Début septembre dernier, quelques centaines de moines bouddhistes manifestaient à Pakokkhu, en Birmanie centrale. Ils protestaient contre l’augmentation des prix des carburants qui mettait à genou un peuple déjà exsangue après un demi-siècle de pillage et de terreur.
La violence de la répression militaire qui a eu lieu à l’encontre des moines à déclenché l’indignation de la Sangha Bouddhiste. Une nouvelle organisation, l’ABMA, l’Alliance de Tous les Moines Birmans, exigea alors des excuses de la part du gouvernement, la réduction immédiate des prix des carburants, la libération d’Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la Paix en captivité et leader de la voie démocratique, ainsi que celle de tous les prisonniers politiques.
L’autisme d’une dictature paranoïaque forte des ses puissants alliés politiques et économiques, ainsi que d’une armée nourrie de 40% de son budget fut à peine surprenante.
En réponse, des dizaines de milliers de nonnes et de moines ont mené des manifestations pacifiques au son du Metta Sutta, le chant d’amour et de compassion universels du Bouddha, déclenchant les plus grandes manifestations que le pays ait connues depuis 1988. Ils bravaient ouvertement la junte, allant même jusqu’à refuser les aumônes des militaires et de leurs familles [[Ce refus se nomme en pali Patam Nikkujjana Kamma. Il est symbolisé par le bol retourné, grave avertissement de la rupture du lien sacré avec la voie de libération du Bouddha.]] .
Entre le 19 Août et le 2 Octobre, 227 manifestations dans 66 villes de Birmanie ont affronté une des pires dictatures de notre époque. On appelle aujourd’hui cette page d’histoire La Révolution Safran.
Grâce aux nouveaux moyens de communication et à l’intrépidité de certains, le monde a pu assister au spectacle de ces femmes et de ces hommes, bravant mains et pieds nus les militaires, sous les larmes d’émotion d’un peuple martyr qui se voyait enfin espérer. Le 22 Septembre, quelques miliers de moines pacifiques ont même pu dépasser les barrages policiers de l’avenue de l’université et accéder à la maison d’Aung San Suu Kyi. La représentante élue du peuple n’a pas failli à l’appel. Elle est sortie, en larmes et les mais jointes, bravant elle aussi les murs d’une prison qui l’a isolée de tout pendant plus de 13 ans.
«La lumière de votre dignité et de votre engagement pour la Liberté et la Justice sont la source de notre force.»
Ashin Nayaka
C’en était trop pour la junte. La peur et la propagande diffusées au sein de l’armée devaient briser le tabou de ce pays Bouddhiste dans lequel frapper un moine est un péché capital, et surtout, surtout briser l’enchantement qui embrasait le peuple… Malgré une centaine de désertions recensées, les militaires ont obéi aux ordres et la répression a commencé le 26 Septembre. Ils ont arrêté jusqu’à 6 000 personnes, y compris au moins 1 400 moines.
Les prisonniers ont été battus, torturés, interrogés, les moines défroqués de force. Les conditions de détentions et le manque de soins médicaux ont entraîné la mort d’un nombre non déclaré de détenus. L’armée a fait des raids dans au moins 49 monastères, saccageant, terrorisant, pillant, battant et défroquant les moines.
Les monastères qui apportaient de l’aide aux malades atteints du HIV/AIDS ont été attaqués, fermés, et les moines arrêtés. Les monastères de Rangoon ont reçu l’ordre de ne plus recevoir d’invités, moines, ou même personnes des zones rurales voyageant à Rangoon pour y recevoir des traitements médicaux.
Les autorités ont reconnu au total 10 morts, y compris le journaliste japonais Kenji Nagai, abattu à bout portant par un soldat qui se croyait à l’abri des caméras…
Bob Davis, l’ambassadeur Australien a déclaré à l’époque que le montant des morts pouvait être jusqu’à sept fois plus élevé. Certains groupes pro-démocratiques recensent le nombre de décès à 200.
Et aujourd’hui ? Les généraux milliardaires illégitimes continuent de s’abreuver des richesses d’un peuple qui, sans une aide réelle de la communauté internationale ne peut pas se lever. Aung San Suu Kyi, prisonnière isolée sous les ardents hommages internationaux, est encore malgré tout en vie. Le nombre de détenus politiques et de victimes de la junte n’a de cesse de grossir.
Le statu quo criminel un an après dénonce la complaisance et/ou l’impuissance de la communauté internationale, ornée d’effets de manche diplomatiques sans effet, et d’une réelle collaboration économique avec les bourreaux, comme par exemple les 972 millions de dollars par an [[ http://www.lesoir.be/forum/cartes_blanches/carte-blanche-le-gazoduc-2008-05-23-600392.shtml ]] de revenus pour la junte grâce au gazoduc de TOTAL en Birmanie, somme couvrant le total estimé du budget de l’armée Birmane.
En Août dernier, Ashin Nayaka, moine Birman de l’International Burmese Monk Organisation disait : « La lumière de votre dignité et de votre engagement pour la Liberté et la Justice sont la source de notre force ».
Oui, au delà de la meurtrissure et de l’anéantissement provoqués par la victoire de la violence et de l’injustice, il y a encore et toujours le jour qui cherche poindre au bout de cette nuit qui n’en finit pas, parce que nul dictateur, aussi puissant soit-il ne pourra arrêter la Vie, et parce que jamais la Liberté ne mourra en prison.
Au nom de la beauté qui unit les êtres, n’oublions pas la Birmanie.
Par Sophie Alvarez
Source des chiffres sur la Révolution Safran : Alternative Asean Network on Burma