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Le Bellicisme des Moines bouddhistes sri-lankais contre le Séparatisme tamoul

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04.02.2009

COLOMBO ENVOYÉ SPÉCIAL

moines-2.jpgLe vénérable Athuraliye Rathana arpente de ses pieds nus la salle carrelée et s’assoit dans un fauteuil en osier. Les pales du ventilateur rivé au plafond rafraîchissent l’air tiède de cette banlieue de Colombo noyée sous les frondaisons tropicales. Un tableau d’Avalokiteshvara, le fameux bodhisattva à la silhouette gracieuse et aux doigts effilés, est posé contre le mur. Crâne rasé et drapé dans sa robe pourpre, Athuraliye Rathana reçoit en son monastère de Sadaham Sevana encore en chantier. De la salle de prière irradiée de soleil, où une nonne médite, on aperçoit les bulldozers besognant la terre fraîche d’où surgira un futur stupa.

Athuraliye Rathana est un moine bouddhiste au regard doux mais au verbe dur. « Nous supportons l’offensive de l’armée », dit-il, en se félicitant du cours de la campagne militaire dans le nord du Sri Lanka contre les derniers réduits du mouvement des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). « Le LTTE est une organisation raciste et terroriste, ajoute-t-il. Nous ne pouvons accepter de devenir ses esclaves. »

Le discours du jeune vénérable – il a 38 ans – est à l’unisson de l’idéologie nationaliste qui inspire depuis des lustres le bouddhisme sri-lankais, la religion dont se réclame la majorité cinghalaise (74 % de la population). Le bouddhisme au Sri Lanka s’est historiquement identifié à la construction nationale. Aussi les moines ont-ils toujours été à l’avant-garde des mouvements patriotiques contre la colonisation britannique puis, après l’indépendance de 1948, contre les revendications de la minorité tamoule (15 %) de confession hindoue.

Certains ont même basculé dans la violence. En 1959, un moine avait assassiné le premier ministre Solomon Bandaranaike, honni pour avoir conféré à la langue tamoule un statut officiel dans les provinces du nord et de l’est de l’île. S’il désavoue pareille extrémité, Athuraliye Rathana n’est est pas moins un faucon, farouchement opposé à tout cessez-le-feu avec les Tigres. « Le LTTE a toujours utilisé les périodes de discussion pour renforcer ses capacités terroristes. »

On les surnomme les « moines guerriers ». Leur radicalisme cadre mal avec l’imagerie angélique des moines pacifistes de Birmanie ou du Tibet qui émeuvent tant l’Occident. « Trahison du bouddhisme ? », se sont inquiétés certains auteurs. A écouter le vénérable Rathana, on comprend pourtant vite que le bellicisme anti-LTTE ne saurait résumer le bouddhisme politique au Sri Lanka.

L’itinéraire du moine militant est riche d’engagements multiples. Ordonné à 14 ans, il a complété sa formation en étudiant la philosophie occidentale – il s’est passionné pour Hegel et Spinoza – avant de plonger dans les affaires de la cité. Adepte d’un message où se mêlent environnementalisme, moralisme et patriotisme, il est familier des rassemblements contre l’exploitation de sites miniers par des multinationales, les débits d’alcool, le tabagisme ou les conversions au christianisme, la dernière grande cause embrassée par le clergé bouddhiste.

Au fil de ces combats, le vénérable Rathana est devenu une figure nationale. En 2004, il est entré au Parlement sous la bannière du Jathika Hela Urumaya (JHU) – ou Parti de l’héritage national -, formation exclusivement dirigée par des moines. Avec 6 % des voix, le JHU a pu faire élire 9 députés (sur 225). Une grande première.

Allié au Sri Lanka Freedom Party (SLFP), le parti du président Mahinda Rajapakse, qui a déclenché l’offensive militaire contre les Tigres, le JHU a rejoint le gouvernement. Il a obtenu le ministère de l’environnement, ce qui sied parfaitement à son projet politique.

Le vénérable Rathana sourit. « Beaucoup d’observateurs ne nous jugent qu’à travers notre hostilité au LTTE, dit-il. Mais si on oublie le LTTE, on est dans un paradigme totalement différent. » Ce « paradigme » est expliqué par Udaya Gammanpila, un cadre du JHU nommé président de l’Autorité centrale de l’environnement. « A cause de la modernité d’importation occidentale, le monde est confronté à une crise écologique et énergétique. Le bouddhisme peut apporter des solutions. Il faut adopter un mode de vie simple et témoigner de compassion pour tous les êtres vivants, y compris la faune et la flore. » L’éco-bouddhisme va-t-il bientôt supplanter le militaro-bouddhisme au Sri Lanka ? Il faudrait pour cela que les Tigres soient défaits, ce qui n’est pas encore complètement acquis.


Frédéric Bobin

Source : www.lemonde.fr

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