Accablé par les vicissitudes de son existence agitée, Léo tente en vain de trouver refuge en s’enivrant de musique électronique, d’alcool et de haschisch. Lorsqu’un collègue de travail lui parle d’un entraînement méditatif capable de mettre fin à la racine de toutes les souffrances, c’est la grande révélation.
Sans attendre, il décide de renoncer à tout, y compris à sa petite amie, pour partir en Birmanie, à la recherche d’un lieu isolé adapté à la vie contemplative. Outre les difficultés d’acclimatation au manque de confort et aux usages orientaux, ses trois pires ennemis feront tout pour le détourner du bon chemin : l’ignorance, l’aversion et le désir…
Dhamma Sámi est moine bouddhiste (théravada) depuis le 12 avril 1998. Il a créé quelques sites Internet, rédigé et traduit quelques livres (tous disponibles gratuitement) et dirigé quelques retraites vipassaná (en Birmanie, en France, en Suisse, en Belgique). L’ensemble de ses réalisations se destine à faire connaître au public la voie de la délivrance.
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INTERVIEW AVEC DHAMMA SAMI, RÉALISATEUR DE DÉLIVRANCE
– Pourquoi ce film ?
On peut se dire : « Tiens, c’est bizarre, un moine qui fait un film, cela n’est-il pas contraire à la discipline monastique ? » Hé bien non ! Tant qu’il ne s’agit pas d’une histoire futile. Le rôle du moine bouddhiste, c’est de se consacrer à la voie qui mène à la compréhension des choses, en la pratiquant et en la faisant connaître. L’idée de base, c’est donc de montrer cette voie, de manière très simple, en invitant néanmoins le spectateur à entrer en plein cœur du sujet. Parce que l’histoire montre cette voie dans son aspect purement pratique, ce qui contraste totalement avec l’image autant ésotérique que superficielle du soi-disant bouddhisme qu’on livre au grand public à tord et à travers.
Pour s’engager sur cette voie, qui conduit à la pleine sagesse, il faut deux choses. D’une part être suffisamment mûr, se sentir prêt, et d’autre part être mis au courant, savoir que ça existe. Cela paraît bête à dire, et cependant, ces deux facteurs sont aussi importants l’un que l’autre.
Tout ça pour dire que ce film est avant tout un moyen de faire connaître d’une manière – à ma connaissance – jamais vue l’enseignement de Bouddha à un public large parmi lequel il y aura peut-être quelques personnes prêtes à remettre sérieusement en question la direction qu’ils donnent à leur existence. Car bien sûr, ceux qui regardent des films – aventure intérieure ou pas, comédie spirituelle ou pas – n’ont pas tous pour habitude de visiter des sites Internet dédiés au sujet, loin s’en faut, et encore moins, celle d’aller rendre visite à des moines qui hélas, il faut bien le dire, limitent souvent leur action à diriger des cérémonies.
Ce film est aussi l’occasion de présenter des concepts clefs, comme les caractères simple et anti-mystiques de la voie vers la connaissance juste de la réalité, et de tordre le cou à des clichés types complètement erronés, comme le fait que la sagesse ne pourrait pas exister chez une jeune fille. Ou encore, entre autres, de montrer que ce qui importe dans la méditation, c’est l’attention, ou la concentration, et absolument pas la posture, ni le lieu, et que la présence d’un bon guide est primordiale. Plus simplement, j’espère que ce film aidera à faire comprendre que le cœur de l’enseignement de Bouddha, c’est la méditation, la compréhension, et que ça n’a rien à voir avec des textes qu’on récite comme des formules magiques ou d’autres rituels de quelle sorte que ce soit !
Voilà donc pourquoi j’ai décidé de mettre mes quelques penchants artistiques au service de la bonne cause.
– Comment ce film s’est-il fait ?
En 2004, alors que j’étais en Birmanie – c’est là-bas où j’ai passé le plus de temps depuis que je suis moine, c’est-à-dire une dizaine d’années –, j’ai eu l’idée de réaliser un film le plus réaliste possible sur la vie de Bouddha. Il devait y avoir des palais somptueux, des milliers d’acteurs dont des guerriers, des rois, des princesses, des chevaux, des éléphants, et j’en passe. Comme j’étais seul, sans un sou, équipé seulement d’un petit caméscope bas de gamme, la barre était sans doute un peu haute.
En tout cas, je ne manquais pas d’optimisme. Je suis allé demander de l’aide en frappant à quelques portes, dont celle du théâtre national de Mandalé et celle de Monsieur Sukkha, réputé meilleur réalisateur du pays en matière de films bouddhiques. Tout cela en vain. Réalisant qu’il convenait d’être un peu plus raisonnable, j’ai commencé à écrire une histoire en fonction de conditions de tournage nettement plus abordables.
Grâce à une inspiration fulgurante, 14 jours auront suffit pour écrire ce nouveau scénario. Chaque scène défilait dans ma tête comme si j’avais déjà vu le film. Un réalisateur (de métier) m’a proposé de prendre en mains la réalisation. J’ai accepté. Comme trois années plus tard, il ne paraissait toujours pas plus pressé de mettre la main à la pâte, je m’en suis conformé au proverbe « on n’est jamais si bien servi que par soi-même ». En plus, j’ai toujours affectionné l’idée de débrouille, de récupération, de faire simplement avec ce dont on dispose. C’est d’ailleurs devenu le véritable moteur du projet : L’art de faire quelque chose de grand à l’aide de rien. Un peu comme ces vagabonds qui créent de véritables chefs d’œuvre sur les trottoirs à l’aide de bouts de craies grasses, et sans avoir fait la moindre école artistique. En partant de là, une sorte de défi s’est imposé : faire quelque chose d’aussi propre et professionnel que possible à l’aide d’un budget zéro et avec une équipe de 100 % d’amateurs.
Budget zéro, c’est une façon de dire. Disons qu’il n’y a pas eu de livre de comptes officiel, mais rien que pour les déplacements, frais d’auberge, de nourriture, du matériel de tournage et quelques accessoires et vêtements, il y en a bien eu pour pas loin de trois ou quatre mille euros.
Ce qui me plaît aussi, c’est de pouvoir proposer le film gratuitement ; accessible à tous, sans qu’il n’y ait un seul sou en jeu. Cela rejoint bien ce qui définit le moine : Il ne doit jamais posséder d’argent, il se moque des profits, il délivre le dhamma à tous ceux qui le veulent bien, sans rien espérer en retour.
L’un des points essentiels sur lequel j’ai porté une attention particulière, c’est l’authenticité. J’ai cru important que ce film soit aussi réaliste que possible à tous points de vue, en allant presque jusqu’à le faire ressembler plus à un documentaire qu’à une fiction. Bien que le scénario soit très précis, mon principal souci était donc le naturel des acteurs, qui disposaient d’une certaine liberté dans leurs expressions orales et physiques. En fait, certains jouaient presque leur propre rôle.
J’ai également apporté beaucoup d’attention à la fluidité des plans et à divers aspects qui étaient à notre portée, espérant que cela aide à oublier un peu les aspects que nous n’avions pas les moyens de contrôler, comme la qualité de l’éclairage ou de l’image en général, ainsi que de celle de la prise de son.
– Pourquoi cette histoire ?
C’est sorti tout seul. En fait, j’ai la sensation de n’avoir rien choisi. J’ai écrit comme les choses se présentaient à l’esprit, le plus simplement du monde. Il fallait au départ un personnage qui mène une vie relativement ordinaire, de façon à ce qu’on puisse aisément s’identifier à lui, une histoire prenante, dès la première séquence, jusqu’à la dernière, selon un fil conducteur clair et facile à suivre, en dosant parcimonieusement l’action, les dialogues, la musique et les sentiments, tout en évitant la saturation et les longueurs. Les scènes drôles se bousculaient dans ma tête. J’ai dû me contraindre plusieurs fois à en oublier, sinon cela aurait risqué de noyer le caractère mine de rien extrêmement sérieux de l’histoire. Trop d’humour et cela devient clownesque, trop peu d’humour et cela devient rasoir. Tout est une question d’équilibre.
Le scénario d’origine étalait l’histoire sur trois heures de film. Comme je souhaitais une durée plus standard et surtout un film qui ne se confine pas à une cible limitée, mais au contraire susceptible d’intéresser tout public, j’ai longuement remanié le scénario, en détaillant tous les aspects techniques, plan par plan. La partie occidentale du film (une petite moitié) n’a pas subi de changements fort importants. En revanche, la partie birmane a été complètement réécrite, car elle était truffée d’instructions méditatives très détaillées, ce qui aurait rendu le film irregardable pour un étranger au monde de la méditation.
Pour ce qui est de l’histoire elle-même, ceux qui me connaissent croient facilement qu’il s’agit d’une mise en scène de ma biographie. En fait non, parce que même si certains éléments s’en inspirent, l’histoire – dans ses détails – n’a rien à voir avec la mienne. Toutefois, dans le fond, la ligne de base est naturellement similaire. Inévitablement je dirais, comme n’importe quel individu qui, après avoir mené une existence familiale, renonce à tout pour la vie contemplative. Tout comme Bouddha et certains de ses disciples, sauf qu’eux n’ont pas eu besoin de prendre l’avion.
– Scène préférée ?
Toutes ! …Ce n’est pas évident de faire un classement précis, mais disons que parmi mes scènes fétiches, se trouve sans doute la scène où Léo et Phyu Phyu dînent le soir, sur la petite terrasse au bord de l’étang. Parce que c’est là que les deux personnages principaux lient connaissance. Elle, affiche clairement sa dignité, son dévouement, sa force de caractère et son intelligence. Lui, est si ravi de faire cette connaissance qu’il en oublie subitement ses grandes résolutions et carrément le pourquoi de sa venue en Birmanie.
C’est peut-être la scène clef du film parce qu’elle présente un tableau qui résume parfaitement les deux grands rôles de l’histoire : On y voit ce jeune Occidental (Léo) ayant renoncé à tout pour venir en Asie s’investir corps et âme dans la méditation qui, croyant encore que le vrai bonheur peut se trouver dans une relation amoureuse, courtise une jeune fille (Phyu Phyu) dont il ne connaît pratiquement que le sourire. En outre, il l’incommode sans même s’en rendre compte avec sa cigarette. Elle, par la grâce de sa sagesse, le remet en place sur la bonne voie en quelques phrases très simples et le désarme de ses cigarettes sans qu’il ne bronche plus d’un instant et de surcroît, elle parvient à lui faire stopper ce vice.
En même temps, Léo a déjà malgré tout une grande maturité pour la voie du renoncement. C’est pourquoi il se ressaisit vite et obtempère immédiatement lorsque Phyu Phyu remet les pendules à l’heure, sans prendre la fuite dans une forêt de justifications et de discussions futiles. Au contraire, cet incident lui permet de prendre conscience du danger des attachements, et par conséquent, de la nécessité à être bien guidé.
– Projets ?
Finis, les projets ! Je ne suis pas réalisateur, mais moine. Quoique, il faut bien l’avouer, réaliser un film est un moyen, original certes, mais comme un autre, d’enseigner le dhamma. Mais c’est trop compliqué. Cela engendre trop de pensées, une certaine pression psychologique. Il faut beaucoup de temps, de matériel, et n’oublions pas non plus toute l’énergie, le temps et même l’argent, dépensé par les nombreuses personnes ayant eu la bonté et la générosité de contribuer au projet. Et ne parlons pas des nombreuses personnes qui ont travaillé (toutes bénévolement) directement sur le tournage, comme les acteurs et les aides en tout genre (on ne peut toutefois pas considérer qu’il y a eu des techniciens). On ne dirait pas, à voir le film, mais il ne compte pas moins de 125 rôles (dont environ 75 figurants) !
Quoi qu’il en soit, je ne regretterai jamais cette aventure pour le moins extraordinaire dans une vie monastique. Pour moi, ce film représente un peu le fruit de mon existence, comme si tout ce que j’avais appris et expérimenté dans des domaines si divers avait contribué à ça. J’ai le sentiment d’avoir non pas laissé une trace, c’est sans importance, puisque toutes les traces finissent inéluctablement par disparaître, mais d’avoir produit quelque chose qui peut-être pourra contribuer à donner une vision ouverte sur cette démarche qui consiste à se purifier complètement le mental. Finalement, le nom de ce film est pour moi plutôt approprié, puisqu’il m’apparaît en quelque sorte comme une délivrance !
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