Il est primordial que nous puissions tous trouver un Maître et que nous devenions des disciples. Mais commencer par vouloir trouver un bon Maître avant même d’être soi-même prêt à accepter une relation différente de nos aspirations égotiques, c’est à coup sûr ne pas pratiquer du tout, ou tout au plus s’exercer à bien croiser les jambes pour mimer l’immobilité. La pratique devient malencontreusement l’exercice d’un mentir vrai.
Pratiquer la voie du Zen, c’est être disciple d’un Maître et pas uniquement pratiquer l’assise à sa façon. C’est pour cette raison qu’il est capital de créer une forme et une attitude qui siéent aux deux. Le Maître n’est pas l’objet d’un désir obscur et le disciple n’est pas un jouet exquis. Pour ce faire, il est essentiel que nous puissions, nous disciples, vaincre nos a priori de toutes sortes et le Maître doit se faire à la raison, à l’instar d’un berger, qu’il n’est jamais propriétaire.
S’entretenir avec son Maître (Dokusan) est la matérialisation de l’implication de sa démarche de disciple, l’expression de sa volonté à suivre la Voie. Cette notion de disciple est floue et les seuls exemples nous viennent, soit du Moyen-Orient, soit de l’Extrême-Orient. L’Occident ne pourra exprimer la sienne qu’en acceptant son histoire spirituelle, au lieu de se perdre dans ce qu’il a de plus expressif, son Ego. Exprimer la sienne est possible dans la voie du Zen, si l’Occident ne rejette pas son héritage judéo-chrétien-musulman, sa philosophie, sa vison scientifique au profit d’un divorce avec soi-même, pour une technique couramment appelée, méthode pour le bien-être.
Pour beaucoup de gens, la pratique de l’entretien a l’odeur de souffre du confessionnal, la couleur d’une séance chez son psy et même parfois, elle peut être perçue comme un entretien d’évaluation. On veut bien jouer le jeu de l’entretien s’il y a, à la clé, quelque chose à s’emparer. L’expérience (il faut encore vouloir la faire) montre que le Maître n’absout pas, ne restaure pas de lacune égotique, ne recrute pas et surtout ne délivre aucun certificat pour aptitude à l’exercice d’une pratique orientée petit professeur (apprenti sorcier) dans un cabinet spécialisé qui portera le doux nom de dojo affilié à…
La relation de Maître à disciple n’est que la continuité de l’action réactualisée de tous les Bouddhas et des Patriarches. Le Maître n’est rien d’autre qu’un homme ordinaire qui n’est pas très ordinaire. Refuser cette non_évidence, c’est plonger tout droit dans l’idolâtrie. On ne veut pour Maître que celui qui réponde à nos attentes affectives et sociales. Alors la relation de Maître à disciple, où le dharma s’échange et s’enrichit, disparaît et l’univers du négoce s’installe.
Il est primordial que nous puissions tous trouver un Maître et que nous devenions des disciples. Mais commencer par vouloir trouver un bon Maître avant même d’être soi-même prêt à accepter une relation différente de nos aspirations égotiques, c’est à coup sûr ne pas pratiquer du tout, ou tout au plus s’exercer à bien croiser les jambes pour mimer l’immobilité. La pratique devient malencontreusement l’exercice d’un mentir vrai.
Par le Rd Pierre Gérard Kakudo