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Indonésie — Les funérailles sacrées du tigre

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25.03.2009

Duran, paru dans La Vanguardia
Duran, paru dans La Vanguardia
Depuis des siècles, un petit village de la province de Jambi organise des cérémonies religieuses très mystiques en l’honneur des tigres de Sumatra, une espèce en voie de disparition, écrit l’hebdomadaire indonésien Tempo.

« O toi noble ancêtre, guide de la montagne radieuse, gardien de la forêt vierge, nous convoquons pour toi les chefs de guerre, l’arpent de terre, le bois parasol, ô notre aïeul, viens vite, nous voulons te couvrir d’étrennes… » Tel est le mantra du tigre, dit Ngagah Harimau. Dans le village de Pulau Tengah, situé sur les berges du lac Kerinci [province de Jambi, Sumatra], la cérémonie funéraire pour les tigres est une tradition unique. Depuis des générations, les habitants de ce village vouent un immense respect à ces fauves. Ils leur attribuent divers noms – Inyiak, Ninek ou Tuo –, qui revêtent tous la même signification : créature d’élection. Le lien spirituel entre le tigre et les hommes de Pulau Tengah existe depuis fort longtemps. La croyance veut que l’animal aide les villageois perdus dans la jungle à retrouver leur chemin. Jamais aucun habitant de l’île n’en a chassé. On raconte même que, si un durian [fruit du sud-est de l’Asie] roule à terre, on laisse le tigre prendre sa part en premier.

« La cérémonie du Ngagah a pour objectif de divertir l’esprit du tigre mort pour qu’il soit en paix », explique Harun Pasir, un artiste de Pulau Tengah, âgé de 67 ans. Harun se souvient des dernières funérailles d’un tigre, il y a cinq ans : l’animal avait dévoré un chien, le maître du chien l’a tué avec un bâton. Le cadavre de la bête, raconte Harun, est recouvert d’un drap blanc et transporté sur un palanquin jusqu’à la maison du droit coutumier. Une sorte de trône est dressé là, on y dépose le tigre sur ses quatre pattes comme s’il était encore vivant. On bat alors le terawak, un instrument creusé dans une coque de noix de coco, pour appeler l’esprit du tigre. Le terawak est posé au sol, car le fauve, dit-on, perçoit les vibrations de la terre. Puis on ôte le voile blanc qui recouvre sa gueule et on place à côté de lui, un à un, tous les objets de ses étrennes. Le principe étant : œil pour œil, dent pour dent. Ainsi, au cours de ce rituel, les crocs perdus sont remplacés par un poignard, les griffes par une épée, la queue par une lance, la voix du tigre par le son d’un gong, la pupille de ses yeux par un objet dur comme le cœur d’un bambou géant, sa peau par une étoffe de couleur. La dépouille est ensuite portée en procession à travers le village. Au cours du défilé, les habitants rivalisent en démonstrations d’arts martiaux avec combat au couteau ou à l’épée, tout en dansant selon des mouvements calqués sur ceux du tigre. « Honte à celui qui ne participerait pas à la procession du tigre », précise Harun. Devant l’animal, les jeunes du village se disputent l’admiration de l’esprit du fauve en jouant de l’épée et en déployant la danse martiale du tigre. « C’est le moment où beaucoup entrent en transe. Certains crient, rugissent, d’autres grattent la terre comme le fait le tigre. Nombreux sont ceux qui s’effondrent sans connaissance », poursuit Harun.

La cérémonie terminée, le tigre est enterré à l’orée du village. De toute sa vie, Harun n’a assisté que deux fois à un Ngagah Harimau. Il a peur qu’un jour ces funérailles tombent dans l’oubli. Si dans les dix ou cent années à venir aucun tigre ne meurt, plus personne au village ne se souviendra de ce rituel. C’est pourquoi, depuis les années 1970, Harun a ouvert un petit centre culturel pour enseigner aux jeunes le rituel Ngagah Harimau. En 2005, lors du festival du lac Kerinci, les habitants de Pulau Tengah en ont fait une démonstration. Ils ont porté une marionnette de tigre en procession jusqu’au centre de l’esplanade du festival. Il y avait là des milliers de spectateurs. Lorsque le chef du droit coutumier a invoqué l’esprit de l’animal, le jeune qui manipulait la marionnette est entré en transe. Une partie des spectateurs s’est retrouvée aussi possédée, certains se sont même mis à se battre. « La situation est rapidement devenue incontrôlable. Les ensorceleurs avaient bien du mal à faire sortir les possédés de leur transe. La police a même dû tirer des coups en l’air », se souvient Harun. Depuis ce jour, le rituel Ngagah Harimau n’est plus réalisé en public. Il n’est organisé que dans le village de Pulau Tengah.

Repères

Au cours des derniers mois, écrivait le Jakarta Post dans son édition du 17 mars, six personnes qui coupaient illégalement du bois dans le parc national de Jambi ont été attaquées et tuées par des tigres de Sumatra, dont l’espèce est menacée. Le conflit entre les hommes et ces fauves devrait empirer, annonçait le quotidien de Jakarta, car un nombre toujours plus important de villageois déforestent la forêt tropicale en des endroits autrefois réservés à ces animaux.
Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), il resterait aujourd’hui moins de 400 tigres de Sumatra en milieu sauvage.


Par Febriyanti (Tempo)

Source : www.courrierinternational.com

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