CHINE
POLITIQUE DU GOUVERNEMENT COMMUNISTE
A L’EGARD DE L’ISLAM (1949-1978)
Prudence à l’égard des minorités ethniques
En 1945, les communistes définissent ainsi leur politique dans les zones contrôlées par eux : « Toutes les religions sont autorisées dans les régions libérées de la Chine, selon le principe de liberté de foi religieuse. Tous les adeptes du protestantisme, du catholicisme, de l’islam, du bouddhisme et des autres croyances jouissent de la protection du gouvernement du peuple à condition qu’ils observent les lois ».
Mais dans leur entreprise de « libération et unification » de la totalité du pays,
les dirigeants communistes rencontrent beaucoup de résistance chez les populations islamiques. En 1947, entre le Gansu et le Shaanxi, des groupes armés musulmans combattent l’armée communiste et lui infligent de sérieux revers. La région n’est d’ailleurs pas « conquise », mais pacifiée au terme de pourparlers en 1950. De même les Kazak, au nord du Xinjiang, mobilisent leurs forces et résistent par les armes à partir de septembre 1949 sous la conduite de Wo Si Man.
Après la fondation de la République populaire en octobre 1949,
le gouvernement communiste officialise prudemment dans la constitution sa politique de liberté des religions, en donnant des instructions précises pour la faire avant tout observer dans les régions des minorités ethniques. Il faut maintenir envers celles-ci le respect qui convient, se garder à leur égard de toute interférence indue pendant les réformes socialistes. Dans le même temps est créé un Bureau des affaires des minorités pour assumer, avec le département du Front uni, la tâche d’une politique prudente de réconciliation et de contrôle.
Cette ligne d’action se concrétise dans l’autonomie régionale concédée à quelques régions à forte population musulmane, en particulier à la Mongolie intérieure en 1947, au Xinjiang Uigur en 1955, au Ningxia Hui et au Guangxi Zhuang en 1958, au Tibet en 1965, ainsi qu’à de nombreux districts dans les autres provinces.
« Après la Libération,
les communistes ont dû affronter l’esprit indépendant des musulmans,
quand ceux-ci, au Xinjiang, au Gansu et en d’autres provinces se sont soulevés contre la réforme agraire, les abus et l’oppression des cadres. Ils ont alors appris à traiter les minorités avec une très grande prudence, y compris dans le domaine de leur religion, parce que les observances et les pratiques de l’islam sont étroitement imbriquées dans la vie quotidienne de ses adeptes. Mais Pékin a pris soin de camoufler ces conditions de faveur en traitant les fidèles musulmans davantage comme une minorité ethnique que comme un groupe religieux. Il faut en outre observer que la politique communiste à l’égard des musulmans en Chine est également dictée en partie par des considérations internationales. Comme ensemble religieux, les musulmans chinois font partie intégrante du monde islamique du sud-est asiatique et du Moyen-Orient à l’égard desquels la Russie et la Chine ont des visées politiques. Supprimer la religion musulmane à l’intérieur du pays rendrait extrêmement difficile l’amélioration des rapports avec ces régions. L’intensification des activités communistes, en particulier au Moyen-Orient, est donc une cause partielle du traitement plus bienveillant de la religion musulmane par rapport à celui d’autres religions ».
La mise en oeuvre de la politique officielle prend la forme d’une succession d’attaques et de contre-attaques, de coups de poing et de caresses, les autorités communistes gardant l’avantage de pouvoir moduler leur tactique en fonction des circonstances et des réactions locales. Cela va des mesures d’oppression et des attaques directes à l’infiltration et à la création d’organismes qui ont pour but de pacifier, de transformer et de contrôler. Le 10 janvier 1951, le Quotidien de l’illumination de Pékin lance une attaque ouverte contre Mahomet en le traitant de « voleur ». La tempête de protestations qu’elle soulève chez les musulmans de la capitale, qui veulent détruire le siège du journal, contraint les autorités à se rétracter et à changer de tactique. Désormais, elles se servent des personnalités et des organisations musulmanes pour critiquer l’idéal islamique d' »un Etat féodal, de droit divinl’acceptation de la division en classes et de l’injustice sociale, la « nature réactionnaire du grand IslamLes musulmans doivent au contraire « s’unir derrière le Parti communiste chinois pour s’opposer à l’impérialisme et retrancher de leur vie économique et culturelle toutes les manifestations rétrogrades ».
Dans les régions calmes, sous prétexte d’efficacité et de préparatifs de la réforme agraire,
les autorités se hâtent de réquisitionner les mosquées et les locaux pour divers usages. Par exemple, sur 42 mosquées qui existaient dans Pékin en 1949, trois seulement sont encore utilisées comme telles en 1953, avant tout pour le personnel diplomatique étranger ; toutes les autres sont devenues des ateliers ou des entrepôts. Un autre objectif a été d’éliminer « les forces réactionnaires qui contrôlent encore les masses des fidèles musulmansLa tactique des communistes est de pénétrer les groupes et de participer à toutes les activités des musulmans afin de recueillir des informations et de manipuler de l’intérieur les personnes et les affaires en vue des buts recherchés. Pendant la lutte contre les propriétaires terriens et la réforme agraire, bien que des mosquées soient maintenues ouvertes à cause de conditions particulières, sous le contrôle des musulmans du lieu, beaucoup et de mullàh qui n’adhèrent pas aux plans des autorités sont soumis à des procès populaires et condamnés.
Mais les choses ne se passent pas bien,
le Quotidien du Xinjiang l’admet en décembre 1951 : « En diverses régions du nord-ouest, pendant les mois de mai, juin et juillet, on a rapporté 37 homicides, 19 empoisonnements et 17 incendies volontaires. Dans la seule province du Qinghai, en août et septembre, 18 attentats ont été commis : empoisonnements des puits, homicides, vols, attaques à main armée, coupures de lignes du télégraphe et du téléphone… Dans le Gansu, au cours des mêmes mois, on a enregistré des cas d’insurrection armée pendant la réforme agraire dans les cinq districts d’administration spéciale de Linxia, Pingliang, Tianshui, Tingsi et Jiuchuan. De même dans les provinces de Xinjiang, Shaanxi et Ningxia, on rapporte des rumeurs alarmistes, des inscriptions de slogans réactionnaires et d’autres désordres du même genre » .
Au début d’avril 1952,
au moment de la réforme agraire à Pinliang, dans le Gansu, la mosquée est expropriée. Les musulmans de l’endroit, conduits par Yang Jiyun et Ma Guoyuan, prennent les armes et se soulèvent. Ils réussissent à occuper plusieurs districts autour de Haiyuan et de Kuyuan. Seule la coupure des vivres les contraint à se rendre. Leurs chefs sont emprisonnés.
A l’égard des Kazak qui poursuivent leur résistance au nord du Xinjiang,
la tactique communiste consiste en contre-attaques armées répétées, qui finissent par les vaincre. Leur chef, Wo Si Man, soumis en février 1951 à un gigantesque procès populaire à Urumqi, devant une masse de 80 000 spectateurs, est condamné à mort. Mais sa mort ne met pas fin à la résistance des Kazak. Les autorités communistes continuent à leur égard leur politique d’élimination des contre-révolutionnaires en multipliant tout au long de la réforme agraire les mesures discriminatoires, les exécutions et les abus de pouvoir en tous genres.
Ce n’est qu’en 1953
que les autorités adoptent la méthode de la réconciliation en tentant d’allécher certains Kazak par divers privilèges et d’endoctriner les jeunes pour en faire de dociles cadres responsables à leur service.
« Dans la première moitié de 1954,
doit admettre la presse officielle du Xinjiang , on a découvert 3 429 éléments contre-révolutionnaires. D’autres émeutes de caractère politique sont enregistrées dans le Henan où, pendant un court laps de temps, un « royaume islamique indépendant » est fondé en 1953.
A la même époque, dans le but de maintenir l’ordre et le contrôle dans les zones stratégiques de la frontière où vivent les minorités ethniques, les autorités centrales continuent d’y transférer des populations Han, la race majoritaire, en vue d’une « sinisation » en douceur de ces zones. L’uniformité des conditions de vie que le pouvoir impose n’empêche pas de fréquents conflits ni les affrontements. La presse officielle déplore souvent des cas d’atteintes aux us et coutumes de la région : « …Dans certaines provinces comme au Henan et en Anhui, là où les Han et les Hui vivent ensemble, les cadres Han traitent les Hui d’arriérés parce qu’ils ne mangent pas de la viande de porc… Pendant la réforme agraire, dans les provinces du Guizhou et Guangxi, à Tai’an dans le Shandong, à Jingyuan dans le Gansu etc., des cadres n’ont pas traité les minorités ethniques selon l’esprit d’égalité. Au moment de l’allocation des terres, ils font exprès de leur attribuer les parcelles les plus petites et les moins rentables, parfois même les laissent sans rien… »