LA PÉPITE D’OR
Une pépite d’or s’échappa de l’établi d’un bijoutier qui polissait un bijou inestimable tant par sa valeur réelle que symbolique. C’était la couronne du roi du pays des sycomores composée d’or très pur, sans aucun alliage.
Cette poussière de lumière tomba par terre puis le vent la transporta à l’extérieur. Depuis, elle demeure là, resplendissante, sur le trottoir, dans une fente de béton. Elle est bien heureuse d’avoir fui ce joaillier qui n’offre que des bijoux usagés à sa femme et qui se garde le quart de toute chaîne qu’on lui porte à réparer.
Anonyme, elle veut demeurer, loin des regards, loin des histoires, loin des nobles cours et des grands bals. Au soleil, elle brille. La nuit, elle brille. Sous la pluie, elle brille. Sous la neige, elle brille. Sous le verglas, elle brille. Elle ne brille pour personne, sinon pour l’amour de briller et de refléter sa vraie nature. Elle ne demande qu’un peu de paix et de tranquillité.
Un clochard du quartier l’aperçut un bon matin d’avril, alors qu’un rayon de soleil avait centuplé son éclat. Le voyant prêt à la ramasser, elle s’est couverte de poussière et se cacha sous un morceau de verre qui, par chance, se trouvait là. Elle plongea encore plus profondément dans sa fente élargie par l’ œuvre du gel et du dégel.
Elle ne voulait pas être appréciée ni aimée. Elle ne désirait pas être portée par les richissimes ni être exploitée. Elle souhaitait rester petite, cachée loin des regards, jamais brocantée.
Le clochard qui souleva le morceau de verre, espérant ramasser ce qu’il croyait être une boucle d’oreille en or ou une bague, s’en alla bredouille. C’était peut-être une illusion, pensa-t-il. Le soleil peut bien prêter ses rayons d’or à une vitre éclatée.
Par Bernard Antoun
Extraits de Mémoires de ciels et de vents (2005) éd. Humanitas (Québec)