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Âme du Monde et Âme humaine dans la Pensée de Plotin

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Quelle est la relation entre l’âme du monde et l’âme humaine ? Un
rapport très imbriqué selon Plotin de par la double nature de l’âme
humaine, intermédiaire entre le monde intelligible et le monde
sensible. Quel est le destin de l’âme sur Terre ? Se réincarner ?
Revenir à l’unité ?

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Un des problèmes fondamentaux
que pose Plotin
de prime abord, est celui
de la présence simultanée de l’âme
une et universelle et de la multiplicité
des âmes individuelles.
Autrement dit, les âmes humaines
sont-elles indépendantes les unes
des autres et indépendantes de
l’âme du monde ? Quelle est la
relation, s’il y en a une, entre la
multitude des âmes incarnées et
l’âme du monde ?

L’âme universelle comprend
les âmes individuelles

Plotin considère que les âmes qui se
trouvent dans les hommes, dans les
animaux, mais aussi dans les planètes
comme dans toutes les parties
de l’univers sont en même temps
constitutives de l’âme du monde
qui est une. «La même âme est à la
fois une âme unique et chacune des
âmes» (Ennéade IV, chapitre 3,2).
Les âmes individuelles sont en
même temps «séparées et pas séparées
».
Il est vrai que sur le plan de la
matière, toute division de sommes
d’unités, de formes géométriques
ou de corps, est une diminution en
parties qui sont, de fait, plus petites
que le Tout original. Mais l’âme
n’est pas matérielle. Et les caractéristiques
du plan qui est le sien ne
sont pas les mêmes que celles du
plan matériel.
L’âme n’est pas matérielle, elle
n’est pas une quantité et ne peut
donc se diviser. Ainsi, les âmes individuelles
ne sont pas des parties de
l’âme du monde, mais elles sont
l’âme du monde «partout entière
et une et en plusieurs êtres à la
fois» (Ennéade IV, chapitre 3, 3).

L’identité dans la différence

Les âmes conservent l’identité dans
la différence. «Chacune subsiste
comme un être mais toutes ensemble
ne font qu’un être» (Ennéade
IV, chapitre III, 5).
Les âmes individuelles ont des fonctions
différentes. Nous confondons
fonction et identité. Nous construisons
l’identité d’un être sur la base
de sa fonction, alors que Plotin
considère que les fonctions n’altèrent
pas l’identité fondamentale de
l’être qui reste toujours la même.
«L’âme universelle est une unité
partout présente, bien qu’avec des
fonctions différentes» (Ennéade IV,
chapitre III, 3). Ces fonctions sont
en effet différentes parce qu’elles résultent de l’implication d’une
même âme sur des objets matériels
distincts. Nous ne pouvons pas dire,
par exemple, que la partie de l’âme
qui préside à la vue n’est pas la
même que celle qui préside à
l’ouie. «C’est bien la même âme,
bien qu’une faculté organique différente
agisse dans les deux cas»
(Ennéade IV, chapitre III, 3).
Les différentes impressions dues
aux organes aboutissent à un centre
unique, un principe unique qui,
seul, a la faculté de les juger. De
même donc, que les organes ne
peuvent penser, aucune partie ne le
peut. Et s’il y a un principe qui le
peut, c’est l’âme, qui n’est pas une
partie, mais le Tout dans la partie.
Âme individuelle et âme du monde
en même temps.

Le rapport de l’âme
et de l’intelligible

Ces âmes multiples ne sont pas toutes
semblables. Elles diffèrent par
leur plus ou moins grande proximité
avec le monde intelligible,
l’Être. Celles qui sont plus proches
sont en contact avec les intelligibles,
alors que les autres sont plus
éloignées. Certaines sont unies à
l’âme du monde, d’autres unies à
lui par la connaissance ; d’autres
encore, contaminées et appesanties
par les corps dont elles se sont
occupé, se sont éloignées des intelligibles
dont elles ne reçoivent alors
qu’une impression qui nourrit leur
désir. D’autres enfin, «y ont une
moindre disposition». Pourtant,
«toutes les âmes possèdent toutes
les facultés» (Ennéade IV, chapitre
III, 6).

L’âme permet de contempler

Les âmes utilisent différentes facultés
qui leur permettent de contempler
différentes choses. En effet, la
largeur de perception est relative à
la distance que chacun réussit à
mettre entre lui-même et les choses
de ce monde. L’attachement à la
terre réduit la vision du réel. Et chacun
n’est autre et ne devient que ce
qu’il est en mesure de contempler.
H.P. Blavatsky exprime cette loi
ainsi : «L’univers n’est que la projection
de notre propre subjectivité».
Ainsi, si certaines âmes «se penchent
hors du monde intelligible,
descendent d’abord dans le ciel et y
prennent corps» (Ennéade IV, chapitre
III, 15), ce serait le cas des
âmes des étoiles et des planètes, les
nôtres passent d’un corps à un
autre «parce qu’elles n’ont pas la
force de se soulever de terre, toujours
tirées vers la terre par leur
pesanteur et par l’oubli qui s’est
appesanti sur elles» (Ennéade IV,
chapitre III, 15). Toutes sont impliquées
dans le processus global
d’animation et de réalisation de
l’univers.

L’âme, une fonction
ordonnatrice

La participation de l’âme au monde
est essentiellement une fonction
ordonnatrice. Et c’est bien entendu
le rôle de toutes les âmes, chacune
à sa mesure. L’univers n’a jamais
manqué d’ordre, du fait qu’il
n’existe pas de matière sans ordre.
Ainsi, «à aucun moment, l’univers
n’a été sans âme». La vie de l’univers,
sa construction, son développement
sont donc le fait de l’âme
qui l’anime. Depuis l’infiniment
petit jusqu’à l’infiniment grand,
tout participe de cette âme, dans
les moindres détails. L’âme fournit
à l’univers l’Être et la Beauté.

L’âme est attirée par la Beauté

Les anciens sages avaient parfaitement
compris cette loi qui veut que
tout corps soit habité par un principe.
Ainsi, ont-il construit des temples
et des statues dont les caractéristiques
mathématiques et esthétiques
étaient telles qu’elles devaient
attirer des âmes supérieures à la
mesure de leur beauté :
«construire un objet disposé à subir
l’influence de son modèle»
(Ennéade IV, chapitre III, 11),
comme un miroir qui en saisirait
l’apparence.
Les choses viennent donc à l’existence
dans le monde manifesté en
recevant une forme correspondant
à une raison supérieure à la
matière elle-même. L’âme du
monde contemple la divinité puis
produit et ordonne le monde
d’après son modèle.

Le double mouvement de l’âme

L’âme est donc le centre d’un double
mouvement : d’une part, elle
contemple les intelligibles auxquels
elle est reliée par sa partie supérieure,
et d’autre part, elle est
contrainte de «donner tous ses
soins» au corps en descendant icibas.
«Quand l’âme entre dans un
corps et l’anime, c’est dans un but
d’enseignement et pour éclairer
notre pensée.» (Ennéade IV, chapitre
III, 9)
L’âme se réincarne selon un modèle
qui lui est propre.
Plotin rappelle la phrase de Platon :
«Les âmes font choix d’une vie
conforme à leurs vies antérieures»
(Ennéade IV, chapitre III, 8).
«L’inévitable nécessité et la justice
consistent ainsi en une nature qui
commande à chaque âme de se
diriger, suivant son rang, vers
l’image engendrée, modelée sur sa
propre volonté et ses dispositions
intimes» (Ennéade IV, chapitre 3,
13). L’incarnation de l’âme, le
moment comme le corps dans
lequel elle pénètre sont réglés, s’accordent
avec le mouvement circulaire du monde sont assujettis à
une raison unique. Il y a un synchronisme
entre l’accord des âmes
et l’ordre de l’univers. Le moment
venu, l’âme descend dans un corps
qui lui correspond «emportée par
une puissance magique d’une
attraction irrésistible» (Ennéade IV,
chapitre III, 13).

L’âme se réincarne selon
la Loi universelle

Plotin insiste sur le fait que l’incarnation
se réalise en dehors de toute
«volonté» et de toute réflexion.
D’une part les facultés particulières
de l’âme, résultat des incarnations
précédentes vont déterminer son
rôle spécifique dans l’incarnation à
venir, d’autre part, l’état de progrès
de l’univers dans sa marche vers la
perfection réclame à ce moment
précis un soin particulier.
L’intelligence, antérieure au monde
et contemporaine du monde, se traduit
par une loi universelle à laquelle
tout est assujetti. Les âmes accomplissent
cette loi puisqu’elles la portent
en elles. Et c’est cette loi qui
«leur donne le désir douloureux d’aller
où elle leur dit intérieurement
d’aller» (Ennéade IV, chapitre III, 13).

La justice et l’incarnation
de l’âme

Plotin aborde par ailleurs la question
des maux qui accompagnent
toute incarnation de l’âme. Les
maux qui arrivent aux méchants ne
sont que le règlement naturel des
choses, conformément à la loi qui
régit l’ordre du monde. «Personne
n’échappe aux châtiments qu’il
convient de subir pour une action
injuste. La loi divine ne peut être
évitée. La loi prescrit la quantité et
le temps des peines» (Ennéade IV,
chapitre III, 24).
Tout arrive conformément à la raison
de l’univers. Une injustice dont
un homme peut souffrir, n’est peutêtre
pas un mal pour lui. En effet,
un événement est injuste lorsque
aucune action antérieure ne permet
de le justifier ou lorsque sa raison
n’est pas identifiée. L’injustice
est donc fondamentalement liée à
l’ignorance, puisqu’il y a toujours
une raison qui préside à l’ordre du
monde, l’intelligence universelle.

La mémoire de l’âme

L’âme a tout d’abord une mémoire
qui ne lui vient pas de son expérience
dans la manifestation, mais
plutôt de sa partie supérieure.
Cette mémoire est réminiscence.
En revanche, l’empreinte des
incarnations passées est une sorte
d’intellection (acte de comprendre
et de concevoir) qui en conserve la
quintessence et qui «oublie» les
conditions matérielles de ces souvenirs.
Cette mémoire n’est pas
faite de souvenirs mais de «dispositions
et d’affections» (Ennéade
IV, chapitre III, 28).
«Toutes les impressions qui passent
par le corps se terminent à
l’âme.» (Ennéade IV, chapitre III,
26). L’âme conserve la mémoire de
ce qu’elle a éprouvé, de ses désirs
et des insatisfactions de sa vie présente
ainsi que de ses précédentes
incarnations.

L’élévation de l’âme

Lorsque l’âme quitte le corps et
monte vers les régions supérieures,
elle ne garde que peu de souvenirs
d’ici-bas. La sacralité du monde
intelligible relativise nos exploits
humains. La partie supérieure de
notre âme échappe aux illusions du
monde. «Réduisant le multiple à
l’un, elle quitte l’indéterminé»
(Ennéade IV, chapitre III, 32). Elle
n’emporte pas avec elle la masse
des souvenirs terrestres. Elle est
reliée à l’intelligence du monde et y
trouve la sérénité propre à son être.
Plotin nous enseigne qu’il n’est pas
nécessaire d’attendre de quitter le
monde pour rendre ainsi notre âme
meilleure . Déjà dans notre vie, il est
possible de «s’efforcer vers l’intelligible
» et, ce faisant, d’oublier le pire
et de ne garder que le souvenir des
choses les meilleures. «Il est nécessaire
de se soustraire aux souvenirs
des soucis des hommes» (Ennéade
IV, chapitre III, 32)


Jean-François Buisson

Revue n°206

Plotin, Les Enneades, Editions Les Belles Lettres,
collection des Universités de France,1964
Marguerite Chappuis, Plotin, traité 21, Éditions
Cerf, 2008

Source : www.revue-acropolis.com

Dossier La Réincarnation, une Tradition occidentale ?
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