LES MANIFESTATIONS EMMENÉES PAR DES MOINES MONTRENT L’EXISTENCE D’UN ACTIVISME BOUDDHISTE [[Traduit de l’Anglais par Hélène LE, pour www.buddhachannel.tv ]]
30.03.2008
BANGKOK, Thailande – Des moines bouddhistes lançant des pierres sur les Chinois au Tibet, ou se regroupant pacifiquement contre les militaires du Myanmar, peuvent faire fausses notes.
De pareilles scènes vont à l’encontre de la philosophie bouddhiste qui bannit la politique et accepte même les pires ennemis – chose à laquelle la foi a adhéré, à quelques exceptions tumultueuses près, au cours de ses 2500 ans d’histoire.
Mais l’activisme politique et les explosions de violence sont devenus chose commune au sein des sociétés bouddhistes d’Asie, en ce qu’elles luttent variablement contre les dominations extérieures, les régimes oppressifs, l’injustice sociale et la destruction de l’environnement.
Les moines et nonnes sont plus nombreux à sortir de leurs monastères vers les bidonvilles et les rizières – et parfois jusque dans les rues enfumées de gaz lacrymogènes, où retentissent les coups de feu.
« En ces temps modernes, prêcher n’est pas suffisant. Les moines doivent agir pour améliorer la société, afin d’éliminer le mal », explique Samdhong Rinpoche, premier ministre du gouvernement tibétain en exil et lama de haut rang.
« Il est de la responsabilité de chaque individu, les moines comme les laïcs, d’agir pour l’amélioration de la société », a t-il confié à l’Associated Press à Dharamsala, en Inde, commentant les manifestations initiées ce mois-ci par les moines.
Lors des manifestations étendues des trois dernières semaines, des moines aux robes cramoisies – certains chargeant les troupes casquées avec des pierres – ont rejoint les citoyens ordinaires qui ont déployé les drapeaux tibétains et demandé l’indépendance à la Chine. Le bilan officiel des morts lors des manifestations à Lhassa, qui émane de Pékin, est de 22 personnes, mais le gouvernement en exil du Dalai Lama compte 140 Tibétains tués sur place et dans les communautés tibétaines en Chine occidentale.
L’effusion de sang a également entaché la soulèvement pro-démocratique du printemps dernier au Myanmar, surnommée la « Révolution Safran » du à la couleur de la robe des moines qui ont mené les manifestations non-violentes contre le régime militaire oppressif du pays.
En Thailande, les fidèles d’une secte bouddhiste ont pris part à des manifestations de rue qui ont conduit à l’expulsion du Premier Ministre Thaksin Shinawatra il y a deux ans.
Au Sri Lanka, le parti ultra-nationaliste Jathika Hela Urumava, emmené par des moines, a encouragé l’utilisation de la force contre les rebelles Tamouls du pays. En 1959, ce fut un moine qui assassina un premier ministre, pour une loi visant à protéger la langue tamoule.
En effet, l’activisme reflète une autre facette de l’histoire bouddhiste. En dépit de cette croyance d’une image passive, une pression agressive a depuis toujours existé, en particulier au sein de l’école Mahayana du Bouddhisme, pratiqué au Japon, en Corée, en Chine et au Tibet.
Les Sohei, moines au Japon, ont mené des batailles rangées entre eux, et contre des clans laïcs pendant plus de 600 ans jusqu’aux alentours de 1600. Le temple chinois Shaolin, un centre d’arts martiaux encore de nos jours, était autorisé à engager des moines guerriers à partir du 7ème siècle, par des empereurs qui parfois les utilisaient pour soumettre banditisme et rébellions.
Le moine Saya San est devenu un héros national dans les années 1930 au Myanmar – ensuite devenu Birmanie – en menant une révolte. Les Britanniques coloniaux le pendirent après avoir empêché sa troupe de 12 000 hommes de supprimer son armé de paysans.
L’auto-immolation du moine Thich Quang Duc en pleine rue de Saigon est devenue une image iconique de protestation contre la guerre du Vietnam.
Avant que la Chine ne s’empare du Tibet en 1959, les moines guerriers détenaient parfois entre leurs mains, bien plus de pouvoir – et d’armement – que l’armée elle-même. Le monastère Sera de Lhassa, foyer des manifestations récentes, était souvent cité pour ses combattants d’élite, les « dob-dobs », qui en 1947, participèrent à la rébellion faisant 300 morts.
« Faites usage de moyens pacifiques là où ils sont appropriés, mais là où ils ne le sont pas, n’hésitez pas à en venir à des moyens plus fermes », disait le précédent Dalai Lama, maintenant décédé, lorsque le Tibet luttait contre les Chinois dans les années 1930.
Christopher Queen, un expert en Bouddhisme à l’Université de Harvard, explique que la nouvelle tendance se développe parmi les quelques 350 millions de croyants, d’une libération spirituelle de l’individu avant de s’attaquer à des problèmes tels que la pauvreté et la dégradation de l’environnement, qui affectent toute les communautés ou nations.
Au Sri Lanka, le Sarvodaya Shramadana, ou « Eveil Mondain », fournit tout, de l’eau potable au logement de base dans plus de 10 000 villages pauvres. Et en Inde, des groupes bouddhistes luttent pour les droits des « Intouchables », la dernière caste.
Mondial, et généralement affilié, originaire des couches inférieures plutôt que des hiérarchies religieuses au sommet, et plus musculaire que méditatif, ce mouvement est largement connu sous le terme de Bouddhisme Engagé.
Les « Bouddhistes engagés recherchent les causes sociales, économiques, et politiques de la misère humaine dans le monde et s’organisent pour les aborder. Le rôle du service social et de l’activisme évolue clairement dans toutes les parties du monde bouddhiste », indique M. Queen dans une interview.
Non sans perdre son sang froid, M. Queen explique « la tradition bouddhiste est à juste titre connu pour sa pratique systématique de la non-violence ». Ceci conduit les chercheurs à douter qu’il puisse tourner au terrorisme ou à la violence soutenue, autrement que sous la forme d’éclats spontanés occasionnels. Ils remarquent que le Bouddhisme ne préconise pas de tuer les hérétiques ou de répandre la foi par la force.
En effet, le Dalai Lama a décrié les récentes violences, tout en soutenant le droits des peuples à manifester pacifiquement. Et Samdhong, le premier ministre en exil d’ajouter : « S’ils (les moines) veulent se battre, ils doivent se défroquer et rejoindre les combattants ».
Par Denis D. Gray
Source : AP
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