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vén. Shinjin — Si j’avais un bardo, je mourerais …

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tourniac-bardo-thodol-.jpgLe N° 4 de Sâdhanâ sur le même thème a connu un franc succès, aussi sur la demande instante de plusieurs personnes, un N° 13 (chiffre prédes-tiné) reprend le thème de la Mort, peut-être moins thérapeutiquement, accompagnant, mais avec cette-fois-ci l’optique de la Réincarnation en plus. Parodiant la chanson à grand succès de mon adolescence, « si j’avais un marteau » et à l’intention de Polo dit « P’tit Bardo », j’entonne: « Si j’avais un bardo … je mourerais le jour, je mourerais la nuit … et j’appellerais mon père, ma mère, mes frères et mes soeurs et j’y mettrai tout mon cœur …. ».

Humour mal placé me diront encore certains « aigrichons » qui n’ont rien compris à la Vie, elle même pleine d’humour … La mort, je la côtoie depuis l’enfance; né sous les bombardements de la dernière guerre mondiale, ayant perdu ma première mère adoptive à l’âge de neuf ans; puis ayant moi-même failli mourir à 10 ans (15 jours de coma avaient fait de moi durant cette période, selon la tradition tibétaine, un Delog), ayant aussi par la suite côtoyé plusieurs suicidés, etc. jusqu’au jour où j’ai du mourir, d’une certaine manière, à ce cher Ego qui ne me permettait pas de vivre pleinement et sereinement, tout agité qu’il était d’attachements, de désirs, d’illusions.

Sur le thème de la mort en direct, je vous livre un souvenir, je devais avoir onze ans: nous étions, un après-midi, avec ma seconde mère adoptive dans la rue du Fbg. St. Honoré à Paris. Il y avait sur la gauche un échafaudage le long d’une maison en réfection, quand soudain, j’ai vu, horrifié, une silhouette qui tombait à une vitesse effarante devant mes yeux d’enfants pour s’écraser, à dix mètres de nous, dans un bruit sourd. Le premier réflexe de ma mère fut:  » Ne regarde pas ça, ce n’est pas beau, c’est pas pour toi… » et de m’entraîner rapidement loin de ce spectacle macabre. La mort, c’est laid, ce n’est pas beau, c’est affreux, c’est vilain, c’est une punition, c’est tabou, etc…, voilà les litanies sempiternelles dont nous ont abreuvé les lacunes désastreuses et hypocrites d’un religieux socio-culturel bien occidental. Évidemment, c’était difficile d’expliquer la mort d’un simple ouvrier à un jeune bourgeois de onze ans, surtout quand celle-ci vient de s’éclater, presqu’à ses pieds.

Par la suite, la vie a continué avec son lot de disparitions, tristes et abruptes, prévisibles et libératrices, jeunes ou plus âgées: accidents, suicides, morts naturelles de vieillesse, morts de maladie. A défaut de les ressusciter, je me suis plongé dans l’Ars Moriendi selon les diverses traditions, dans l’étude du phénomène de la mort en lui-même, de ce qui lui succédait, dans ce fameux Au-delà, dont on fait actuellement les « choux gras » dans une littérature débordante de données scientifiques (?) et de témoignages de NDE, EMI… ajoutant encore à la confusion régnant sur ce sujet; ce en oubliant peut-être de laisser  » Les morts bienheureux veiller sur les vivants », comme le disait Khalil Gibran.

Par contre, dans quelque direction que je me sois tourné: judaïsme, « jésuisme », islam, soufisme, hindouisme, bouddhisme, taoïsme, confucian-isme, chamanisme et autres ismes, la seule sentence commune à toute était la suivante:  » Comme tu as vécu, tu mourras ». Bing, on ne peut plus clair! Aussi, j’ai essayé de comprendre ce que la mort pouvait apporter à la Vie, puisque l’une et l’autre sont étroitement liées dans ce lien de causalité. Puis, je me suis plongé dans les textes sacrés, plus ou moins occultés à ce sujet et par le biais des Propositions Essentielles du Bouddha, j’ai retrouvé le sens caché des paroles de Jésus; puis en étudiant le Bardo Thodôl, dépouillé de ses allégories, de ses divinités destinées à frapper l’esprit des fidèles laïcs, j’ai réalisé qu’il y avait des similitudes étourdissantes dans les intervalles entre la mort et la Résurrection, la Résurrection et Pentecôte, d’un côté trois jours du Bardo de la Lumière en soi, de l’autre les quarante neuf du Bardo du Devenir. C’est quoi, en fait, la Pentecôte? C’est la descente de l’Esprit Saint dans la matière, en quelque sorte, l’insufflation du souffle vital dans la matrice pour donner jour à une renaissance …? Ainsi, je me faisais à l’idée que la mort et la renaissance, c’était comme un fil rouge vital dans le Cosmos, à chacun le sien, plus ou moins long et solide.

Creusant l’idée, j’ai trouvé le fameux soutrâ dans lequel il est dit que la vie sous forme humaine est aussi précieuse et rare que l’opportunité qui est donnée « à une tortue aveugle de hisser sa tête à travers l’orifice d’un harnais flottant sur l’océan, afin de respirer ». C’est clair c’est net, ça aussi, dans notre société de « consumation » où l’on est abreuvé quotidiennement de sang, d’attentats, de génocides, de crimes et de meurtres à en devenir d’une banalité effarante, où la vie humaine est devenue une denrée périssable et d’un intérêt tout à fait quelconque à tel point que que la mort a perdu toute sa valeur cosmique, son caractère sacré.

Je me rappellerai toujours le dialogue entre Françoise Giroud et Simone Signoret, dans une émission à la TV sur ce sujet: « Attentat manqué contre Chapour Bakthiar, l’ex-premier ministre en sort indemne, un mort. » Et Simone de vitupérer contre la presse:  » Ce mort, on a jamais su qui c’était; eh bien, Françoise, je vais te le dire, il s’agissait d’une mère de cinq enfants, interprète multilingue à l’UNESCO, avec un mari architecte, se battant pour les droits des enfants, elle a été enterrée de facto anonymement par la presse ». En quoi la mort d’Indira Ghandi aurait-elle plus ou moins de valeur que celle d’une vieille femme dans les « mouroirs de Calcutta » ou celle de Coluche que celle du fils de votre épicier du coin tué aussi sur sa moto …?

C’est ainsi qu’au fur et à mesure, je me suis rendu compte de l’importance capitale que revêtait ce que l’on faisait de sa vie, la façon dont on la menait responsablement, la manière avec laquelle on l’abordait avec discernement, l’aspiration égoïste ou altruiste qui la motivait. Dans les deux cas, il m’a semblé qu’il y avait toujours un après, que cela ne pouvait pas s’achever ainsi, que tous ces potentiels d’énergies ne pouvaient pas disparaître d’un seul coup, en bien comme en mal.

Devant l’urgence d’un « rectificatif », eu égard au temps écoulé, la Vie m’est apparue une occasion merveilleuse d’être essentiellement dans le présent (ce que j’appellerai, non pas la Pleine conscience, mais la Vie-gilance totale), d’abandonner ainsi les questions métaphysiques stériles, pour réaliser sa vraie nature (j’en vois d’ici des malins qui m’objecteront: « alors ceux qui ont la vraie nature d’assassins, c’est pas évident… », ce à quoi je le rétorquerai: « lisez le célèbre soutrâ du brigand coupeur de doigts repenti, Angulimala »! ).

C’est bien pour cela que les renaissances existent (même dans les dogmes des premiers chrétiens, éradiqués en 553) – Une anecdote charmante: lors d’une réception diplomatique, quelqu’un demanda au futur pape, le bon pape Jean XXIII, s’il croyait à la Réincarnation, il aurait répondu par l’affirmative, en ajoutant en a parte: « Mais je n’ai pas le droit de le dire! …. » Les renaissances existent donc pour nous permettre de parachever, à chacune, l’effort accompli dans la précédente pour progresser vers l’Éveil.

Ne dormez pas sur vos lauriers, et comme l’aurait dit l’Anagarika Silânandâ :  » Faites le bien, fuyez le mal et purifiez l’esprit avant tout. » Faire le bien dans cette vie, comment ? Le Noble Octuple Sentier nous en donne les méthodes, ce afin d’abolir la souffrance inhérente à la Mort et à la Renaissance. Ayant transcendé cela, je ré-entonne différemment la chanson du début: « Si j’avais un bardo, je renaîtrais le jour, je renaîtrais la nuit … et j’en f ‘rai part à mon père, ma mère… et j’y mettrais toute ma Vie! »


vén. Shinjin pour www.bouddha.ch

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