Taipei – Des volutes de fumée s’échappent des temples de Taïwan, où les fidèles brûlent de l’encens et des billets factices pour forcer la chance et la prospérité. Mais l’inquiétude grandit face à la pollution et ce brouillard odorant pourrait bientôt n’être plus qu’un souvenir.
Certains temples cherchent des solutions alternatives face aux dangers pour l’environnement et la santé que représentent des niveaux alarmants de particules nocives.
Et ce malgré la résistance des pratiquants.
Le taoïsme et le bouddhisme sont les deux principales religions à Taïwan, et la pratique religieuse des millions de fidèles se concentre autour des temples et des festivals.
Le temple taoïste de Nan Yao, l’un des plus anciens de l’île, dans la localité centrale de Changhua, utilise, comme plusieurs autres, des CD diffusant le bruit des pétards afin de se passer des vrais.
Le temple populaire de Hsing Tian Kong, à Taipei, a interdit l’encens, demandant aux fidèles de simplement joindre les mains pour prier.
D’autres lieux de culte envoient les offrandes en papier se faire brûler dans des incinérateurs publics.
A New Taipei City, commune formant une couronne autour de Taipei, les lanternes d’eau qui polluaient la rivière ont été remplacées par un mur de lanternes édifié devant un temple.
Ces solutions sont peut-être moins pittoresques mais les écologistes affirment qu’il est temps de changer.
– Résistances –
« Les gens vont au temple et prient pour rester en bonne santé mais la façon dont ils pratiquent leur religion n’est pas saine », dit Yeh Guang-perng, fondateur de l’association Air Clean for Taïwan. « Ils ne seront peut-être pas malades tout de suite mais l’exposition à long terme sera nuisible pour leur santé ».
En avril, lors d’un pèlerinage en l’honneur de la déesse taoïste de la mer, Mazu, qui parcourt 340 kilomètres sur neuf jours, le niveau des particules PM 2,5 avait atteint par moments plus de 60 fois les seuils recommandés à cause des pétards.
Ces particules sont très dangereuses car elles pénètrent profondément dans les poumons.
Les écologistes mettent aussi en cause des substances chimiques nocives comme le benzène et le méthylbenzène, libérées dans l’atmosphère lorsque les fidèles brûlent de l’encens ou des billets.
Mais certains ne veulent pas en démordre.
« La tradition veut que plus y a d’encens et de pétards, plus les fidèles sembleront sincères, et plus ils auront de la chance », explique Chiu Jainn-fu, directeur du temple de Nan Yao.
Pour la première fois, lors d’un récent pèlerinage, le temple a annulé le budget d’un million de dollars taïwanais (27.000 euros) dévolu aux pétards. Mais la moitié des fidèles ont refusé la consigne et ont apporté leur propres engins.
Le temple de Dajia Jenn Lang, à Taichung (centre), encourage les gens à dédier aux dieux fleurs et fruits ainsi qu’à donner à des associations caritatives les sommes qu’ils consacreraient normalement aux pétards.
Là encore, les réactions sont mitigées.
« La pollution qui vient de Chine est bien plus grave. La pollution de l’air n’est pas provoquée par les seules activités religieuses », a écrit un fidèle sur la page Facebook du temple.
– La science à la rescousse –
« Certains pratiquants sont malheureux, spécialement les personnes âgées qui croient manquer de respect. On ne peut pas les forcer. Le changement n’est pas facile, ça prend du temps », souligne Yen Chin-piao, président du temple.
Les autorités tablent sur la science pour faire passer le message.
Le département taïwanais de la protection de l’environnement (EPA) a publié en ligne et en temps réel les résultats des relevés pris pendant le festival de Mazu. C’est la première fois qu’il avait dépêché une équipe dédiée.
« Nous espérons qu’avec les preuves scientifiques, nous pouvons persuader le public de changer », dit Chen Shyan-heng, directeur de la protection de la qualité de l’air à l’EPA.
L’EPA a promis de mettre en place dans les prochains mois de nouvelles restrictions sur le moment, le lieu et la quantité de pétards que les gens pourront tirer.
Pour l’instant, faire exploser ces engins aux heures non autorisées n’est réprimé que par la loi sur le bruit, par une amende maximum de 30.000 dollars taïwanais.
Il n’y a pas de chiffres officiels sur le nombre d’édifices religieux devenus verts mais d’après les écologistes, le message commence à faire son chemin.
Hsing Tian Kong reste bondée.
« On doit limiter les offrandes religieuses qui polluent l’environnement et nuisent à notre santé dans un monde où la pollution augmente », dit Lai Su-hui, décoratrice d’intérieur en visitant le temple.
« C’est la sincérité qui compte le plus et les dieux nous béniront ».
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