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Les Algériennes, la lutte – partie 2 : la lutte contre le code la famille

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Les Algériennes, la lutte – partie 2

LA LUTTE CONTRE LE CODE DE LA FAMILLE

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Retrouvez l’ensemble de ce dossier

I. – LES PRÉMISSES : L’ÉMERGENCE D’UN MOUVEMENT DE FEMMES NON ORGANISÉES 1 – La création de commission de femmes travailleuses à l’université
2 – La réaction des femmes contre l’interdiction de sortie du territoire; le collectif femmes de l’université
3 – L’autonomie des femmes face aux groupements d’opposition
II. – LA LUTTE CONTRE LE CODE DE LA FAMILLE 1 – Le constat de carence de l’UNFA
2 – Le collectif des femmes et les manifestations de femmes contre le projet de code
3 – Les composantes du mouvement de lutte
4 – Elargissement, poursuite et succès de la lutte

Les Algériennes, la lutte – partie 1
Les Algériennes, la lutte – partie 2
Les Algériennes, la lutte – partie 3
Les Algériennes, la lutte – partie 4


En septembre 1981, El Moudjahid annonce l’adoption par le gouvernement d’un projet de statut personnel qui devait être soumis à l’Assemblée populaire nationale. Lorsque cette information est donnée, à quelques individualités près, le texte était totalement inconnu.

Néanmoins, et parce que périodiquement depuis l’indépendance, des projets ressortis des tiroirs du ministère de la Justice avaient paru très inquiétants, immédiatement des femmes se mobilisent : « Nous sommes les héritières de quelque chose d’ancien – précise une militante. Toujours quand il y a eu un mouvement de femmes… épisodique… dans l’UNFA ou aiIIeurs… le code de la famille a été une ligne de fond… il est toujours en sourdine dans les assemblées générales… il est toujours présent, comme une épée Damoclès. »

Voici quelques extraits du projet de loi gouvernemental :

Projet de loi relative au statut personnel

ARTICLE PREMIER –

Le mariage est un contrat passé entre un homme et une femme dans les formes légales, dans le but de procréer et de fonder une famille basée sur l’affection et la mansuétude…

ART. 3 – La capacité de mariage est réputée valide à dix-huit ans révolus pour l’homme et à seize ans révolus pour la femme. Toutefois le juge peut accorder une dispense d’âge pour une raison d’intérêt ou dans un cas de nécessité.

ART. 4. – Nul ne peut contracter mariage avec plus d’une épouse que sur une dérogation qui ne peut être accordée à celui qui est réputé incapable d’assurer l’équité dans la fourniture du logement et de l’entretien légal ou faute d’un motif légal ou si l’épouse s’y oppose…

ART. 6 – Le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints, du tuteur matrimonial et de deux témoins ainsi que de la constitution d’une dot…

ART. 8. – La charge de marier la femme incombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père soit l’exécuteur testamentaire de ce dernier, soit l’un de ses parents de proche en proche selon l’ordre successoral…

ART. 13 – La dot est ce qui est versé à la future épouse en numéraire ou d’autres biens qui soient légalement licites. Cette dot lui revient en toute propriété et elle en dispose librement…

ART. 20 – Les empêchements permanents au mariage légal sont : la parenté, l’alliance, l’allaitement…

ART. 26 – Les femmes prohibées temporairement sont : la femme déjà mariée, la femme en période de retraite légale à la suite d’un divorce ou du décès de son mari, la femme répudiée par trois fois par le même conjoint, la femme qui vient en sus du nombre légalement permis…

ART. 27 – Le mariage de la musulmane avec un non musulman est prohibé.

ART. 30. – Tout mariage contracté avec l’une des femmes prohibées est déclaré nul avant et après sa consommation. Toutefois la filiation qui en découle est confirmée et la femme est astreinte à une retraite de vacuité.

ART. 32 – Le mari est tenu de :

Subvenir à l’entretien légal de son épouse à la mesure de ses possibilités et selon la condition de celle-ci, sauf lorsqu’il est établi qu’elle a abandonné son domicile conjugal.

Partager équitablement son temps s’il a plusieurs épouses et pourvoir au logement de chacune séparément.

ART. 33 – Le mari ne peut interdire à son épouse de :

Visiter ses parents, de les recevoir conformément aux usages et coutumes.

Disposer de ses biens en toute liberté.

Travailler en dehors du domicile conjugal si elle a, pour ce faire, stipulé une clause dans le contrat de mariage, si elle travaillait avant le mariage, ou si elle a travaillé après le mariage avec son autorisation formelle ou tacite.

ART. 34 – L’épouse est tenue de :

Obéir à son mari et de lui accorder des égards en tant que chef de famille.

Allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire, et de l’élever.

Respecter les parents de son mari et ses proches.

ART. 35 – La filiation est établie par le mariage valide, la reconnaissance de paternité et la preuve.

ART. 42. – La filiation ne s’établit pas par l’adoption même si l’adoptant porte le nom de l’adopté.

ART. 43 – Le divorce est la dissolution du contrat de mariage ; il est de la faculté exclusive du mari et ne s’établit que par voie judiciaire après une procédure de conciliation.

ART. 44 – Si le mari ne renonce pas à divorcer après la tentative de conciliation, le juge prononce le divorce, son jugement est sans appel, et accorde à l’épouse le droit au logement et aux dommages et intérêts s’il constate que le mari aura abusivement usé de sa faculté.

ART. 45. – Il est permis à l’épouse de demander le divorce pour les causes ci-après :

Pour défaut de paiement de la pension alimentaire prononcée par jugement à moins que l’épouse eût connu l’indigence de son époux au moment du mariage sous réserve des articles 67, 68 et 69 de la présente loi.

Pour infirmités empêchant la réalisation du but par le mariage.

Pour préjudices légalement considérés comme infraction du mari aux dispositions de l’article 33.

Pour refus de l’époux de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois.

Pour condamnation du mari à une peine infamante privative de liberté pour une période dépassant une année.

Pour absence de plus d’un an sans excuse valable ou sans pension d’entretien.

ART. 47 – La femme non enceinte divorcée après la consommation du mariage est tenue d’observer une retraite légale dont la durée est : trois périodes de pureté menstruelle…

ART. 48 – L’épouse dont le mari décède est tenue d’observer une retraite légale dont la durée est de quatre mois et dix jours…

ART. 49. – La retraite légale de la femme enceinte dure jusqu’à sa délivrance. La durée maximum de la grossesse est d’une année à compter du jour du divorce ou du décès du mari.

ART. 51 – Le droit de garde consiste en l’entretien et l’éducation de l’enfant dans la religion de son père ainsi que de la sauvegarde de sa santé physique ou morale

ART. 53 – Le droit de garde cesse, pour l’enfant mâle, quand celui-ci atteint l’âge de dix ans et pour la fille quand elle atteint l’âge du mariage…

ART. 54. – La titulaire se mariant avec une personne non liée à l’enfant par une parenté de degré prohibé, est déchue de son droit de garde…

ART. 57 – Si la personne à qui le droit de garde est dévolu élit domicile dans une localité autre que celle où réside le père de l’enfant gardé le mettant ainsi dans l’impossibilité de s’y rendre aux fins d’exercer sa surveillance sur la situation de l’enfant et de rentrer chez lui dans la journée, elle est déchue de son droit de garde.

ART. 59. – La grand-mère maternelle ou la tante maternelle est déchue de son droit de garde si elle vient cohabiter avec la mère de l’enfant gardé remariée à un homme non lié à celui-ci par une parenté de degré prohibé.

ART. 64. – Le père est tenu de subvenir à l’entretien de son enfant à moins que celui-ci ne dispose de ressources. Pour les enfants mâles, l’entretien est dû jusqu’à leur majorité, pour les filles jusqu’à leur mariage…

ART. 76 – Le père est tuteur de ses enfants mineurs. À son décès, l’exercice de la tutelle revient à la mère de plein droit à moins qu’il n’ait désigné un tuteur testamentaire.

ART. 110 – Il est interdit de donner à l’enfant recueilli le nom patronymique de celui qui le recueille…

Lorsque ce texte donc fut suffisamment connu, « franchement les gens étaient horrifiés » (Une militante), surtout après avoir lu les débats de l’APN publiés dans El Moudjahid 9 « parce que là vraiment on voyait le contenu de ce texte… Il paraît qu’il y avait des interventions de députés au niveau de l’Assemblée d’un obscurantisme qui te laisse coi… ça dépasse tout ce que tu peux imaginer…

Même certains musulmans conservateurs, les plus croyants disaient : « mais ça n’a pas besoin d’être légiféré… ça regarde notre famille… on ne peut pas accepter des choses comme ça »…

Et d’ailleurs parmi les premiers signataires de la pétition des femmes il y avait des Frères musulmans, des hommes et des femmes qui jugeaient le texte non conforme à l’Islam 10.

Quant à la réaction des femmes contre ce texte, voici comment elle est analysée par une féministe :

« Elle est normale… il n’y a rien eu depuis vingt en faveur des femmes, elles ne pouvaient qu’être méfiantes du fait de la vie qu’elles mènent… aussi ont-elles réagi tout de suite parce qu’elles étaient les plus touchées. Elles étaient immédiatement définies comme sujets, comme pupilles, marchandables à merci et certains droits acquis par une pratique soit juridique, soit quotidienne, soit sociale – je pense notamment au droit au travail -, se voyaient remis en cause par le texte. Les femmes – principales intéressées… c’était évident.

Pour les hommes, certains honnêtes intellectuellement devaient se dire : « Ce n’est pas juste », mais ils étaient aussi directement concernés, dans la mesure où ils disaient : « Mais qu’est-ce qu’on va faire dans cette future société ? Ce sera une société tout à fait féodale… Ils commencent par vous et après ce sera nous… on n’aura plus le droit de boire, de sortir le soir, de sortir avec nos femmes, avec des femmes… » J’ai vu de vieux messieurs qui disaient : « … Moi, je ne me suis pas tué, saigné aux quatre veines pour que ma fille soit enfermée à la maison à la merci d’un homme… et pour qu’elle revienne chez moi divorcée avec ses enfants sur les bras… ».

Mais au même moment, la propagande dans certaines mosquées disait :
>br>« Elles sont sorties dans la rue, comme les Européennes, elles veulent dévoyer nos filles. »

Autre analyse, celui d’une femme expliquant le code à sa mère :

« …Il faut l’autorisation maritale pour sortir… »

Ma mère m’a dit : « Eh oui! Il faut demander au mari, c’est normal… »

Je lui ai dit : « Bon, d’accord, maintenant, toi, tu es veuve… et si tu veux aller voir ta fille qui est à Paris, comment tu vas faire? Il te faut l’autorisation de ton fils… »

Elle m’a répondu : « Moi! Comment ça ! l’autorisation de mon fils ! mais c’est moi qui l’ai mis au monde, c’est moi qui l’ai marié et maintenant je lui pouponne ses enfants et il faut que je lui demande l’autorisation ! C’est le monde à l’envers ! »

Certes, il serait absurde de considérer ces réactions comme significatives des réactions de la société algérienne ; il suffit pour s’en convaincre de lire quelques-unes des lettres de lecteurs publiées à l’occasion du débat sur le texte dans El Moudjahid. Mais ces réactions sont néanmoins révélatrices des sentiments de toute une fraction de cette société qui se refuse – comme le soulignait Mme Zhor Ounissi11, future secrétaire d’Etat aux Affaires sociales  » à parler de l’Islam à chaque fois qu’on parle de la femme. » 12

Donc, dès cette décision connue, femmes cadres, travailleuses des ministères, des sociétés nationales, enseignantes et femmes du collectif se mobilisent.

Tout de suite la question qui se pose est celle du cadre de la mobilisation pour unifier une action des femmes.

1 – Le constat de carence de l’UNFA

Si les femmes du collectif de l’Université ne croyaient pas que l’UNFA puisse avoir une quelconque capacité d’opposition au sein du régime, d’autres femmes, femmes cadres, femmes travailleuses, inquiètes des rumeurs concernant le code se rendent à l’UNFA et sont reçues par la secrétaire générale. Celle-ci qui leur garantit « que le texte ne passera pas… qu’il n’y avait rien à craindre… qu’il passerait de toute façon dans les organisations de masse13… que l’UNFA restait mobilisée sur ces questions… S’il y avait un risque – nous a-t-elle dit – est-ce que j’irais à la Mecque ? Elle a fait semblant… nous avons fait semblant de la croire ». (Un membre de la délégation).

Le dimanche suivant, le communiqué officiel est publié dans la presse, annoncé à la radio, à la télévision… Pour l’immense majorité des femmes ce fut une révélation et une très grande inquiétude.  » Ils veulent faire passer ce texte à la sauvette » disait-on.

Quant à ce texte, à part quelques rares copies qui circulaient dans des milieux très restreints et dont personne n’avait aucune garantie qu’il fût le « bon»14, il était inconnu de toutes.

Les arguments de ceux qui refusaient que les femmes prennent en main ce problème étaient : « Mais qu’est-ce que vous racontez ! Pourquoi protestez-vous contre quelque chose que vous ne connaissez pas ? »

Ce à quoi les femmes répondaient : « Effectivement, on ne le connaît pas… Mais quel que soit ce texte, même si c’est le texte le plus révolutionnaire qui soit, du fait qu’il nous a été caché, qu’on n’en a pas eu connaissance, on n’en veut pas ».
Certains leur rétorquaient alors : « Ne vous inquiétez pas… Il a été voté par vos élus ! » …
« Nos élus ! Mais il faut savoir comment on les a élus ! » répondaient d’autres femmes.

Ce n’est donc que lorsque le texte a commencé à être plus largement diffusé que l’on commençait à écouter plus attentivement les femmes.

La question de savoir pourquoi ces premières réunions ont-elle eu lieu au sein de l’U.N.F.A, alors même que jamais cette organisation de femmes n’avait exprimé publiquement ses réticences à l’égard des projets de code de la famille ?  » On ne pouvait pas nier que c’était un lieu de parole extraordinaire pour les femmes, c’était une possibilité de réunir des assemblées générales de protestations et de profiter de moyens de mobilisation que nous n’avions pas… étant donné que nous étions quelques dizaines de bonnes femmes perdues dans la nature. Alors il y avait deux possibilités… soit l’UNFA se lançait dans la bagarre, soit elle ne le faisait pas et cela nous permettait de faire alors la preuve publiquement que l’organisation – dite des femmes – ne prenait pas en charge leurs problèmes et qu’alors c’était à nous chacune des femmes de se prendre en main ».

À la première réunion, des femmes (de l’UNJA15, de I’UGTA, de l’UNFA mais aussi des non organisées) décident de faire des délégations pour obtenir de plus amples informations. À la seconde réunion, les militantes de comité de wilaya de l’UNI d’Alger16 où se tenaient les débats refusent de s’engager plus avant faute d’un accord du Secrétariat national.

Dès cette date, certaines femmes tirent la conclusion que clairement l’UNFA ne voulait rien faire.

Deux comités se mettent sur pied néanmoins, l’un pour rédiger une motion de protestation adressée aux autorités, l’autre pour préparer des délégations auprès de l’A.P.N et du FLN. Lorsque les femmes composant ces deux comités reviennent au comité de wilaya, une fin de non recevoir leur est transmise sous prétexte qu’il fallait consulter les kasmates17avant toute décision18, que de toute façon le secrétariat national n’était plus d’accord et qu’il n’était pas possible de valider un texte qui était fait par le sommet.

Une femme traduit: « Le Parti nous a foutues à la porte ». « Les filles ont été très déçues, elles sont parties en claquant la porte: c’était évident que c’était une mesure de diversion ».

Elles décident néanmoins de continuer leurs initiatives : « On était prise par le temps, par les délais… On ne pouvait plus entrer dans les problèmes d’appareil. »Et elles rédigent dans les locaux de l’UNFA d’où l’on n’avait pas pu – ou osé – les faire partir, un premier texte de protestation.

L’UNFA de la wilaya d’Alger promet cependant qu’elle fera l’information dans ses sections et, selon plusieurs témoins, des femmes de l’UNFA en larmes sont venues expliquer aux femmes présentes qu’elles étaient coincées par leur organisation mais, qu’elles, elles ne devaient surtout pas abandonner la lutte.

Le samedi suivant, ces femmes arrivent à l’assemblée générale prévue pour faire adopter ce texte et le diffuser et se retrouvent avec les femmes des ‘organisations de masse’ : « On est arrivées avec notre texte, mais les divergences étaient telles qu’on n’a même pas pu le lire. L’UNFA a fait une opposition absolue sur ce genre d’action, elles ont répété : « Nous sommes au sein d’une organisation de masse… on a une hiérarchie… on est au sein d’un parti qui lui-même constitue une hiérarchie… il est hors de question qu’on se place hors de cette hiérarchie. Il faut agir dans les structures ». Il y a eu des protestations: « Mais comment ! C’est une assemblée générale autonome ! ». « Non, non, non – rétorqua l’UNFA – ce n’est pas démocratique, parce que les femmes de la base ne sont pas là… il faut qu’on les convoque… il faut du temps… c’est long de convoquer les kasmas ».

«Ça c’est terminé en queue de poisson », raconte une participante. « Le texte a quand même été lu très rapidement à la fin et il était tard. Toutes les femmes sont parties les unes après les autres et on s’est retrouvées avec le texte. À la suite de ça, nous nous sommes réunies avec les filles du collectif pour décider d’un premier rassemblement, mais en dehors de l’UNFA, en dehors de l’UNFA, en dehors de tout, devant l’Assemblée populaire nationale pour le 28 octobre. »


Les Algériennes, la lutte – partie 1
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Source :www.marievictoirelouis.net

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