20 décembre 2008
Ils ne se reconnaissent pas dans les religions établies mais souhaitent intégrer une dimension spirituelle à leur éducation. Méditation, prière à un ange, cérémonie indienne… Des parents racontent leurs rituels
Une lumière dorée inonde la petite clairière du bois de Vincennes, à Paris, où Anne et Mathieu, la petite quarantaine, et Clara et Julien, 7 et 11 ans, sont venus pique-niquer. Avant d’entamer la salade de riz, chacun s’assied sur ses talons, ferme les yeux, et reste immobile et silencieux pendant de longues minutes. «Nous nous connectons à l’énergie de la terre, et nous remercions l’univers pour tout ce que nous avons et recevons», explique Anne. Puis elle précise qu’elle et Mathieu ne se considèrent pas comme des croyants, et encore moins comme des mystiques, mais comme des citoyens du monde désireux d’agrandir leur «champ de conscience» et de transmettre à leurs enfants la capacité de se connecter à l’univers visible et invisible.
Hors des dogmes
Comme eux, aujourd’hui, nombreux sont les parents qui souhaitent intégrer une dimension spirituelle à l’éducation de leurs enfants, hors des dogmes des religions établies dont ils se sont éloignés ou desquelles ils se méfient. «S’il y a un net déclin de la pratique religieuse institutionnelle, constate le philosophe Michel Lacroix, il existe parallèlement un besoin de croire à une réalité transcendante pour donner du sens à l’existence. Et c’est probablement cette foi que les adultes désirent transmettre à leurs enfants. Pour les uns, elle passe par une spiritualité sans Dieu; pour les autres, par un principe divin placé au centre de leurs croyances, mais cela peut aussi être l’amour du beau, du vrai et du bien, les trois valeurs platoniciennes.»
«Chrétiens mais pas cathos»
Aude et Sylvain se disent «chrétiens mais pas cathos». Leurs deux filles de 7 et 9 ans n’ont pas été baptisées, ce qui ne les empêche pas de connaître par coeur la vie de Jésus grâce à un dessin animé. «L’idéal chrétien d’amour et de fraternité est au coeur de nos valeurs, confie Sylvain. Nous trouvons dans la prière chrétienne de quoi nous apaiser intérieurement et contribuer à plus de paix dans le monde, c’est pourquoi nous avons appris à Tiphaine et Sarah le Notre-Père.»
Autre ambiance chez François et Iza, 46 et 43 ans, parents de quatre enfants de 3 à 16 ans. Chez ces «sympathisants bouddhistes», comme ils se définissent, la méditation remplace la prière, et les phrases de sagesse du dalaï-lama les Évangiles. Iza: «François pratique l’aïkido depuis treize ans et moi le yoga depuis dix ans, nous sommes donc naturellement attirés par la spiritualité orientale sans Dieu qui place la responsabilité de chacun au centre de sa vie. Méditer, c’est affronter, c’est arrêter de fuir. Cette capacité à faire silence en soi pour revenir au centre rend plus serein et plus fort. C’est ce cadeau que nous voulons transmettre à nos enfants. Dans la famille, chacun médite dans son coin et se retrouve régulièrement pour des méditations collectives autour d’événements familiaux, comme Noël ou les anniversaires.»
Si les pratiques diffèrent d’une famille à l’autre, selon leur «terreau» social et culturel d’origine, leur évolution et leur sensibilité, ces hommes et ces femmes désirent tous que leurs enfants développent une force intérieure. «Nos vies sont tellement morcelées, avance le psychanalyste Jacques Arènes, que nous ne nous rendons pas compte à quel point notre culture est fermée à la vie intérieure. Or il est difficile de faire des choix singuliers et conscients, de trouver des ressources en soi, d’affronter les épreuves sans avoir de vie intérieure. La spiritualité, c’est avant tout la capacité d’être relié à son intériorité, puis, dans un second temps, de se relier à plus grand que soi. Que ce soit Dieu, des dieux, la nature ou un idéal.»
Lise Bartoli, psychologue clinicienne, reçoit de nombreux enfants en consultation et déplore les dégâts occasionnés par une éducation qui prône la suprématie du mental: «Les enfants ont naturellement une vie spirituelle riche, mais on ne leur donne que rarement les moyens de la vivre. Un enfant qui dit voir des anges ou sentir une présence ne devrait pas être rabroué ni être aussitôt «reprogrammé». On peut pratiquer le doute fécond, le questionnement ouvert, sans tomber dans le mysticisme sectaire ni le matérialisme forcené. Tout est question de nuances.»
La nécessité de transmettre
Comment éveiller sans conditionner, transmettre sans asséner? Les parents conscients des pièges qui guettent les quêteurs de sens et autres chercheurs d’absolu ne sous-estiment pas les difficultés de leur tâche.
«Des pratiques ou des croyances très marginales peuvent placer le parent dans le rôle du gourou, prévient Jacques Arènes. On peut inventer des rites, emprunter des pratiques, mais mieux vaut pour l’enfant, pour son équilibre personnel et son insertion dans la société, qu’ils soient partagés par d’autres. Méditer, prier, allumer de l’encens ou une bougie, prier un saint ou un ange, pourquoi pas? L’enfant pourra retrouver ces gestes dans d’autres traditions. Il pourra ainsi les mentionner à ses camarades sans se marginaliser.»
Michel Lacroix, de son côté, préconise la prudence à l’égard de certains «arrangements» spirituels. «Le meilleur antidote au discours et aux pratiques des sectes qui bricolent une religiosité de pacotille, faite pour manipuler les consciences et non pour les éclairer, est de transmettre aux enfants un minimum de culture religieuse, en rattachant, par exemple, une pratique à sa doctrine d’origine», affirme le philosophe. Cela peut consister à relier la méditation au bouddhisme, ou encore le recours à la protection d’un ange aux trois religions monothéistes. Ainsi, Jacques 47 ans, père de trois garçons de 11 à 17 ans a choisi la voie amérindienne. Il a institué avec sa femme, Sylvie, une fois par mois, le rite du bâton de parole: «La sauge brûle, nous passons un CD de musique et de chants lakotas, et, assis sur le tapis du salon, nous nous passons le bâton de parole avant de livrer tout ce que nous avons sur le coeur. La spiritualité amérindienne nous passionne depuis longtemps, l’année prochaine nous comptons passer deux mois entre le Nouveau-Mexique et le Montana.»
Etablir le lien entre une pratique et son origine permet au parent de se positionner comme passeur et non comme prophète.
Par Flavia Mazelin Salvi
Source : Le Matin Dimanche