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Bouddhisme et politique : le paradoxe thaïlandais

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Le bouddhisme donne depuis longtemps une image de religion, – ou philosophie de vie – idéale, de belles valeurs, une vision pacifique, très peu touchée par les scandales et les enjeux politiques.
 
Pourtant en Thaïlande, la police a tenté d’obtenir l’annulation d’un débat qui doit se tenir ce soir au FCCT (Le Club des correspondants étrangers en Thaïlande) en présence de journalistes et d’universitaires avec comme thème « Le bouddhisme saisi par la politique ».
 
Au dernier moment la thématique du débat a été changée pour un « Religion et politique » plus neutre, afin de contourner la menace d’une censure par les autorités militaires qui gouvernent le pays depuis mai 2014.
 
Au cours de ces deux dernières décennies, le bouddhisme thaï et la Sangha (communauté monastique) se sont beaucoup politisés.
 
Le bouddhisme, unificateur de la Thaïlande et très ancré dans la culture (95% des Thaïlandais sont bouddhistes), voit son image de plus en plus ternie par des actions à l’encontre de l’éthique bouddhiste. Certains disent même que l’autorité de la Sangha est érodée.
 
Récemment c’est un temple en Thaïlande, le fameux « Tiger temple » dans la province de Kanchanaburi qui a fait parler de lui, maltraitance de tigres, cadavres de bébés tigres stockés dans un congélateur liés à un trafic d’espèces protégées….
 
Les marchands sont dans le temple
 
L’histoire du temple Wat Dhammakaya et de son « Moine- Capitaliste » soulève également de nombreuses questions.
 
Phra Dhammajayo, moine bouddhiste accusé de blanchiment d’argent, s’est réfugié dans le temple Wat Phra Dhammajayo et refuse de se rendre aux autorités pour répondre à leurs questions.
 

Phra Dhammajayo. Photo : Bangkok Post
Phra Dhammajayo. Photo : Bangkok Post

 
La DSI (Département des Enquêtes Spéciales) le réclame particulièrement et souhaite l’arrêter, mais plusieurs tentatives ont déjà été déjouées par la présence massive de ses fidèles autour du temple. Depuis il a également été mis sur la liste noire de l’immigration avec interdiction de quitter la Thaïlande.
 
La DSI accuse le moine de 72 ans d’avoir reçu 1,4 milliards de baths (environ 35 millions d’euros) de Supachai Srisupa-aksorn, ancien président de la banque Klongchan Credit Union Cooperative, qui était aussi le trésorier du temple.
 
Celui-ci aurait détourné cet argent et purge actuellement une peine de 16 ans de prison.
 
Un mandat d’arrêt a été déposé contre Phra Dhammachayo le 26 mai, mais depuis des dizaines de milliers de fidèles massés autour du temple ont empêché la police d’agir.
 
La mise en garde du général Prayut
 
L’affaire a pris un tour encore plus polémique lorsque le Général Prayut a déclaré que toutes les personnes au sein du temple doivent désormais s’assurer de leur propre sécurité en tant que « parti politique », opposé au gouvernement.
 
Le scandale dépasse donc les problèmes de justice et de détournements de fonds pour devenir un réel affrontement politique, avec Phra Dhammajayo comme un symbole de l’opposition.
 
«Nous ne voulons pas que quiconque puisse mettre en place une situation hors de contrôle comme en 2010. Je demande à toutes les parties d’y réfléchir. Le problème est là. »

a ajouté le Général Prayut
 
En faisant référence à l’année 2010, le général Prayut évoque l’occupation de Bangkok par des milliers de « Chemises rouges », les partisans de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinwatra, qui est aussi l’ennemi juré de la junte au pouvoir.
 
Cette référence est bien entendu volontaire, car Phra Dhammajayo, et son gigantesque temple Dhammakaya situé dans la banlieue de Bangkok, est réputé proche de Thaksin Shinawatra.
 
La sœur de Thaksin, Yingluck Shinawatra, a été elle même chassée du pouvoir par les militaires après le coup d’Etat de mai 2014, tout comme son frère en 2006.
 

Le gigantesque temple Dhammakaya situé dans la banlieue de Bangkok
Le gigantesque temple Dhammakaya situé dans la banlieue de Bangkok

 
Guerre de succession sur fond de rivalités politiques
 
Le 15 février, plus de 1200 moines se sont opposés aux militaires au cours d’une manifestation : les photos de l’affrontement ont été largement diffusées dans la presse, et ont provoqué un intense débat dans la société thaïlandaise.
 
La motivation de cette manifestation était d’appuyer la nomination d’un nouveau patriarche suprême après la crémation en décembre de Somdet Phra Nyanasamvara, le moine très respecté qui était aussi le conseiller spirituel du roi Bhumibol Adulyadej.
 
Wat Pak Naam Phasi Charoen
Wat Pak Naam Phasi Charoen

 
Le moine qui devrait devenir patriarche suprême, est Somdet Phra Maha Ratchamangalacharn ou Somdet Chuang, l’abbé de Wat Pak Naam Phasi Charoen, un temple situé à côté d’un canal dans l’estuaire du Chai Praya à Bangkok.
 
Mais ce nouveau chef de la Sangha est loin de faire l’unanimité car il est connu pour être très proche de Wat Dhammakaya, en ce moment en conflit ouvert avec le gouvernement. Il a lui aussi été impliqué dans un scandale de fraude fiscale pour l’importation d’une voiture de luxe.
 
Une politisation inévitable ?
 
De plus en plus de moines s’investissent dans la politique, ils manifestent, s’engagent. Certains d’entre eux demandent aussi que le bouddhisme devienne la religion officielle de l’État thaïlandais, afin de bénéficier d’un statut assurant la protection de cette religion.
 
Mais le gouvernement s’oppose à modifier la constitution car le bouddhisme est déjà extrêmement protégé par l’État et inspire beaucoup de lois actuelles (contre l’avortement par exemple).
 
Ces prises de position au sein de la communauté bouddhistes ne reflètent pas l’image qu’ont la plupart des Thaïlandais du bouddhisme, mais la Thaïlande subit depuis de nombreuses années une instabilité politique chronique, dont les conséquences dévastatrices n’ont pas épargné la religion.
 
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