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Voyageur au coeur des Religions

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Photo Copyright Philippe Lelluch 2000
Photo Copyright Philippe Lelluch 2000


Jacques Brosse, grand prix de l’Académie française pour l’ensemble de son oeuvre traduite en dix langues, était moine zen, reconnu dans le monde bouddhiste comme un enseignant expérimenté, l’un des premiers en Occident. Jacques Brosse a écrit de nombreux ouvrages dont L’Univers du Zen, Les Maîtres Zen, Zen et Occident, Histoire de la chrétienté d’Orient et d’Occident, Maître Dogen : moine zen, philosophe et poête, Satori : dix ans d’expérience avec un maître zen …

L’AVENTURE INTERIEURE – PAR JACQUES BROSSE


Article paru dans le hors-série n° 28 du Nouvel Observateur :

La soif de Dieu : voyage au coeur des religions

Propos recueillis par Jean-Philippe de Tonnac et Catherine David.


Le Nouvel Observateur. – Qu’y a-t-il de commun à toutes les expériences spirituelles?

Jacques Brosse. – Il n’existe qu’une expérience spirituelle : se mettre en face de soi-même. C’est le fameux Qui suis-je? Une question à laquelle chacun doit répondre pour soi… Il vient un moment dans la vie où l’on doit se poser cette question. Mais pas trop tôt. Souvent, la question se pose après la trentaine. On se dit: Bien, j’ai déjà un peu construit ma vie, mais qu’est-ce que je fais vraiment? L’expérience spirituelle prend donc l’aspect du « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux  » inscrit au fronton du temple de Delphes. C’est pour moi une définition de la quête spirituelle.


N. O. – En quoi le fait de se connaître soi-même permet-il de connaître l’univers?

J. Brosse. – Pour un Occidental, l’expérience revient à mettre en doute ses certitudes: l’individu d’un côté, le monde de l’autre; l’âme d’un côté, le corps de l’autre. Des positions que nous appelons dualistes et qu’inspire le combat du bien et du mal.


N. O. – Vous refusez les notions de bien et de mal ?

J. Brosse. – Dans l’absolu il n’y a ni bien ni mal puisque ce qui est bien devient mal et réciproquement. A un autre niveau, il faut bien prendre parti mais sans oublier que dans ce bien il y a peut-être un peu de mal, que dans le criminelle plus endurci il y a du bien.


N. O. – Qu’est-ce que la mystique par rapport à l’expérience spirituelle?

J. Brosse. – Toute expérience spirituelle est mystique et initiatique. On peut distinguer dans toutes les voies une expérience immédiate, à travers laquelle le mystique entre directement en relation avec la divinité; s’il s’agit de méditation zen, on parle de sa tari ou d’illumination. Il existe une autre voie, qui vous permet de vous élever graduellement. La grâce n’est pas l’objet d’un calcul, elle est donnée indépendamment des fins que l’on s’est assignées. Cependant, si l’on n’est pas préparé à la grâce, on peut la recevoir et ne pas s’en apercevoir. Les enfants aussi peuvent avoir des éveils, mais les adultes sont souvent incapables de comprendre de quoi il s’agit.


N. O. – Que cherche-t-on à connaître? Le « moi » social, le « moi » familial, ou s’agit-il d’autre chose ?

J. Brosse. – Les bouddhistes répondent que c’est la nature de Bouddha. Nous sommes des éveillés et nous ne le savons pas. L’éveil peut être comparé au fait de recouvrer la vue pour un aveugle de naissance. C’est se connaître, non plus en tant qu’individu séparé mais participant àl’univers et relié aux autres.


N. O. – Est-ce connaître son inconscient ?

J. Brosse. – Ce serait réducteur, parce que l’inconscient est un concept plutôt négatif. Pour les psychanalystes, le moi n’est pas quelque chose à quoi l’on puisse se raccrocher. Il naît du conflit entre le « ça » et le « surmoi », il est une force de résistance à l’un et à l’autre, c’est tout. La question est de savoir ce qui reste lorsqu’on réalise que le moi est une fiction.


N. O. – Vous avez fait une psychanalyse. Dans quel contexte?

J. Brosse. – Le plus classique possible: une analyse freudienne. C’est très bien de remettre le moi en marche, mais ce n’est pas suffisant. A l’origine, la psychanalyse a été conçue pour soigner des névrosés, non pour guérir des gens normaux. A la fin de sa vie, Jung disait que si on lui trouvait quelqu’un de normal, il le guérirait.


N. O. – La psychanalyse est-elle un préalable nécessaire à l’expérience spirituelle?

J. Brosse. – Ce n’est pas indispensable. Un maître idéal serait celui qui connaîtrait la psychanalyse de l’intérieur, pour distinguer ce qui est psychique de ce qui est spirituel.


N. O. – Pouvez-vous définir ces termes?

J. Brosse. – Dans le langage des mystiques, on dit psychique et pneumatique, de pneuma en grec, le souffle, l’esprit. Ce qui est psychique est de l’ordre de l’âme, ce qui est spirituel est de l’ordre de l’esprit. Ce qui fait l’unité de l’individu, c’est le corps, lui-même changeant, impermanent.


N. O. – Comment peut-on situer l’inconscient dans le bouddhisme?

J. Brosse. – Il n’y a pas d’inconscient dans le bouddhisme, en ce sens qu’il est seulement l’une des consciences. Le bouddhisme distingue de six à huit consciences. Il y a une conscience pour chacun des sens qui sont au nombre de six, le sixième étant le mental qui cherche à faire la synthèse des cinq premiers. La septième est une autre forme du mental qui tend vers l’universel. La huitième est la conscience fondamentale, âlaya, qui correspond à peu près à l’inconscient collectif de Jung, mais beaucoup plus étendu. L’analyse de la conscience évite la fracture du conscient et de l’inconscient. La conscience âlaya est composée de l’expérience personnelle de l’individu, de son expérience actuelle, de son karma, du karma de ses parents, du karma de l’humanité, de l’univers tout entier. Au moment de l’éveil, c’est cette conscience qui est purifiée.


N. O. – Quel est le point de départ de l’expérience ?

J. Brosse. – C’est la douleur, la souffrance existentielle, ce que le bouddhisme nomme duhkha. C’est aussi cette souffrance qui pousse les gens vers la psychanalyse.


N. O. – Comment les pratiques venues d’Orient sont-elles comprises puis « récupérées » ?

J. Brosse. – L’aventure du yoga montre comment une culture peut, en effet, être « récupérée » par l’Occident et totalement vidée de sa substance. Il faut veiller à ce qu’une même dérive ne déforme pas le bouddhisme aujourd’hui.


N. O. – Le Connais-toi toi-même demande à chacun de trouver ses propres instruments pour se connaître.

J. Brosse. – Oui, mais on suppose qu’il les a. Tant qu’un être n’a pas pris conscience de la nécessité d’une recherche personnelle, il n’y a rien à faire. Une fois la démarche initiée, on a besoin d’une discipline, d’un guide, de quelqu’un qui a déjà fait l’expérience.


N. O. – Il existe aujourd’hui une grande variété de disciplines, des méthodes traditionnelles aux bricolages du New Age. Comment choisir ?

J. Brosse. – Une méthode valable est celle qui a fait ses preuves. Le christianisme a fait ses preuves pendant deux mille ans, et le bouddhisme pendant deux mille cinq cents ans. Une méthode style New Age, qui pioche dans chacune des grandes traditions et mélange le tout, ne fait la preuve que de sa nocivité. Cela dit, je ne crois pas qu’il existe une méthode universelle, c’est pourquoi il faut préserver les différences par-delà l’œcuménisme.


N. O. – Pourquoi le bouddhisme réussit-il si bien chez nous?

J. Brosse. – Il répond à un besoin auquel les méthodes occidentales ne répondent plus. Prenons le catholicisme que je connais un peu et que je n’ai jamais tout à fait quitté. Un certain nombre d’obstacles empêchent peutêtre les Occidentaux de s’y accomplir. Par exemple, la conviction qu’on est seul à avoir raison, ce qui est le problème de tous les monothéismes. Il a existé dans le monde chrétien des écoles monastiques mystiques qui pouvaient répondre à ces besoins fondamentaux. On trouve chez maître Eckhart des recommandations qui pourraient être celles d’un maître zen. Il s’agissait d’une méditation, avec une posture et des étapes àparcourir, aussi précises que celles du bouddhisme tibétain.


N. O. – Existe-t-il aujourd’hui dans le christianisme une méthode analogue qui soit encore pratiquée?

J. Brosse. – L’hésychasme dans l’Eglise orthodoxe, qui signifie « la paix »,  » le repos », pratiquée par les moines du mont Athos. Elle est basée sur la méditation à partir d’une posture et d’un « mantra » : « Jésus, fils de Dieu, prends pitié de nous. »


N. O. – Comment imaginer qu’un chrétien affronte la question du Connais-toi toi-même si ces méthodes d’éveil sont absentes de son paysage?

J. Brosse. – Mais il n’a pas besoin d’éveil. Dans le christianisme, on est sauvé ou damné. Cela ne se passe plus sur le plan de l’esprit, mais sur le plan de l’âme. Ces distinctions permettent de mieux comprendre à quel niveau se situe l’expérience. Dans la méditation zen que je pratique, il faut partir du corps pour réussir à cerner l’anima qui anime le ~ corps, c’est-à-dire l’âme qui disparaît avec le t corps. Dans notre schéma, l’âme est donc !2 mortelle. Mais il y a autre chose, qui est
l’esprit. L’aspect trinitaire de l’homme a été évacué par l’Eglise catholique mais subsiste dans l’Eglise d’Orient.


N. O. – Quelle est la fonction du guide dans l’expérience ?

J. Brosse. – Un maître zen dit à ses disciples: « Je peux vous conduire à l’abreuvoir, mais je ne peux pas boire pour vous. » Le guide n’impose pas un point de vue. Le maître enseigne ce qu’a enseigné le Bouddha, mais à travers sa propre expérience, et en tant qu’il précède ses élèves de quelques longueurs seulement sur la voie. Son obligation est plutôt de veiller à ce que la discipline soit suivie rigoureusement et que l’élève ne s’installe pas dans une pratique imaginaire.


N. O. – Qu’apporte la pratique du zen dans la vie quotidienne ?

J. Brosse. – Une certaine légèreté. Les lamas tibétains rient tout le temps. On se prend difficilement au sérieux. Il n’y a pas de désespoir dans le bouddhisme, il yale non-espoir. Vous êtes dans le présent et vous évitez de vous projeter dans l’avenir. Le non-espoir, c’est le vide, shunyata. Le vide n’est pas désespérant, au contraire, il est liberté. Le non-espoir est une libération parce que vous n’avez plus à vous soucier d’espérer quelque chose. Vous l’avez déjà.


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