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Les centres bouddhistes du Périgord

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Dans les années 1970, la vallée de la Vézère, dans le Périgord, est devenue un haut lieu du bouddhisme tibétain, avec la multiplication d’ermitages et de centres d’enseignement.

 
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Sous le soleil du Périgord noir, un vieux moine dort la bouche béante, un collier de perles pend entre ses doigts. Il se prélasse enroulé dans une toge bordeaux. Sa peau mate, ses yeux bridés et son visage forgé par le soleil inspirent un profond respect aux stagiaires assis à ses côtés. De l’autre côté de la cour, un maître de pierre observe cet authentique Tibétain. Au loin, des psalmodies et des leçons bercent le calme de la campagne. Nous sommes dans le « petit Tibet » de l’Occident. En l’espace de quelques années, du milieu des années 1970 au milieu des années 1980, la vallée de la Vézère, haut lieu de la préhistoire mondiale, a connu la concentration la plus forte de maîtres spirituels tibétains hors d’Asie. Sur la côte de Jor, la terre de Jacou le Croquant, les centres bouddhistes se sont multipliés, au point que pas un Tibétain ne puisse envisager une telle densité spirituelle dans son pays. Sur quelques kilomètres carrés, à partir de 1974, centres d’enseignement, ermitages, résidences de saints hommes ont fleuri comme les cèpes et les truffes si chers à la gastronomie locale.
 
Le maître, « découvreur de trésors »

 
Le chef de l’école Nyingma, Dudjom Rinpoché (1904-1987), y avait une maison, La Péchardie, où il mourut au milieu de signes que l’on reconnut comme ceux accompagnant le départ des grands saints. Nombre de ses disciples vivent encore alentour et chacun ne tarit pas d’anecdotes illustrant la grandeur d’âme du maître. Ne dormant pour ainsi dire jamais, il consacrait la moitié de son temps en prières pour les vivants, et l’autre moitié en prières pour les morts. Régulièrement, ses visions lui permettaient de découvrir de nouveaux moyens donnant accès à l’éveil spirituel : il était ce que la tradition appelle un « découvreur de trésors », un terteun. Jouxtant la maison du saint homme, un immense champ rappelle à ceux qui étaient présents que c’est ici qu’en 1991 le dalaï-lama donna des enseignements sur la compassion et célébra devant 10 000 personnes une journée mondiale de la paix avec l’abbé Pierre. La rencontre entre les deux hommes eut un effet quasi immédiat dans la région : le Périgord, terre des grottes, des châteaux et du foie gras, se dotait d’une communauté d’Emmaüs. La route suit la corniche dominant la Vézère : c’est là que se cache au milieu des pins et des chênes rabougris le centre de retraite Nyingma de Chanteloube, nécessairement interdit aux visiteurs. Au pied des bâtiments, sur une esplanade, trône un magnifique stoûpa doré où viennent se recueillir les bouddhistes de la région. Pour un peu, on se croirait au Sikkim, dans l’Himalaya.
 
Si l’on quitte le plateau, laissant à l’abri des regards un autre centre de retraite Nyingma, Bois Bas, on arrive vite à La Sonnerie, la résidence de Dilgo Khyentsé Rinpoché (1910-1991), qui succéda à Dudjom Rinpoché à la tête de sa lignée. Opulente simplicité de la maison où, parfois, on peut être admis dans la petite chambre où logeait le géant – dont on disait que, chez lui, tout était grand : les pieds, les mains, mais surtout l’esprit !
 
Forêt de mâts et drapeaux de prière
 
C’est là que Matthieu Ricard, aujourd’hui mondialement connu, a peaufiné son talent de traducteur aux pieds de Dilgo Khyentsé. C’est là aussi que tous les ans sont donnés des enseignements par de grands maîtres venus tout exprès d’Asie. Jour après jour, des centaines de personnes écoutent, étudient et méditent sous la douce guidance de sages qui paraissent sortis de livres de contes. Ce qui frappe, c’est la discrétion : pas de temple, pas de cérémonies. En contrebas, le regard est attiré par une forêt de mâts portant des drapeaux de prière multicolores. C’est L’Augeral où Dudjom Rinpoché enseignait dans un ancien séchoir à tabac reconverti en salle de prière. La route continue à descendre doucement et l’on arrive à Landrevie, le centre d’étude de Dhagpo Kagyu Ling, où le vieux moine tibétain dort toujours. « C’est souvent la rencontre avec un maître qui nous met sur la voie », souligne la nonne occidentale Kemtcho. Assise derrière la grange transformée en habitation, elle se remémore l’histoire du centre. Le défunt 16e Karmapa (1924-1981), chef de la lignée spirituelle Karma-Kagyu, y vint deux fois, acceptant le don d’un terrain du milliardaire Bernard Benson où il envoya, en 1975, l’ermite sexagénaire Guendune Rinpoché (1918-1997), son assistant – le « lama dormeur » – et celui que l’on appelait alors Jigméla, l’un des neveux du Karmapa devenu depuis quelques années Jigmé Rinpoché. Aujourd’hui, d’ailleurs, 250 personnes sont là pour l’écouter dans une grande tente richement décorée. à peine est-il entré que les moines et les élèves se déchaussent et s’assoient en demi-cercle autour de lui. Des ventilateurs brassent l’air chaud sur des bouddhistes qui prennent des notes, et sur des jeunes et des enfants concentrés sur leurs jeux vidéos. Dhagpo s’enorgueillit de sa bibliothèque ambitieuse mais, sans local approprié, s’y entassent 5 000 livres tibétains, 3 000 en anglais et en français et 30 000 microfilms.
 
Le « petit Tibet »
 
Au loin, on voit Baba, une « relique » de Dhagpo. Charpentier itinérant, il est arrivé par hasard sur le chantier de Dhagpo Kagyu Ling et l’aura du lama Guendune Rinpoché l’a incité à poser ses valises. Aujourd’hui, le maître est mort et Baba est fatigué. Cheveux longs et gris, il trône dans la cafétéria et transmet dans un grognement sourd et indistinct quelques enseignements mystérieux. Plus tard, débute un rituel dans un air saturé d’encens. D’une seule voix, une vingtaine de pratiquants récitent les mêmes incantations. Le vieux Tibétain éructe un râle contre les mauvais sorts, les maladies et les pensées néfastes. Soudain, les mains exécutent une danse incantatoire avant que le tambour tonne et que les cloches se lèvent. Après une heure de rituel ascétique, les prières silencieuses envahissent le temple.
 
Certes, on oublie ici de parler des sujets qui fâchent. Le jeune 17e Karmapa, devant le portrait duquel tous se prosternent, est loin de faire l’unanimité. Pour beaucoup, l’authentique Karmapa est celui qui vit près du dalaï-lama et que certains pressentent comme son successeur pour reprendre le flambeau de la lutte pacifique dans le monde. On ne parle pas non plus de la terrible débandade qui a frappé le centre de retraite du Bost, en Auvergne, que Lama Guendune avait fondé. Les manquements aux règles monastiques de certains ont semé un trouble tel que l’onde de choc continue sa progression : désaffection dans les rangs, remises en question, sentiment de trahison… Cela rappelle l’histoire du Tibet, un mélange pas toujours subtil d’ombres et de lumières.
 
On pourrait croire que l’on a fait le tour du « petit Tibet ». Il n’en est rien. Sur l’une des collines voisines, un grand chalet en bord de route abrite les éditions Padmakara dont le rayonnement international n’est pas à démontrer. Créée pour la diffusion des textes et des enseignements de la lignée Nyingma, elle joue aussi un rôle actif lors des visites du dalaï-lama en France. Pour un peu, si l’on tournait le dos au chalet, et si l’on avait le don de voir à travers les rochers, comme le racontent les biographies de certains de ces mystiques tibétains, on pourrait voir sur la colline d’en face l’ermitage des Tranchats, où vécut l’un des plus grands maîtres de la lignée Karma Kagyu, Pawo Rinpoché (1912-1991). Cité en exemple par le dalaï-lama pour sa compassion, ami de Dudjom Rinpoché et de Dilgo Khyentsé Rinpoché, il ne dormait jamais, tout entier consacré à prier pour le bien de tous. La vie du moindre insecte le concernait et, dans l’ermitage, on se plaît à croire que sa réincarnation viendra bientôt fouler le sol français. Né au Tibet, le jeune homme de 16 ans est la plus haute autorité de sa lignée dans la Région autonome depuis que le 17e Karmapa a fui son pays aux premiers jours de l’an 2000 pour trouver refuge près du dalaï-lama en Inde.
 
Murmures et bonzaïs géants
 
Au sommet d’une colline voisine, se niche un petit hameau où vivent les enfants de Kangyour Rinpoché (1898-1975), dont l’influence fut prépondérante dans l’implantation du bouddhisme tibétain en Occident, bien qu’il ne s’y rendît jamais. C’est à eux que les centres de retraite de la côte de Jor et que les sessions d’enseignement de La Sonnerie doivent leur dynamisme. C’est aussi dans ce hameau que vit l’artiste Yahne Le Toumelin, la mère de Matthieu Ricard, et que s’est éteint doucement il y a quelques années Gérard Godet. Homme discret, très actif dans le combat contre la misère, il fut certainement le plus grand bienfaiteur bouddhiste de France. Devenu moine, il passa de longues années en retraite, avant de mourir au milieu de ceux qu’il n’avait cessé d’aider. La nuit tombe, mais dans les bois ressemblant à des forêts de bonzaïs géants, bruissent mille et un murmures au milieu des volutes d’encens. Le soleil se couche sur le monde ordinaire ; la vie spirituelle continue, malgré les errements et la tentation du pouvoir pour certains, malgré l’ignorance, malgré l’humanité. Déjà là au temps de l’homme de Néandertal, la côte de Jor verra encore bien des crépuscules.
 
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