Le Judaïsme et l’environnement
La tradition et la loi juives contiennent depuis des milliers d’années un système cohérent de protection de l’environnement. Le nombre de sources se référant à ce que l’on appelle aujourd’hui les problèmes » environnementaux » est considérable. Si l’on avait, il y a deux siècles, réuni toutes les lois juives applicables à l’environnement, on aurait obtenu le code de lois le plus avancé du monde, un code traitant d’une grande variété de domaines.
Le judaïsme et l’ » environnementaliste » moderne se rejoignent sur beaucoup de problèmes pratiques, mais les systèmes de valeurs qui en constituent les fondements théoriques sont très différents. Leurs préoccupations respectives ne sont pas les mêmes; et ils ne tendent pas aux mêmes buts.
Plus les préoccupations environnementales s’écartent du pragmatisme pour rejoindre l’idéologie, plus s’éloignent l’un de l’autre ces deux modes de pensée. Le judaïsme est radicalement opposé à un » environnementalisme » pseudo religieux qui met l’accent sur un culte de la nature.
Pour le Juif, c’est là une version moderne du paganisme. L’essentiel pour le judaïsme, c’est la connaissance de D.ieu et l’obéissance à Ses commandements. Cela ne laisse aucune place à d’autres valeurs fondamentales.
COMMENÇONS PAR LE COMMENCEMENT
Le paradis biblique semble être exactement conforme à l’idée que l’on se fait d’une société écologique.
Au commencement, c’est-à-dire au paradis, il n’y avait aucune production ni aucun gaspillage. Un écologiste moderne en conclurait que ce paradis, tel qu’il est décrit par la Torah, représentait une société idéale. Ce qu’il appelle de ses vœux, c’est une société qui » tienne le coup « . Le paradis biblique était exactement cela.
Quand nous nous demandons quelle pollution l’homme et les animaux créaient dans le Jardin d’Eden, quels risques ils faisaient courir à l’écosystème, la réponse semble être : presque aucun. Les besoins humains fondamentaux comme le logement, le transport et la sécurité, devenus si essentiels dans les sociétés ultérieures, n’existaient pas encore dans le paradis. Il n’était même pas besoin de vêtements : l’humanité n’employait ni textiles ni d’autres matériaux. Il n’y avait aucun risque de pénurie. L’homme n’avait besoin ni de produits ni d’outils : il n’y avait aucun résidu de production.
On n’avait pas besoin, pour faire pousser les plantes, d’engrais artificiels ou de pesticides. L’homme et les animaux ne mangeaient que des végétaux. Tout ce que cette humanité utilisait, et qui semble n’avoir été que de la nourriture, était biodégradable. S’il restait des déchets, ils étaient probablement métabolisés en plantes. Il n’y avait pas de voirie. Les animaux ne nécessitaient pas de mesures de protection spéciales, puisqu’ils n’étaient pas attaqués par d’autres créatures. La biodiversité était intégralement préservée.
LA CONSOMMATION DU FRUIT DÉFENDU ET LA FIN DE LA SOCIÉTÉ IDÉALE
Très probablement végétarien, l’homme, qui n’était pas encore violent, ne faisait aucun mal à la nature ni n’avait d’autre impact sur l’écosystème. L’application des outils d’analyse écologique révèle qu’une situation totalement idéale régnait au paradis.
Un petit accroc, toutefois : pour qui se place selon le point de vue moderne d’un écologiste athée, il est difficile de comprendre pourquoi, du seul fait qu’elle avait mangé d’un fruit défendu par D.ieu, cette société humaine idéale est devenue instable et l’humanité a été chassée de l’utopie écologique.
Une situation utopique similaire nous est promise pour la fin des temps, comme annoncé dans les prophéties d’Isaïe (11, 6 et suivants) : » Le loup habitera avec l’agneau, le tigre reposera avec le chevreau, veau, lionceau et bélier vivront ensemble, avec un jeune garçon les conduira… Génisse et ourse paîtront côte à côte, ensemble s’ébattront leurs petits ; et le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille. »
On nous annonce aussi qu’il n’y aura plus de conflits entre l’homme et l’animal. Ainsi, selon le judaïsme, le début du monde et sa fin sont écologiquement parfaits.
LE DÉLUGE : ALORS ET MAINTENANT
Avec le déluge, la Bible nous place devant la question de l’incidence du comportement humain sur l’écosystème.
Le déluge est le plus grand désastre naturel mentionné dans la Bible.
Selon le point de vue juif, D.ieu emploie la nature comme instrument de punition : de grandes parties de l’écosystème sont détruites par la montée des eaux. À l’exception de la famille de Noé, toute l’humanité est anéantie.
La survie de Noé, cependant, va assurer la continuité avec l’humanité des origines. Sept couples de certains types d’animaux sont sauvés, protégés dans l’Arche ; chez d’autres espèces, un couple seulement est épargné. La biodiversité est ainsi assurée, malgré la catastrophe.
Un écologiste verrait probablement d’un bon œil le geste de Noé emportant dans l’Arche toutes les espèces d’animaux.
D’un point de vue écologique moderne, il n’y a pas grand-chose d’autre à dire sur ce texte, si ce n’est qu’un cataclysme naturel gigantesque a eu lieu, dont nous ne pouvons qu’essayer de deviner la raison. Certains êtres humains et certains animaux en ont réchappé miraculeusement.
La raison que la Torah donne à ce désastre écologique est incompréhensible à l’écologiste moderne : l’homme a péché contre D.ieu, aussi décide-t-Il de détruire une grande partie de l’écosystème.
Une version séculière de cet épisode biblique circule actuellement, en ce début du 21ème siècle. Elle affirme : l’homme a péché contre la nature. Les installations de refroidissement et de chauffage, la production industrielle, et l’intensification de la circulation automobile conduisent les unes et les autres à des émissions de gaz qui aggravent l’effet de serre, et probablement à un réchauffement de la planète.
Ce que disent les écologistes, c’est que l’homme pèche contre la nature et que la nature est en train de prendre sa revanche. » El Nino » n’en est que le premier signe. Il sera suivi par la fonte des glaces polaires et par une amplification des inondations.
Ces deux exemples, qui se réfèrent aux premiers chapitres de la Genèse, nous donnent déjà deux indications significatives quant à l’attitude juive par rapport à l’environnement. La première est, comme déjà mentionné, que les considérations écologiques occupent une place considérable dans la Bible. La seconde est qu’il existe des différences considérables entre les jugements de valeur du judaïsme à l’égard de l’environnement et l’idéologie du mouvement écologique contemporain.
LES DIX PLAIES
En envoyant les Dix Plaies sur les Égyptiens, D.ieu utilise la nature comme instrument de punition.
Il y a beaucoup d’autres récits dans la Bible qui comportent des aspects écologiques.
Un des plus importants est celui des Dix Plaies d’Égypte, qui nous offre beaucoup d’exemples de modification de la nature en tant qu’instrument divin de punition.
Un grand nombre de désastres écologiques vont tuer une partie de la population égyptienne, ses esclaves, ses animaux et ses récoltes, mais ils ne concernent pas les Hébreux, installés dans la terre voisine de Gochène. Plusieurs des plaies conduisent à une pollution dramatique de l’eau et de l’air. Cela est évident dès la première plaie, quand l’eau du Nil se transforme en sang. Le fleuve est si pollué que tous les poissons meurent. Il y a aussi une pollution de l’air : » Le Nil fut nauséabond, et les Égyptiens ne purent boire des eaux depuis le fleuve… » (Exode 7, 21).
Nous découvrons ici un autre message transmis par le judaïsme au sujet de l’environnement et de la nature. D.ieu a créé la nature ; comme Créateur Il est aussi son Propriétaire, et comme tel, Il peut la changer à volonté. C’est précisément ce qu’Il fait dans le récit des Dix Plaies : Il utilise la nature pour enseigner une leçon à certains hommes à la nuque raide, et en particulier à Pharaon.
Cette histoire contient beaucoup d’autres messages écologiques. Aujourd’hui, l’un des objectifs principaux de la science environnementale consiste à prouver que certaines maladies sont causées par la pollution. Le motif du caractère épidémiologique de la pollution est énoncé explicitement dans le récit d’une des plaies. Moïse et Aaron ont pris des poignées de suie de fournaise, laquelle est devenue de la poussière fine » Et il se développa un ulcère éruptif, des pustules, sur l’homme et sur l’animal. » (Exode 9, 8 et suivants). Les magiciens furent incapables de se confronter à Moïse à cause de l’inflammation, » car l’ulcère était dans les devins et dans toute l’Égypte « . Si nous analysons ce texte d’un point de vue écologique moderne, il semble qu’une pollution industrielle aérienne a causé une épidémie.
D.IEU, L’HOMME ET LA NATURE
Le judaïsme affirme clairement que la préservation de la nature n’est pas le but principal de l’humanité.
Cette série de désastres naturels prend une autre dimension dans le contexte religieux.
Les plaies sont un exemple du rapport entre D.ieu, l’homme et la nature.
Rares sont les autres récits contenus dans la Bible qui présentent avec un tel luxe de détails la position de ces trois éléments dans le judaïsme. L’humanité doit obéir à D.ieu, et sinon la nature peut être employée de manière extraordinaire pour le punir.
La protection de la nature est importante dans la tradition juive.
Cependant, le judaïsme affirme clairement que la préservation de la nature n’est pas le but principal de l’humanité. Cette présentation est diamétralement opposée aux vues de certains écologistes extrêmes. Selon la pensée juive, D.ieu peut faire avec la nature et les animaux ce que bon lui semble selon Ses plans propres. Le fleuve peut être rendu inhabitable aux poissons afin de punir les hommes. Dans le même dessein, les grenouilles peuvent se multiplier puis, une fois exécutée la mission que leur a assignée D.ieu, mourir dans les maisons, les cours et les champs.
Plusieurs de ces plaies constituent des punitions pour l’homme comme pour l’animal.
L’essence du message religieux est parfaitement claire et est répétée plusieurs fois : D.ieu peut punir l’homme qui a désobéi en utilisant la nature contre lui. D.ieu peut changer les règles de la nature comme Il le désire et de beaucoup de manières. Par exemple, l’obscurité frappe les Égyptiens à certains endroits tandis qu’elle est absente ailleurs en Égypte, dans les régions où vivent les Hébreux.
Le monde animal peut aussi être lancé de diverses manières contre l’homme. Les grenouilles envahissent les maisons, la vermine les infeste, les insectes envahissent le palais et ruinent les récoltes, les sauterelles dévorent l’herbe des champs. De nombreuses parties de l’écosystème sont endommagées. La plupart des plaies sont extrêmement difficiles à expliquer d’un point de vue écologique.
Il est clair, tant du point de vue des écologistes que de celui du judaïsme, qu’un désastre majeur s’est abattu sur les Égyptiens, leurs animaux et le monde inanimé. Si les motifs de ce cataclysme sont clairs pour les croyants, ils ne le sont pas pour ceux qui partagent la thèse » environnementaliste « .
On trouve dans l’histoire des plaies d’autres idées religieuses qui sont inaccessibles à l’analyse écologique. Par exemple, la prière adressée au Ciel par les innocents peut réussir à éliminer les plaies. Le remords est important pour mettre fin aux désastres. Pharaon aurait pu empêcher les catastrophes naturelles s’il avait permis aux Hébreux de s’en aller.
LA MANNE
Un quatrième récit significativement écologique dans la Torah est celui de la manne.
Il comporte plusieurs caractéristiques évidentes de prévention du gaspillage. C’est ainsi qu’il aurait été parfaitement stupide pour un Hébreu d’en recueillir plus qu’il ne pouvait en manger, parce que le seul résultat qu’il en aurait obtenu aurait été un produit nauséabond pullulant de vers. On peut raisonnablement supposer que les enfants d’Israël ont rapidement appris la leçon et n’ont pas recueilli plus que nécessaire.
Une seconde caractéristique explicitement écologique réside dans le fait que la manne restante ne polluait pas le désert.
Il est écrit à son propos que, » quand le soleil devenait chaud, elle fondait « . En langage écologique contemporain, cela s’appelle la photo-dégradation, c’est-à-dire la décomposition du surplus par les rayons du soleil.
Au début de ma recherche sur les rapports du judaïsme avec l’environnement, je me suis demandé si les Hébreux, quand ils partaient, laissaient le désert propre derrière eux. Il semble résulter de ce récit que oui.
Un autre aspect écologique important dans le récit de la manne est que l’homme peut mener une vie complète avec une seule nourriture.
La manne n’est pas la seule référence dans la Bible relative aux déchets dans le désert. Une autre résulte du verset : » Ton vêtement ne s’est pas usé de sur toi, et ton pied ne s’est pas enflé, ces quarante années. » (Deutéronome 8, 4).
Traduit de l’anglais par Jacques KOHN
(Conférence donnée le 20 février 2000 par le Dr. Manfred Gerstenfeld)
– Source : lamed.fr