ou la vacuité qui implique la dissolution de ce sur quoi repose l’ego et permet de vivre l’interdépendance et l’impermanence.
  • Le nirvana est le quatrième sceau qui se réalise par l’actualisation des trois précédents et procure la paix, la liberté et la résolution des souffrances pour soi et les autres.
Le « sans trace » (1)

Le « sans trace » fait référence à l’enseignement de Dôgen dans le Genjô Kôan : « Se connaître soi même c’est s’oublier soi même, s’oublier soi même c’est réaliser l’éveil avec tous les êtres et c’est un éveil sans trace ».

Le « sans trace » signifie alors sans attachement à l’éveil. Cela ne veut pas dire que l’éveil n’a pas d’effet. Dôgen parle de la voie de l’oiseau qui ne laisse pas de trace dans le ciel. Cela signifie être sans attachement à ce qui a été vécu, à soi même, aux bons mérites de la pratique, à l’éveil afin de laisser surgir le nouveau à chaque instant. L’autre versant des choses c’est que notre pratique, nos actions vont avoir des conséquences sur notre propre vie future et sur les autres. C’est le fondement de l’éthique basée sur l’évaluation des conséquences. Il y a des conséquences. Il y a des traces.

Naître et renaître

Les textes canoniques ne font pas référence à l’interruption de grossesse aussi faut il se tourner vers les enseignements et les écrits des maîtres contemporains. Conformément au premier précepte il faut, à titre personnel, éviter d’avoir recours à l’avortement. Cette pratique est néanmoins une réalité incontournable de toutes les sociétés développées qui suscite un questionnement éthique complexe pour le bouddhiste.

La première difficulté consiste à déterminer le moment où débute la vie d’un être humain. Pour les bouddhistes l’être renaît lorsque trois conditions sont réunies: la fertilité de la femme, la fécondité de l’homme et l’existence d’un être à renaître dans le continuum du cycle des renaissances. Le moment où sont réunis les cinq agrégats et l’illusion de l’existence d’un soi est sujette à débat. Pour certains il s’agit d’un événement subit qui intervient à un moment particulier de la grossesse (conception, nidation, après le 15ème mois de grossesse…). La rétribution karmique de l’IVG dépend alors du statut « d’être potentiel » ou « d’être réel » de l’embryon supprimé. La souffrance des femmes qui ont eu recours à l’avortement est souvent retrouvée en thérapie ou lors des ordinations montrant bien que des traces karmiques sont inhérentes à cet acte quel que soit les données du calendrier. Pour d’autres l’acquisition des caractéristiques d’un être réel est un processus continu et parallèle au développement neurologique embryonnaire. L’aspect éthique des recherches sur les embryons, même si des retombées thérapeutiques positives sont prévisibles, dépend aussi de cette réflexion.

L’interruption de grossesse ébranle le continuum du cycle des renaissances. De même qu’une pierre jetée dans un étang crée des vagues qui se propagent à l’infini, l’interdépendance joue ici sur un mode négatif. Il est donc recommandé de s’abstenir de jeter la pierre. Enfin le devenir après la mort et les conditions de renaissance est perturbé pour l’être à naître.

La réflexion sur les causes et les conditions amène dans le même temps à voir l’avortement sous un autre angle. La naissance d’un enfant non désiré, gravement malformé, issu d’un viol peut générer chez la mère et/ou l’enfant à naître une souffrance telle que l’avortement peut être éthiquement défendable et peut être le reflet d’une certaine forme de compassion.

Au Japon il existe une cérémonie dédiée à l’esprit des embryons non advenus à la vie (mizuko kuyo). La pratique du rituel du repentir (ryaku fusatsu) est une aide puissante pour les femmes qui ont eu recours à l’avortement et qui en conçoivent une culpabilité.

Dans l’optique bouddhiste l’éthique à l’échelle de la société fait clairement appel au premier précepte. L’éthique individuelle est plus nuancée et prend en considération les causes et les conditions particulières afin d’éviter une action néfaste et de favoriser l’expression de la compassion.

Tous les bouddhistes sont d’accord sur la nécessité d’utiliser et de promouvoir la contraception et l’enseignement des préceptes insiste sur la nécessité de pratiquer une sexualité responsable.

Une sexualité responsable

La vigilance et l’attention doivent s’exercer dans un acte aussi fondamental que celui de faire l’amour. C’est-à-dire faire l’amour avec un partenaire que l’on aime. Quelqu’un avec qui l’on prend toutes les précautions si l’on ne veut pas d’enfant. Il faut être vraiment irresponsable pour avoir un enfant si l’on n’en veut pas, à part le viol. Si malgré tout un enfant vient à être conçu c’est avec une personne envers qui on a suffisamment de sentiment pour l’assumer. Cela nous met face à notre responsabilité non seulement sur le plan de la procréation mais aussi au niveau des sentiments. Il ne faut pas traiter l’autre comme un objet et faire l’amour sans discernement. D’un point de vue bouddhiste cela signifie interdépendance totale de la création et éventuellement procréation. De cette façon il est possible de diminuer de façon importante les grossesses non désirées.

Vivre et souffrir

La connaissance de la souffrance, la maladie, la vieillesse et de l’impermanence de la vie est le point de départ du désir d’éveil du Bouddha et cette expérience nous met bien souvent nous aussi en chemin sur la voie qu’il a enseignée et qui a été transmise par les patriarches et les maîtres.

Pour le bouddhiste la pratique de la bienveillance et de la compassion est fondamentale dans l’approche de la souffrance que ce soit sa propre souffrance ou celle d’autrui.

Le don d’organe est exemplaire de la pratique du fuse et de la compassion permettant d’atténuer la souffrance d’un être humain.

La perte de communication verbale avec un parent devenu dément est une source de souffrance pour les familles. Il est nécessaire de maintenir la relation par d’autres canaux: toucher, son de la voix, émotions partagées… La bienveillance et la compassion s’appuient sur la conscience de la persistance de la nature de Bouddha même en présence d’altérations importantes des facultés cognitives.

En France la loi de 2005 sur la fin de vie autorise les soignants à utiliser des antalgiques puissants pour calmer des douleurs irréductibles chez des malades condamnés même si cela entraîne à plus ou moins brève échéance le décès du patient. Ceci est tout à fait acceptable du point de vue bouddhiste car l’intention est dans ce cas fondamentalement bienveillante.

La fin de vie vécue dans une angoisse ou les douleurs extrêmes est intolérable et peut empêcher l’émergence d’une forme d’éveil ultime. Il est souhaitable que les proches d’un patient en phase terminale établissent une atmosphère sereine, une présence bienveillante et une écoute des besoins exprimés. Pour les soignants il est nécessaire en outre d’arrêter les thérapeutiques devenues futiles et d’optimiser la prise en charge des symptômes sources de souffrance ou d’inconfort. La démarche des soins palliatifs réunit ces conditions et mérite d’être diffusée dans les établissements de soin et auprès des professionnels de santé. Le bouddhisme soutient d’ailleurs activement cette culture et s’y implique même directement.

La cérémonie du kitô dans le zen est dédiée aux patients atteints de maladies graves pour les conduire vers la guérison et la paix de l’esprit.

Souffrir et s’éveiller

La fin de vie se prépare tout au long de la vie. On va mourir comme on a vécu. La fin de vie d’une personne qui n’a pas de préoccupation spirituelle n’est peut être pas le meilleur moment d’un accompagnement spirituel compte tenu de l’état de faiblesse et d’une altération des facultés. Pour quelqu’un déjà engagé dans une voie spirituelle les périodes de maladie, de vieillesse et de difficultés peuvent être des occasions d’éveil, de profonde transformation spirituelle, d’un véritable lâcher prise. La vie humaine, par rapport à toutes les autres formes de vie donne la possibilité de s’éveiller même à l’occasion de souffrances ou de crises graves.

De façon plus fondamentale, l’accompagnement spirituel peut aborder les questions essentielles : Qui souffre ? Qu’est ce que cet ego qui souffre ? Une véritable libération de la souffrance et la réalisation d’une dimension beaucoup plus profonde de la vie sont possibles pour finalement mourir guéri spirituellement. Il est de la responsabilité des bouddhistes de familiariser soignants, accompagnants et familles à l’importance de cette dernière occasion alors même que la médecine curative est en échec.

Mourir et transmigrer

La question de l’euthanasie qui secoue régulièrement le corps social à partir de situations de souffrance exceptionnelle place la conscience du soignant bouddhiste face au code de déontologie et au premier précepte. L’expérience montre que les demandes d’euthanasie par les malades en fin de vie ou leur famille doivent être décodées et que très souvent elles se dissipent par une amélioration de la qualité des soins et par l’accompagnement. Néanmoins certaines situations restent particulièrement difficiles même dans ce cadre.

Il est tout à fait nécessaire de réunir autour d’une personne qui va mourir des conditions favorables. Ceci est aussi bénéfique au mourant qu’aux proches. On croit habituellement que la dernière pensée du mourant conditionne sa renaissance. Une attention particulière doit aussi être apportée au corps du défunt afin de favoriser un meilleur cycle de renaissance.

Dans le bouddhisme l’accompagnement se poursuit au delà de la mort par la pratique de rituels dont le sens profond est d’accompagner l’esprit du défunt et de lui apporter tous les éléments favorables à sa renaissance et à la suite de son développement spirituel. La Sangha et les proches endeuillés reçoivent aussi les bienfaits de cette pratique. La période de 49 jours après le décès est particulièrement importante. Après la mort de maître Deshimaru il y avait quelqu’un qui pratiquait zazen jour et nuit par roulement au dojo de Paris pendant 49 jours.

Pour un mort laïque on peut dédier la cérémonie du matin et le Hannya Shingyo. Pour quelqu’un de plus engagé sur la voie il est possible de transmettre l’ordination post-mortem, les préceptes et un nom d’ordination. Il s’agit donc après la mort de quelqu’un de l’ancrer dans la voie et l’éveil. Il est préférable de formuler, auprès d’une personne de confiance, le souhait qu’une cérémonie nous soit dédiée après notre mort.

Il est possible aussi pour un boddhisatva de transférer les bienfaits de sa pratique à une personne défunte et c’est dans l’esprit des vœux prononcés quotidiennement.

Mourir à chaque instant

Il faut toujours être vigilant à l’état de conscience dans lequel on vit et qui change sans cesse. Nous sommes tous des mourants .La pratique du zen c’est apprendre à mourir à chaque instant de notre vie. Maître Deshimaru disait que pratiquer zazen c’est entrer dans son cercueil, c’est-à-dire lâcher prise de nos attachements qui nous font redouter la mort. Si l’on est dans le processus de s’éveiller à partir de la conscience que nous sommes mortels et que tout est impermanent,alors nous pouvons accompagner des gens en fin de vie beaucoup plus sereinement, leur transmettre cette paix et leur permettre de parler de leurs peurs, de leurs angoisses. On doit aussi s’accompagner tout le long de notre propre vie. On vit et on meurt à chaque instant et on devrait créer des conditions favorables autour des mourants mais aussi autour des vivants.

Agir dans la cité

Certaines Sanghas sont très impliquées dans la vie de la cité en créant des structures d’accompagnement. L’AZI, à la suite de maître Deshimaru, a mis l’accent sur l’enseignement et l’éducation du zen ici et maintenant dans les dojos. La sagesse et la compassion qui se développent alors, chacun doit les réaliser là où il se trouve, dans son milieu. Le risque est de mobiliser beaucoup d’énergie à créer et faire fonctionner des institutions zen au dépend des dojos et de la pratique de zazen. Il est préférable que des pratiquants avancés véhiculent cette sagesse dans la société.

Les moyens actuels comme internet devraient participer à cette diffusion par exemple en créant un forum sur cette thématique sur le site de l’ABZE. Des cercles de réflexion et d’échange entre personnes directement impliquée dans le soin seraient intéressants.

Il est aussi nécessaire que les gens qui en éprouvent le besoin puissent être conseillées en dehors des dokusans avec le godo lors des sesshins. Le conseil spirituel et éthique doit pouvoir être assuré plus largement dans la Sangha.

L’implication directe du dojo dans l’accompagnement spirituel des malades dans les établissements de soins de Nice pose différents problèmes qui nécessitent une réflexion approfondie à mener ultérieurement.

Conclusion

La réflexion bioéthique interpelle le bouddhiste soignant ou non soignant. Cet exercice fait en effet directement appel aux notions les plus fondamentales de notre spiritualité. Elle nous fait prendre conscience qu’à chaque instant nos actions vont influencer notre devenir et celui de notre entourage. Notre vigilance doit donc s’exercer dans les situations les plus ordinaires comme dans les situations de crise, de souffrance ou de choix de vie. La conscience de l’impermanence et du non soi permet de réaliser ultimement la non vie et la non mort dans le continuum du cycle des renaissances. L’éthique consiste simplement à vivre en harmonie avec les lois cosmiques, le Dharma du Bouddha.

Le passé ici et maintenant

Tout notre passé ne se vit que dans l’instant présent et dans l’instant présent le passé infini peut se manifester, se refléter. C’est toujours notre état d’être ici et maintenant qui donne un sens, une coloration particulière au passé qui va nous influencer. L’interdépendance reçoit aussi l’influence du passé mais dans un temps radicalement nouveau ou elle se réactualise

(1) Le texte en italique fait référence aux interventions de Roland Rech retranscrites librement.

Le reste du texte est un compte rendu résumé des deux ateliers.

Source Dojo Zen de Nice

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