BOUDDHA ET JÉSUS: LE MÊME ÉVEIL
Extraits de la conférence donnée par
Vén. Shinjin Robert Brandt-Diény
Qu’est-ce qui pouvait faire courir Bouddha et Jésus vers la Voie? La juste compréhension de la réalité des choses. Tous les deux sont partis à la recherche de la Vérité, celle qui leur tenait le plus à cœur, celle que contenait chacun en son intime le plus profond. Elle s’est révélée être la même: la nature de Bouddha, le royaume des Cieux, l’étincelle de Divin qui sommeillent en chacun. Comment s’y sont-ils pris à six siècles et à six mille km de distance pour enseigner la Voie qui mène au bonheur. L’un par l’abolition de la Souffrance, l’autre par sa transcendance.
L’un et l’autre partirent, dans cette quête de l’Au-delà de soi-même, en itinérance, en fréquentation de maîtres, d’écoles spirituelles, pour aboutir à l’isolement et la retraite primordiaux. Qu’ont-ils vraiment trouvé? Les moyens d’aboutir à ce bonheur, la sérénité et la compassion pour le premier, à l’amour et la charité pour le second (thème de l’article suivant). Ayant surmonté les tentations de l’existence issues de l’Ego, de la part cachée appelée Diable ou Mâra (ne pas oublier que diabolos en grec signifie « à travers le ….. » ), trois tentations à savoir celle du corps, de l’esprit et de l’âme, trinité commune à ces deux chercheurs réalisés qui nous ont montré la Voie:
– la recherche de la Vérité; car ils n’ont pas, sans expérience préalable, appliqué la vérité que l’un découvrait par lui-même et que l’autre avait reçu du Père. Donc similitude dans la recherche de l’extrême, de l’Au-delà de soi-même et dans les conditions de retraite et d’isolement pour effectuer essentiellement cette recherche. Bouddha part de Kapilavitsu pour aller suivre l’enseignement de deux éminents maîtres qu’il délaissera rapidement pour devenir son propre maître; Jésus, en plus de l’épisode égyptien, va rencontrer Jean-Baptiste pour se faire initier à et dans la tradition essénienne. Dans ces deux recherches interviennent la méditation ascétique, le combat contre ses propres illusions, contre sa propre part d’ombre, ceci tant face à Mâra que face au Diable. Ici, ils ont en commun d’avoir surmonté les trois tentations que chacun a dû subir: celle du corps, de l’âme et de l’esprit.
– Il est à remarquer que le ministère proprement dit de ces deux personnages n’a réellement débuté qu’après cette révélation libératoire. Il leur est, en effet, apparu d’une nécessité transcendantale de témoigner des résultats, issus de cette grande Vérité à la recherche de laquelle ils étaient partis, à savoir la Compréhension fondamentale. Petite parenthèse sur cette compréhension, prenons par exemple le cas du péché originel? Qu’est-il en vérité? Ce n’est ni plus ni moins que l’esprit resté dans l’état d’ignorance dualiste, c’est à dire de la connaissance égoïque du bien et du mal, de la conception égocentrée du monde. Bouddha n’a pas essayé d’enseigner autre chose en prêchant l’abandon du soi pour le « vide de soi ».
– L’usage des paraboles dans cette transmission – usage d’images populaires empruntées à la vie quotidienne et réaliste afin de frapper l’esprit des gens tout en se gardant de dévoiler l’essentiel contenu dans des images symboliques (noter que parabole et symbole ont le même suffixe, de même que diable-diabolique). Chez Bouddha et Jésus, on trouve des thèmes communs (le fils prodigue/le père riche et le fils pauvre), thèmes que l’on retrouve aussi chez le Mollah Nasrudin, par ex.
– La contestation de la hiérarchie religieuse préexistante, figée, sclérosée – le sanhédrin eut sa part d’invectives fustigeantes, les faux-prêtres, les marchands « spirituels » du temple; de son côté aussi, Bouddha a violemment contesté les faux-brahmanes en prononçant le fameux « ne vous fiez pas aux enseignants, fiez vous au contenu de l’Enseignement » (extrait du Kâlâma Soutra). Comme dans toute chose, il y a des contrevenants à l’esprit initial et c’est eux qui engendrent les dérapages. La hiérarchie tient plus que tout aux privilèges de sa soi-disant connaissance ou gnose, la seconde fille de l’institution ecclésiastique avec l’exégèse. Jésus dans Luc XII 52-53 ne dit-il pas » Vous n’êtes pas entrés en vous-mêmes et vous avez empêché d’entrer ceux qui le voulaient », ceci en leur retirant la clé de la Connaissance, issue de l’expérience de l’intériorité.
– La finalité de leur enseignement: l’abolition de la souffrance menant au bonheur; à ce titre Bouddha et Jésus sont considérés comme des thérapeutes (les esséniens que Jésus a fréquentés à de nombreuses reprises étaient des thérapeutes réputés, végétariens et célibataires de surcroît). Un des aspects majeur de Bouddha est celui du Bouddha de médecine ou Bhaishajyaguru, le guérisseur des maux de l’âme. Ce que Jésus n’a cessé d’être aussi durant toute sa vie, preuve en sont ses miracles, surtout liés aux maladies psychiques.
Nous pouvons affirmer en quelque sorte que Bouddha comme Jésus furent des destructeurs, non pas des destructeurs comme des Rambo ou des Prédator, pas de ces destructeurs violents dont la TV nous abreuve à longueur de journée, mais des destructeurs de la souffrance, de la violence inhérente à cette souffrance. Ils se posent en libérateurs des causes de la souffrance, psychique avant tout (se référer aux vocables de mental et d’esprit qu’ils ne cessent d’utiliser dans leur enseignement).
– Incarnation de la Vérité fondamentale – « Je suis la Vie, celui qui me voit, voit la Vie – je suis l’Enseignement, celui qui me voit, voit mon Enseignement. Bouddha comme Jésus sont témoins vivants de cette Vérité qu’ils ont découverte et expérimentée après avoir « compris » la vraie nature de l’Homme. Car, à l’un comme l’autre, les traducteurs-transmetteurs ont fait employer le terme de Voir, entraînant forcément son antagonisme, ne pas voir = l’aveuglement. Le miracle de l’aveugle est justement le découvrement de cette connaissance de la Vérité. Ces scribes érudits n’ont pas restitué le vrai sens de voir, c’est à dire comprendre, dans le sens de prendre avec soi. Qu’est-ce que voir sinon que d’être « sensationnellement pris » par l’objet de sa faculté visuelle. Au sujet de cette Vérité, il faut mettre des gants et ne pas adopter l’attitude consistant à se dire, à dire, ou pire encore, à faire dire que, puisqu’on a ou détient la Vérité, les autres ne l’ont pas ou l’ont à un moindre degré. Il serait donc impensable, en conformité avec l’enseignement du Bouddha, que les bouddhistes sèment une zizanie religieuse en affichant leur primauté en la matière, n’empêche que j’ai entendu encore récemment des choses étonnantes quand on sait qui les a prononcées. Le bouddhisme originel d’ailleurs a trop de respect à l’égard de l’être humain pour vouloir le convertir. Ce n’est pas lui qui désire convertir, mais plutôt certaines personnes aveuglées qui veulent absolument se … Il en va initialement des autres religions …
Par contre, la façon dont a été portée la bonne Nouvelle a totalement dérapé dans un empirisme dénaturant son esprit initial. Jésus n’a jamais forcé qui que ce soit à le suivre « si tu es prêt à abandonner .. alors suis-moi » comprenant trop bien les chaînes du libre arbitre. Cet a-priorisme à propos de la conversion des nations, reposant sur une parole altérée, dénaturée dans son exagération de Jésus, est totalement inacceptable. Différencier absolument, enseignement et conversion. Le Bouddhisme ne cherche pas à convertir; des milliers d’intouchables se sont convertis pour motif d’émancipation et de « dignification » au Bouddhisme.
– La manifestation de la compassion: le chrétien entend « tu aimeras ton Dieu de toute ton âme, de toutes tes forces, ensuite aime ton prochain comme toi-même » – Le bouddhiste n’entend que « aie de la compassion envers tous les êtres vivants ». Le but est le même, aimer l’autre, aimer aussi ce qu’il a de divin en lui, c’est à dire principalement le fait d’exister en tant que tel. Alors comment aimer l’autre si on ne se connaît ni ne se comprend pas soi-même d’abord? Tellement de gens, errant actuellement dans la déperdition des valeurs issues de la Grande Tradition et dans la confusion ainsi engendrée, ont perdu la notion de confiance en toutes choses et d’abord et avant tout en eux-mêmes. Alors, ils cherchent partout. Dans Luc VIII/25, Jésus dit aux disciples: « Où est votre confiance ». A l’homme qui touche son manteau il dit: » Ta foi t’a sauvée ». Soyez attentifs, ici on parle de foi, de confiance. Il n’est ici jamais question de croyance.
Dans tout le monde bouddhique, d’Est en Ouest, on récite plusieurs fois par jour ce qui a été traduit abusivement par les trois refuges et que j’ai sciemment démythifié dans les Trois confiances.
Dhammam saranam gacchâmi
Shangam saranam gacchâmi …
1- Je mets ma confiance dans le Bouddha, homme né de la chair, uni à la chair, qui, par sa clairvoyance, découvrit les 4 Nobles Essentielles Propositions et devint parfaitement éveillé, réalisé,
2- Je mets ma confiance dans l’Enseignement qu’il a dispensé, ceci afin de me libérer de mes souffrances passées, présentes et à venir,
3- Je mets ma confiance dans l’esprit de la Communauté de ses disciples, laïcs et religieux, agissant dans la même essentialité.
Pourquoi ne pourrait-on pas aussi dire cela dans le monde chrétien en parlant de Jésus? Plutôt que de brandir, sur des banderoles surannées, le sempiternel » Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé, toi et les tiens », ne devrait-on pas dire » Mets ta confiance en son exemple, place ta confiance en ses enseignements, place ta confiance dans la communauté de ceux qui suivent ses enseignements, ainsi tu pourras t’éveiller à toi-même et, en agissant à son exemple, tu aideras les autres à s’éveiller à eux-mêmes »? Ne serait-ce pas plus juste ainsi…?
Ayant trouvé les moyens de dépasser, de dissoudre ces illusions pour parvenir à leur essentialité assurant leur bonheur, ils n’eurent qu’une aspiration, donner leur vie à l’enseigner. C’est cela la rédemption, consacrer sa vie à permettre à l’autre de s’aider lui-même, dispenser de tout son être un Enseignement visant au bonheur de l’Autre, à sa libération de la Souffrance, à l’Eveil de sa pleine conscience dans son chemin intérieur. Ceci est la véritable compassion ! à suivre …
vén. Shinjin