LES CONFERENCES du DOJO ZEN DE PARIS
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Rencontre avec Dominique Blain
Moine zen du Dojo de Lille
RYOKAN, L’oublié du monde
Sortie du livre de Dominique BLAIN,
disponible en librairie et Fnac fin novembre 2007.
Editions Les deux océans
>Extraits d’un entretien de Dominique BLAIN avec Zen Road
ZR : Pourquoi Ryokan ?
DB : C’est quelqu’un qui, pour moi, représente la plus belle intelligence de l’homme. C’est un simple moine, ermite, mendiant, libre de tout. Il n’enseigne pas par les paroles usées des anciens textes .Son enseignements est vivant. Il joue avec des enfants, et sa vie va toujours vers l’essentiel. C’est quelqu’un qui ne fait pas de compromis, qui se dépouille de lui-même, avec un esprit sans dualité, un esprit d’enfant. Je trouve ça très beau.
ZR : Comment avez-vous structuré le récit de la vie de cet homme ?
DB : Je fais parler le personnage. Je le présente, il parle et il y a des textes de lui. Le but c’était de totalement se mettre dans la peau de Ryokan – c’est très difficile. Il faut lire énormément, s’imprégner de l’homme, c’est ce qui m’intéresse dans l’écriture: me mettre à la place des personnes. En lisant les livres, petit à petit je me suis imprégné de lui, et je l’ai fait parler. Je me suis lancé en essayant de ne pas trop le trahir, et, comme lui, de me dépouiller pour vivre le personnage en lui-même, à travers l’écriture.
ZR : Que voudriez-vous exprimer en tant que Ryokan ? Qu’avez-vous à dire à son sujet ?
DB : Il y a déjà pas mal de livres sur Ryokan ; mais j’étais un peu frustré, parce qu’à chaque fois que j’en lisais un, je me disais qu’il y avait une facette de l’homme, mais pas l’ensemble de sa personnalité. Le seul livre qui existe sur Ryokan « en entier » c’est un livre purement historique, ce sont des dates avec des choses que Ryokan a faites ; mais je n’y ai pas trouvé le charme de la poésie du personnage. Il n’existe pas de livre où l’on retrace toute la vie de Ryokan avec ses textes essentiels. Donc, dans mon ouvrage, je voulais mettre de la poésie puisqu’il était poète, mettre ses textes qui me semblaient essentiels et retracer sa vie d’une façon agréable à lire.
ZR : Est-ce que votre pratique de zazen a joué un rôle dans ce projet ?
DB : La pratique est essentielle. Le fait de faire zazen et d’entendre.Il y a tout l’enseignement de Philippe qui s’inscrit ; c’est un enseignement à travers la voix. Quand on entend un kusen, ce n’est pas de la lecture comme on lit un livre. C’est un enseignement qui est véhiculé, pas seulement à travers un état d’esprit, mais également à travers la voix, le son, les os, la chair, le sang ; bref une présence. C’est tout ça que le maître véhicule, ce n’est pas simplement quelque chose d’intellectuel. Cela s’inscrit en nous pendant zazen, qu’on le veuille ou non et par la suite, cela se transmet dans l’écriture. C’est également tout une vie, tout un « karma » que je trimballe depuis que je suis tout jeune, bon ou mauvais. C’est du concret. Tu mets obligatoirement ce que tu es, ce que tu ressens dans ce que tu dis ou ce que tu écris.
RYOKAN, L’oublié du monde
Extraits du livre
Alors qu’ils ne serviront que très peu, six noms lui seront donnés. « C’est beaucoup pour une seule vie » se dira-t-il plus tard.
Nommer les personnes, ce n’est que les apercevoir. Se rencontrer réellement, c’est poser son regard sans les mots, avec l’esprit de celui qui ne sait rien, qui a tout à découvrir de l’autre. C’est s’exposer et se risquer dans la simplicité de l’être.
Le premier nom est donné par la mère : Eizo, « abri de prospérité ».
Le père acquiesce et se retire. Le deuxième, par coutume religieuse à la sortie de l’adolescence (quinze ans pour les garçons, treize pour les filles) : Bunkô ou Fumikata.
Le troisième par son maître : Ryokan, « bon, bienveillant, vaste et généreux ».
Le quatrième, par plaisir : Taigu, « le grand fou ».
Le cinquième, par les villageois : Temari-shônin, « Révérend de la balle ».
Le sixième : le Corbeau (à cause de son teint se rapprochant de la couleur noire de son habit).
D’autres noms lui sont associés, moins usités : « le juste », « jamais dédaigneux », employés lorsqu’il vivra en communauté ou lors de ses pérégrinations, ou encore, beaucoup plus rarement : « l’éternel méprisé » (par les intellectuels hautains).
Le drame de Ryokan
Le drame de Ryokan (si l’on ose dire ), c’est qu’il ne se raccroche à rien. Sans qu’il s’attende un jour à toucher le fond, chaque instant de la journée est comme le vide d’un précipice. À sa naissance, il a dû glisser sur une pierre humide de rosée au bord d’un ravin, sans avoir eu le réflexe de se retenir…
Il est conscient d’être idiot et l’annonce ouvertement. C’est sans doute des paroles aussi vraies qu’aucune personne sensée ne s’aventurerait à prononcer pour elle-même, sans s’en sentir aussitôt réellement concernée. C’est ce qui fait l’intelligence de Ryokan. Il s’éveille à la seule joie de vivre. Il ne s’occupe plus de lui-même. À force de s’abstenir, Ryokan en devient minuscule, caché, ce qui en fait sa grandeur. Lui ne le sait pas. Il peut s’enfouir des heures durant dans les hautes herbes, et recevoir toute la rosée du matin, la plus pure, la plus délicate, lire, dessiner sous les feuilles à l’abri du soleil, sans se rendre vraiment compte du temps qui passe. Les petites choses deviennent grandes, lorsqu’on les regarde simplement grandir d’elles-mêmes, en dehors du temps. Voir, toucher, intervenir, serait comme une forme d’indécence contre nature, comme une interposition entre un enfant et son rêve. La vie de Ryokan est comme celle d’un gamin qui s’est échappé de la tutelle de ses parents pour la journée, et s’est réfugié dans une grotte afin, de l’intérieur mieux voir la lumière. Lorsque l’on est presque dans le noir, au bout d’un moment la lumière apparaît progressivement sans que l’on s’y attende, et finit par prendre toute la place. Aussi lent soit-il, sa journée est traversée comme l’éclair, qu’il ne voit que dans l’instant, un instant de grâce. Si on lui demandait ce qu’il fait dans sa vie, ou ce qu’il fait de sa vie, il répondrait : Je la laisse passer. Ce n’est pas ne rien faire, loin de là. C’est le travail immense de l’ instant. Chaque minute, chaque seconde compte, je témoigne de cela.
Il n’a de compte à rendre à personne, sauf peut-être à lui-même…
C’est un moine oublié du monde…
Ce qu’il sait, il ne le dit pas. Ce qu’il ne sait pas, il l’observe, sans définir quoi que ce soit. Il ne vit pas sa vie pour qu’on l’entende, mais pour laisser entendre la vie. La parole est comme une épine sur le rosier du cœur. Comme la rose, la seule utilité de Ryokan est sa présence silencieuse. Son parfum est là pour nous accompagner tout le long du chemin, non pour être retenu. Mourir à soi-même, c’est un peu retrouver l’essence d’avant sa naissance. Dans le jardin, il ne retire pas les cailloux, ils font partie du paysage. Pourquoi les retirer ? Il en viendrait des pierres. Il y a les personnes qui sont pleines d’elles-mêmes et celles qui sont vides, ce sont les mêmes, pourquoi des différences ?… La souffrance n’épargne personne, les purs et ceux qui ne le sont pas. La pureté, c’est peut-être simplement la joie d’exister.
UN EXTRAIT
Une froide soirée dans ma cellule vide,
Le temps s’enfuit comme la fumée de l’encens.
Au dehors, des milliers de bambous,
Au dessus de mon lit, combien de livres ?…
La lune vient blanchir la moitié de ma fenêtre.
De tous côtés, on n’entend que le chant des insectes.
Dans tout cela, il y a une émotion sans limite…
Mais dès qu’on l’aperçoit, les mots disparaissent.
Mille sommets sont figés par la neige glacée.
Sur dix mille sentiers, cesse la trace de l’homme.
Jour après jour, je ne fais que m’asseoir face au mur.
Ryokan
Grande figure du bouddhisme soto zen Ryokan Taigu (1758-1831) est aussi vénéré au Japon que François d’Assise l’est en Europe. Calligraphe et poète, ses poèmes passent pour représenter l’essence du zen, il eut une vie simple et paisible mais aussi hors du commun.
Dominique Blain
Dominique Blain, de son nom d’ordination « Koso », a voulu nous transmettre dans ce livre ce qu’a été le moine Ryokan à travers ses poèmes, sa vision du monde et sa pratique de la Voie.
PRÉFACE
L’intention de Dominique Blain dans ce livre est sans orgueil. Il ne veut que transmettre ce qu’a été le moine Ryokan à travers ses poèmes, sa vision du monde, sa pratique de la Voie. Et il y réussit à la perfection.
En écrivant ce livre, Dominique Blain, de son nom d’ordination « Koso », fait la démarche que chaque génération a faite, celle qu’a suivie aussi mon maître Taisen Deshimaru, et par la suite moi-même : être au-delà des mots, c’est-à-dire au-delà de tout ce qui pourrait nous enfermer dans de quelconques notions, préjugés, convictions (religieuses ou autres)…
Qui était plus capable de nous offrir en partage Ryokan que celui qui pratique la même méditation que lui – Et qui essaie dans son existence de vivre sur les mêmes bases que lui ? Depuis toutes ces années que je connais Koso, je ne l’ai vu qu’à une seule et même place : assis devant le mur. Mais ce n’est pas seulement grâce à sa pratique qu’il parvient à écrire ce livre si convaincant ; c’est aussi grâce à son talent et au chemin qui est le sien.
A force de pratique, Ryokan est traversé d’un vent léger, son corps n’est plus que transparence, dit Koso ; il ne vit pas dans son monde, non, car il n’a plus de monde à lui ; il est à nous, à vous, d’un bout à l’autre de ce livre merveilleux.
Le nom « Ryokan » veut dire : « bon, bienveillant, vaste et généreux » ; celui de Dominique Blain, « Koso », signifie : « simple éveil ». Et dans ce livre, ce sont les deux qui se trouvent mêlés. C’est ainsi que le corps et l’esprit de Ryokan éclaboussés de soleil et d’averses, traversés par l’ivresse de la vie toute simple, arrivent à nous pénétrer jusqu’au plus profond. Ils parlent à l’homme qui est en nous.
Ryokan, grand poète des temps modernes, homme de la Voie, homme ordinaire, Ryokan, le bon, à travers Koso, le simple, nous traverse avec une telle intensité que nous réalisons finalement que nous ne sommes pas tellement différents de lui, que nous vivons nous aussi, exposés à toute chose, en contact fusionnel avec les hommes, femmes et enfants, avec nous-mêmes et tout le monde, libres comme l’arbre qui pousse au bord de la falaise…
C’est cela que nous avons en nous et réalisons ici : Ryokan dans toute sa beauté et sa joie.
Dans ses poèmes, Ryokan joue à la balle et écrit avec une lune tombée du ciel. Puis il se couche et s’endort sous sa seule couverture ; et cette nuit-là, comme nous l’explique Koso, un voleur pénètre dans sa hutte. Ne trouvant aucun objet de valeur, il part avec la couverture même. Ryokan a froid sans sa couverture ; alors il se lève, regarde par la fenêtre et se dit : « le voleur a oublié la lune ».
Le voleur l’a laissée derrière lui
La lune
A la fenêtre.
Dans cette petite hutte modeste, perdue au milieu de nulle part, le voleur avait la possibilité de récupérer une chose bien plus précieuse qu’une couverture, comme nous tous peut-être en soulevant la couverture de cet ouvrage – la lune.
Philippe Reiryu