Pas plus que les autres religions, le bouddhisme ne reconnait spontanément des droits égaux aux femmes. Cependant, le combat pour l’égalité y est plus facile qu’ailleurs. C’est une religion (ou une philosophie, nous ne nous battrons pas sur les mots) non législative, influencée dès les origines par la tradition de débat de la philosophie grecque ; les oppositions s’y expriment par le langage, ne recherchent pas les moyens de contrainte juridique, et gardent la mesure. La question de savoir si une femme peut atteindre l’ Éveil sans renaissance préalable dans un corps d’homme reçut dès l’origine une réponse positive, ce qui ne l’empêcha pas de revenir de façon récurrente. L’ordre des nonnes bouddhistes, un temps disparu, ne renait qu’avec difficultés, et il est d’ailleurs subordonné à l’ordre des moines. Nous pensons que c’est en tant que laïque qu’une femme peut le mieux mener librement sa recherche spirituelle dans le cadre de cette grande tradition.
PEUT-ON ATTEINDRE L’ ÉVEIL DANS UN CORPS DE FEMME ?
Une femme peut-elle atteindre l’ Éveil directement, ou doit-elle passer par une renaissance dans un corps masculin ? En théorie, il ne devrait même pas y avoir de question, puisque celle-ci fut réglée dès l’origine par le Bouddha lui-même, lorsqu’il accepta, quoique avec réticence, la création d’un ordre féminin. Plaidant la cause des femmes, son ami le plus proche, Ananda, lui demanda :
» Seigneur, des femmes qui s’engageraient dans la vie sans demeure selon ton Dhamma et ta discipline pourraient-elles atteindre la perfection (c’est-à-dire l’illumination) ?
– Oui, Ananda. »
Tout est dit, pourrait-on croire … D’autant plus que le Canon Pali, l’un des recueils canoniques les plus anciens, contient des stances écrites par les nonnes, le Thérigatha.
Le Therigatha, neuvième livre du Khuddaka Nikaya, consiste en 73 poèmes (522 versets en tout) dans lesquels les premières nonnes (bhikkhunis) racontent leurs luttes et leurs réalisations tout au long de la route vers l’état d’ Éveil. Plus d’une nous raconte comment elle l’a atteint :
« Libre ! Je suis si complètement libre ! Libérée des trois choses tordues : du mortier, du pilon, et du vieux mari tordu. Ayant déraciné l’envie insatiable qui conduit au devenir, je suis libre de la vieillesse et de la mort. »
« Passant en quête d’aumônes, faible, appuyée sur un bâton, les membres tremblants, je suis tombée juste là, sur le sol. En voyant les inconvénients du corps, mon esprit fut alors libéré. »
Voici aussi un dialogue fictif entre Mara, qui est un peu l’équivalent du diable dans le Bouddhisme, et la méditante Soma :
« Mâra :
Cet état que les sages se proposent comme but et dont l’obtention est difficile,
Une femme, qui n’a qu’une once de sagesse, n’est pas capable d’y atteindre !
Somâ :
Que nous importe la condition de femme si l’esprit est bien dompté,
Et si la connaissance est celle de qui a la juste vision du Dhamma !
D’où qu’elle vienne, la jouissance a été mise en échec et la masse des ténèbres est transpercée.
Sache, Mâra, que tu es vaincu, toi, l’agent de la mort ! »
Malgré tous ces textes anciens, l’idée que la femme doit passer par une re-naissance masculine pour atteindre l’Eveil a la vie dure. Cependant, d’après le Dalai-Lama :
« Il y a un vrai mouvement féministe dans le bouddhisme qui est relié à la déité Tārā. Suivant son culte de la bodhicitta, la motivation du bodhisattva, elle a observé la situation des êtres s’efforçant d’atteindre le plein éveil et elle remarqua que peu de personnes atteignaient l’état de Bouddha en tant que femme. Ainsi Tārā s’est fait une promesse (elle a dit à elle-même) : « J’ai développé la bodhicitta en tant que femme. Pour toutes mes vies le long du chemin, je jure de renaître en tant que femme, et dans ma dernière vie, quand j’atteindrai l’état de Bouddha, là aussi, je serai une femme. » »
DIFFICULTÉS POUR LA PLEINE ORDINATION DES FEMMES
C’est dès l’origine que les femmes eurent du mal à se faire admettre dans les ordres bouddhistes.
La communauté monastique des femmes est née officiellement lorsque le Bouddha revint pour la première fois à Kapilavastu après son illumination. Sa tante l’attendait pour lui demander de la recevoir comme bhikkhuni avec cinq cents autres dames. Tout d’abord réticent, le Bouddha aurait fini par accepter devant l’insistance des femmes et celle d’Ananda. Gautama aurait néanmoins prédit que son enseignement s’éteindrait plus tôt du fait de la présence des femmes. Il posa comme condition qu’elles acceptent huit règles suivantes qui les plaçaient sous l’autorité des moines.
Au fil de l’histoire, la communauté des nonnes disparut, soit complètement soit presque complètement selon les écoles. Restaient des femmes qui menaient la vie ascétique, mais sans le statut de nonne pleinement ordonnée, dans des conditions économiques précaires, et en accomplissant principalement des tâches domestiques au service des moines.
La renaissance d’un véritable ordre féminin est laborieuse.
Voici un exemple de ce qu’on peut lire, sous la plume de moines, pour maintenir les pratiquantes dans un statut inférieur :
« Si je me trompe, tant mieux, car j’ai l’impression que des personnes très sympathiques et manifestement pleines de bonne volonté mettent (sans le vouloir) l’Enseignement du Bouddha en péril, sous le prétexte de « faire progresser les droits des femmes, et tout particulièrement des nonnes, dans le bouddhisme ».
J’avoue que cela me semble déplacé ! Paradoxal aussi.
A ce que j’ai cru comprendre, le Bouddha n’a jamais refusé d’enseigner à une femme du fait de son statut de femme, et si certaines lignées n’existent plus aujourd’hui, ce n’est pas dû à des mesures délibérément hostiles aux femmes. Il y a, malheureusement, nombre de lignées qui ont disparu au fil des siècles, notamment suite aux invasions musulmanes en Inde. Cela lèse tous les bouddhistes. Les hommes aussi.
Quand j’ai lu des articles à propos du Congrès, ou quand j’ai entendu les interviews ce matin, j’avoue que j’ai ressenti un certain malaise.
A titre d’exemple (fondamental), dans le bouddhisme, « entrer dans les ordres » se dit « quitter le monde », « quitter la maison ». Aussi, quand j’entends revendiquer un statut social, ou une reconnaissance de la part de la société, ou des titres pour s’imposer, eh bien, je m’interroge ! Ou quand il est affirmé que devenir bhikshuni serait un grand progrès pour les femmes car cela renforcerait « leur assurance et leur amour-propre » (sic), je me demande ce qu’on a fait du renoncement au monde, base nécessaire pour les moines et moniales bouddhistes, à ce qu’en disent les soutras… »
Ah ! l’égo ! Quel argument ! Il marche toujours ! Quand les femmes veulent améliorer leur condition, cela vient toujours de l’égo ! Mais on ne parle jamais de lui quand ce sont des hommes qui s’accrochent à leurs privilèges !
Heureusement, il y a des moines qui parlent autrement, comme Bante Sujato dans cet excellent texte où il analyse Le sexisme, l’androcentrisme et la misogynie :
« Le problème ici ne se situe pas au niveau de l’individu, mais de la Sangha puisqu’en tant qu’institution, la communauté des moines est toujours dans le déni du problème du sexisme, qu’elle refuse de reconnaître la misogynie et continue de placer des misogynes à des positions de pouvoir.
Ceux-ci une fois en place, la pratique institutionnelle « normale » de simplement ignorer, de marginaliser et d’exclure les femmes, se transforme en une suppression active de celles-ci.
Le problème qui se pose alors est qu’il faut la présence de femmes pour satisfaire le fantasme misogyne. Par conséquent, les femmes doivent être attirées vers les monastères, encouragées et soutenues, afin qu’elles puissent y rester et y être maltraités. S’il n’y a pas de femmes dans les monastères, comment peut-on les confiner à la cuisine ?
C’est la transposition dans un cadre spirituel du même phénomène qui se perpétue dans certains mariages. »
L’accès à l’ordination pleine et entière se fait au compte-goutte. Voici quelques exemples dans les différentes écoles :
Zen : avance de la tradition Soto et du zen vietnamien
Tibétains : avance de la tradition kagyupa ; Tara Abbey (tradition Karma Kagyupa) ; Jetsunma Tenzin Palmo, qui a pris aussi le voeu spécifique d’atteindre l’Eveil en tant que femme ; le Dalai-Lama est pour l’ordinattion des femmes, mais pas au point de l’imposer au reste de la hiérarchie religieuse
Théravada : en retard ; difficultés d’ordination de la Vénérable Dammananda ; difficultés d’ordination de Dhammarakita Samaneri
Un aspect très positif de ces ordinations est qu’elles obligent à briser les barrières entre les différentes écoles bouddhistes ; par exemple, des nonnes tibétaines ne font pleinement ordonner dans une école mahayaniste autre que la leur, plus souple sur l’ordination des femmes, puis réintègrent leur école d’origine.
PRATIQUER EN TANT QUE LAÏQUE
On a vu les difficultés qu’éprouvent les nonnes à obtenir une ordination complète. On n’a pas oublié que l’ordination, même complète, n’est qu’à demi satisfaisante, puisque les nonnes, même pleinement ordonnées, restent subordonnées aux moines et exposées à des attitudes vexatoires.
La bonne solution est en fait de pratiquer en tant que laïc, et de ne pas entrer dans un système de subordination de maître à disciple.
Nous avons tous les moyens de le faire. Les grands textes sont disponibles sur le net et en librairie. L’esprit de libre examen était préconisé par le Bouddha lui-même dans le Kalama Sutta.
« Venez, ô Kalamas, ne vous laissez pas guider par des rapports, ni par la tradition religieuse, ni par ce que vous avez entendu dire. Ne vous laissez par guider par l’autorité des textes religieux, ni par la simple logique ou les allégations, ni par les apparences, ni par la spéculation sur des opinions, ni par des vraisemblances probables, ni par la pensée que « ce religieux est notre maître spirituel »
Cependant, ô Kalamas, lorsque vous savez vous-mêmes que certaines choses sont défavorables, que telles choses blâmables sont condamnées par les sages et que, lorsqu’on les met en pratique, ces choses conduisent au mal et au malheur, abandonnez-les. »
Le Bouddha nous a transmis à tous, hommes et femmes, moines, nonnes et laïcs, tout ce qu’il fallait pour atteindre l’ Éveil, et il l’a fait clairement. Il n’y a pas place pour des enseignements secrets dans le bouddhisme, contrairement à ce que racontent des bonimenteurs.
Lors de la mort, le Bouddha, dans un dernier sermon (le Mahaparinibbana Sutta), a engagé ses disciples à lui poser leurs dernières questions sur les points de l’enseignement qui leur seraient obscurs, car, dit-il, il ne verra pas le jour suivant. Devant le silence général, il exhorte une dernière fois son auditoire, en des termes restés célèbres, et rappelle que, après sa mort, comme cela a été le cas de son vivant, chacun est sa propre lampe et son propre maître :
« Soyez fidèles au Dharma, et soyez un refuge pour vous-mêmes. »
Catherine Segurane
Source : www.agoravox.fr
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