Hors de la structure impériale, l’existence de la Russie est menacée. Si le Grand pays se définit par ses origines kiéviennes orthodoxes et continue de se penser en « Troisième Rome », gardienne des traditions de la chrétienté orientale, il s’est construit dans la conquête de territoires lointains et l’assimilation de tous les peuples autochtones. Le monde russe intègre des territoires musulmans historiques, mais aussi, du coté de ses frontières mongole et chinoise, des régions traditionnellement bouddhistes. Et si les bouddhistes ne représentent qu’1 % environ de la population de la Fédération, ils n’ont pas moins contribué à forger la Russie contemporaine que ses Cosaques ou ses éleveurs de rennes. À l’image du bouddhisme dans le monde entier, le bouddhisme en Russie, s’il est majoritairement tibétain, transmis par les Mongols, est multiple et hétérogène, possédant autant de visages que de temples. Le Courrier de Russie vous propose un itinéraire de cinq lieux historiques – et actuels – du bouddhisme en Russie… un cycle de cinq réincarnations.
Pour la mer sacrée
Le datsan d’Ivolguinsk près d’Oulan-Oude, capitale de la Bouriatie. Crédits : tonkosti.ru
En Bouriatie, sur la rive sud du Baïkal, le bouddhisme, c’est comme la potion magique – on est tombé dedans petit. Dans les familles grandes comme des clans, on devient souvent lama de grand-père en petit-fils. Les datsans, ces « écoles de moines », sont des centres de vie ; à côté des fêtes et des prières, on y vient se faire soigner à coups d’herbes tibétaines et quêter les conseils du lama sur les petites et grandes choses du quotidien : de l’élevage du bétail au mariage d’un fils. À l’université bouddhiste d’Ivolga, les enseignants s’efforcent d’apprendre l’humilité et le dénuement aux apprentis lamas venus de la république et de tout le pays. En Bouriatie, on est sceptique quant au bouddhisme occidental verbeux, intellectuel, vendeur de stages intensifs d’accomplissement de soi. Le bouddhisme bouriate scintille dans les couleurs vives de ses temples et les rides de ses vieilles ; il ne confesse personne ni ne promet le rachat des péchés bon marché. En Bouriatie, le bouddhisme, c’est une quête permanente, par l’amour – en actes – de tous les êtres vivants ; sur la route – améliorer la vie d’un maximum de gens autour ; au bout – le visage serein dans la mort.
Pour ses montagnes
La montagne Khaïyrakane (la montagne de l’Ours), un des endroits les plus sacrés et respectés de Touva. Crédits : radikal.ru
Touva, c’est l’inconnu – inquiétant. La république de Touva, ce « Caucase de Sibérie », qui borde la Fédération à sa frontière mongole, coincée, à l’extrême sud sibérien, entre l’Altaï et la Khakassie, est le moins russe des sujets russes et la moins bouddhiste des régions bouddhistes. La république est peuplée de Touvains à 80 % et parle majoritairement sa langue, turcique. Elle est largement rurale, démunie, lointaine. Touva est née d’une erreur géographique – en 1727, alors qu’ils s’entendent pour délimiter leurs territoires respectifs, l’empire des tsars et la Chine oublient ce bout de territoire entre les monts Saïan et Tannou-Ola – la « terre de personne » demeure sous la protection du tsar jusqu’en 1921 et l’entrée de l’armée rouge, puis se déclare « république mongole autonome ». Touva ne deviendra officiellement soviétique qu’en 1944, après s’être battue aux côtés de l’URSS contre l’Allemagne nazie. Et si les chamanes de Touva ont bien des portraits du Dalaï-lama au mur, aux côtés de leurs crânes de loups sacrés, ce sont eux les véritables maîtres religieux de la république. Au-delà du bien et du mal.
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