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La Voie orphique Mémoire de l’Immortalité

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harpe.jpgLe courant orphique
constitue une étape
essentielle au sein du
monde grec, avec, pour
la première fois sous une
forme écrite, un récit
cosmogonique, une
théogonie, une vision de
l’homme et de
l’immortalité de l’âme.

Orphée, le grand héros de la
Thrace, est un homme et
non un dieu, même si on
lui prête une origine divine. Cet
homme possède des qualités divines
de poète et de magicien ; pour
lui, les clefs de l’immortalité sont
les Muses et la maîtrise harmonieuse
de soi-même.
Il est souvent présenté comme le
fils d’Apollon et de Calliope, considérée
par Hésiode comme la première
des Muses dans sa
Théogonie. Le père d’Orphée est
aussi parfois Oeagre, dieu d’un
fleuve de Thrace. Orphée chante et
joue de la lyre avec un art tel que
les bêtes sauvages accourent
autour de lui pour l’entendre et que les arbres eux-mêmes le suivent.
Orphée peut donc contacter,
grâce aux Muses, tous les plans de
l’existence minérale, végétale, animale
et humaine. Il représente la
maîtrise de l’homme qui peut accéder
aux trésors cachés en endormant
le dragon comme dans la
Toison d’or, en défiant les Sirènes et
même les gardiens des Enfers.
Orphée est le maître des correspondances,
du langage symbolique qui
permet de communiquer entre la
vie et la mort. Orphée concilie les
forces antagonistes des dieux
Apollon et Dionysos.



Orphée aux Enfers

Dans le mythe grec, Orphée est le
jeune époux d’Eurydice. Aristée,
honnête apiculteur, désire Eurydice
et poursuit la jeune femme dans les
marais où un serpent d’eau la tue.
Orphée descend aux Enfers pour
reprendre Eurydice. Sa voix séduit
les puissances infernales, qui l’autorisent
à repartir en compagnie de
sa jeune épouse. Mais on lui prescrit
de marcher devant elle, sans se
retourner, ni de lui adresser la
parole. Orphée est incapable de
respecter le double interdit. Il perd
définitivement Eurydice qu’il a
voulu regarder ou, dit une autre
version, embrasser sans attendre.
Orphée, inconsolable, se tue ou est
tué, mis en pièces par les femmes
thraces, jalouses de l’amour exclusif
voué à son épouse. Elles se comportent
comme des bêtes sauvages,
rendues furieuses par le dieu
Dionysos. La tête et la lyre
d’Orphée, jetées dans l’Ebre, sont
portées jusqu’à Lesbos. Fixée dans
une fissure de rocher, la tête du
chantre divin rendit longtemps des
oracles.

La conquête de l’immortalité

Si Eurydice représente l’âme
humaine, Orphée symbolise
l’homme à la conquête de l’immortalité.
Ce récit nous raconte de manière
symbolique les difficultés de la condition
humaine. Malgré sa maîtrise
des plans de la nature, Orphée succombe
au doute et à la curiosité et,
de ce fait, n’atteint pas l’éternité
consciente. Mais Orphée nous enseigne
aussi la capacité qu’a l’homme
de rentrer en correspondance avec
les différents plans de la nature, d’en
maîtriser les lois et de voyager entre
la vie et la mort, de faire le lien entre
les deux rives de l’existence.
Orphée est ainsi l’inspirateur des
Mystères car même s’il ne conquiert
pas l’immortalité, il fait le voyage
dans le monde souterrain, vit
consciemment l’expérience de la descente au coeur même de la mort ainsi
que la remontée vers la vie terrestre.

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Le paradis orphique

Orphée symbolise l’innocence que
chacun détient en lui-même. Le
«paradis» orphique, promis aux initiés,
est une région bienheureuse
du monde souterrain, prairies
émaillées de fleurs où abondent les
arbres chargés de fruits, où les
âmes se reposent dans une douce
lumière, participent aux danses et
aux chants sacrés. Une grande
importance semble portée au chemin
qui conduit vers l’autre monde.
Il est en effet semé de périls. Il est
nécessaire de bien connaître l’itinéraire
à suivre et de se souvenir des
formules à prononcer. En effet,
Orphée attribue les malheurs de
l’homme aux actes violents qu’il
effectue jour après jour, aux pensées
discordantes qui traversent son
mental. Pour éviter la répétition
des mêmes erreurs qui cause sa
perte, l’homme doit faire appel à sa
mémoire.

Un courant en marge

L’orphisme se développe à l’écart
de la cité grecque à partir du VIe
siècle et se transforme, deux siècles
plus tard, dans un large courant
de littérature philosophique. Les
Orphiques agissent au coeur des
institutions des Mystères, ou bien
sont itinérants. Ils se caractérisent
par un mode de vie défini par un
certain nombre de règles, comme
celles de ne pas faire de sacrifices
sanglants, d’être végétarien, ou de
porter des habits de couleur blanche.
Le refus du sacrifice sanglant
correspond également à un refus
de la religion politique, celle
d’Homère et de la cité où le sacrifice
sanglant est une clé essentielle
des relations avec les dieux ; en
échange du sacrifice qui leur est
offert par les hommes, les dieux
arrangent leurs affaires terrestres.
L’attitude orphique rejette la séparation
faite entre les dieux et les
hommes, selon qu’ils consomment
ou non de la viande. Selon les
croyances officielles, seuls les dieux
ne consomment pas de viande,
puisqu’ils sont nourris par les
fumées des sacrifices. Les
Orphiques, végétariens et ne sacrifiant
pas de viande aux dieux, se
placent donc en marge des croyances
officielles. Il s’agit là d’un des
premiers affrontements d’une
vision philosophique et spirituelle
de l’existence face à la vision religieuse
et politique dominante,
avant les combats ultérieurs de
Pythagore et Socrate.

La mémoire, outil d’immortalité

Les lamelles d’or orphiques, retrouvées
dans des sépultures de Grande
Grèce, de Crète et de Thessalie,
contiennent des instructions destinées
à guider dans l’autre monde
l’âme dûment initiée à une doctrine
mystérique. Tous les textes de ces
lamelles nous parlent de l’espérance
d’être délivré des contraintes
de la vie terrestre, et d’atteindre,
grâce à l’initiation, un état de béatitude
ou de sérénité (voir texte
p.22).

L’âme, fille du Ciel et de la Terre

Le premier élément mis en évidence
est la double nature de l’âme
humaine. L’âme est fille du Ciel et
de la Terre ; elle se présente dans le
monde des morts comme composée.
Le corps du défunt est resté sur
la terre, une partie de son âme est
céleste et l’autre est terrestre. La
vision orphique offre une vision tripartite
de l’homme, que nous
retrouvons plus tard, notamment
dans la philosophie platonicienne, avec Noüs, l’Esprit, Psyché, l’âme
intermédiaire et Soma, le corps.
Éviter l’oubli
Le deuxième élément remarquable
est l’importance de la
Mémoire. Dans la mythologie
grecque, la Mémoire, appelée
Mnémosyne, est une Titanide, fille
d’Ouranos et de Gaïa. De Zeus qui
s’unit à elle durant neuf nuits,
Mnémosyne enfante les neuf
Muses. Mnémosyne est une divinité
orphique de premier plan.
C’est de l’eau du lac de
Mnémosyne que le défunt doit
boire, pour que son âme garde le
souvenir de l’immuable et
retrouve ainsi son origine divine.
Si elle s’identifie à Dionysos, elle
parvient à l’état de divinité parfaite.
L’eau dont elle doit s’écarter
est celle de l’oubli. Si l’âme oublie
ses origines, elle connaît une nouvelle
incarnation et retrouve le
cycle des naissances et du malheur.

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Remonter le temps

Chez les Orphiques, le fait de se
souvenir est lié à la capacité de
revenir à l’origine, au temps précédant
le passage de l’un au multiple,
alors que l’esprit et l’âme ne sont
pas encore alourdis d’une partie
corporelle. C’est grâce à la
Mémoire que l’homme peut vaincre
l’oubli, dû aux vicissitudes de la
naissance et de la mort, et devenir
conscient de son origine.
Mnémosyne nous enseigne que
l’origine de tous les souvenirs – là
où le temps n’a pas encore commencé
– est ce que, précisément, il
convient de retrouver. Tel est l’enseignement
des Mystères. Le temps
est à parcourir à rebours, en vue de
rejoindre l’absence de temps.
Toutes les générations de dieux et
d’hommes, tous les mythes racontés
par Orphée lui-même, ne sont
rien d’autre que des jeux illusoires.

Ascèse et purification

Tous les textes orphiques mettent
en évidence l’importance de l’initiation,
d’un mode de vie nécessaire
pour répondre aux questions, traverser
les enfers et parcourir la voie
sacrée. Nous trouvons, dans ces
enseignements, la notion de l’ascèse-
purification, avec la notion du
corps-tombeau (sôma = sêma)
reprise plus tard par Platon. Le mot
«ascèse» vient du grec askèsis dont
le sens propre est «pratique» ou
«entraînement». En se livrant à l’ascèse,
l’homme cherche à diminuer
son animalité, voire à la supprimer.
L’ascèse exprime le refus pour
l’homme de sa condition incarnée et
son désir de rejoindre, en cette viemême,
un absolu soustrait aux vicissitudes
de l’existence temporelle.
Parallèle à la notion d’ascèse, la
notion de catharsis, technique de
purification enseignée par
Apollon, se retrouve dans la philosophie
de l’école pythagoricienne.
La finalité de l’expérience cathartique
est la vision ou la contemplation.
La catharsis regroupe l’ensemble
des préparations nécessaires
pour recevoir une connaissance
relative à l’être et à l’unité. Elle
débute par les notions d’hygiène,
de régime, d’effort physique,
d’équilibre pour éviter toute
forme de passion et de tension.
Cette purification, chez les
Orphiques, amène à des pratiques
d’ascèse intégrant la morale, c’està-
dire, les vertus nécessaires pour
se rapprocher de l’être.


Philippe Guitton

Cet article est extrait du livre Voie orphique, les
voies de l’immortalité dans la Grèce antique,
Philippe Guitton, éditions Bénévent, 2008

A lire
La Prière, les Hymnes d’Orphée,
Pascal Charvet
Nil éditions, 1995, traduction

Mémoire et immortalité

À Mnémosyne est consacré

ce dit sur le point de mourir.

«Tu iras dans la demeure

bien construite d’Hadès : à

droite il y a une source,

À côté d’elle se dresse un

cyprès blanc ;

C’est là que descendent les

âmes des morts et qu’elles

s’y rafraîchissent.

De cette source tu ne

t’approcheras surtout pas.

Mais plus loin, tu trouveras

une eau froide qui coule

Du lac de Mnémosyne ; audessus

d’elle se tiennent des

gardes.

Ils te demanderont, en sûr

discernement,

Pourquoi donc tu explores

les ténèbres de l’Hadès

obscur.

Dis : “(Je suis) fils de la

Terre et du Ciel étoilé.

Je brûle de soif et je défaille ;

donnez-moi donc vite

À boire de l’eau froide qui

vient du lac de

Mnémosyne”.

Et ils t’interrogeront, par le

vouloir du roi des Enfers.

Et ils te donneront à boire

(l’eau) du lac de

Mnémosyne.

Et toi, quand tu auras bu, tu

parcourras la voie sacrée,

Sur laquelle aussi les autres

mystai et bacchoi avancent

dans la gloire».

Lamelle orphique dite d’Hipponion, découverte

en Crète en 1969, datée de la fin du Ve

ou du début du IVe siècle avant J.-C., in Les

lamelles d’or orphiques, Giovanni Pugliese

Carratelli, Les Belles Lettres, 2003, p. 35.

Revue n°206

Source : www.revue-acropolis.com

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