23.11.2008
Dans notre monde sauvage
Christophe Sidamon-Pesson choisit dans son ouvrage de nous présenter la face majestueuse et épanouie de « notre nature sauvage », tout en suggérant la nécessité de devoir aller au-delà des apparences et d’atteindre une réflexion en profondeur, indispensable à la pérennisation de notre monde. Une immense Montagne noire, surgissant dans un lointain embrumé, évoque la question de la réalité et des apparences ; il s’agit en fait d’une vaste ombre projetée de cette montagne à la fois réelle et symbolique, qui peut nous inquiéter tout autant que nous émerveiller. « L’Autre Versant est pour nous une porte d’entrée magique dans un royaume sauvage et merveilleux où tout reste à découvrir », précise le photographe.
Dans son livre, Christophe porte son regard sur le massif du Queyras, qui est l’une des dernières zones encore préservées des Alpes. Son accessibilité réduite ne permet pas beaucoup de circulation routière et limite quelque peu les ferveurs de l’incontournable « développement économique », pour l’instant…
L’homme sera t-il assez sot pour démolir cette nature primordiale et ensuite se détruire lui-même ? C’est la question que pose l’auteur à travers son plaidoyer pour la sauvegarde de notre environnement naturel.
« L’Autre Versant » est tout d’abord un magnifique ouvrage de photographie, la concrétisation d’un projet de grande qualité, pensé et construit depuis plusieurs années. La réalisation technique est irréprochable et démontre une réelle démarche de qualité. De plus, l’ouvrage est imprimé avec des encres végétales sur un papier sans chlore, issu de bois provenant de forêts gérées de façon durable. La construction thématique des chapitres est assez innovante et s’affranchit avec bonheur des habitudes éditoriales. Les thèmes récurrents comme les saisons ou les couleurs sont remaniés pour développer une relation plus sensible à la nature.
L’eau, l’air, le feu, la terre et la pesanteur sont ici les éléments primordiaux qui constituent autant d’azimuts dirigés vers des sphères plus transcendantales comme les « Nudités premières », les « Arborescences ultimes », ou encore les « Vibrations, Métamorphoses, Élans, ou Infinis… ». Cette proposition originale ouvre la voie à une série de voyages initiatiques qui nous transporte dans les méandres embrumés des torrents sauvages, nous guide à l’aplomb des crêtes rougeoyantes et nous balade sur le miroir glacé des lacs de montagne à la recherche d’une quintessence spirituelle puissante et fascinante.
La mise en page est somptueuse et la lecture est rendue très agréable grâce à un rapport texte-images bien pensé.
Les textes de Michel Blanchet [[Extrait de texte de Michel Blanchet p85. « Peut-on penser qu’une molécule d’eau de trois milliards d’années, aujourd’hui prisonnière de notre cerveau, ait pu transiter par le corps d’une méduse du Jurassique, la sève d’un arbre en fleurs, le sang d’un grand singe, un cristal de givre, une gouttelette d’arc-en-ciel, un fragment de banquise ? La réponse est sans importance car l’idée même nous plonge dans un doute salutaire, nous donne un formidable sentiment d’appartenance à la planète et nous confond dans la magie du Tout. »]] racontent ces éléments primordiaux avec un art poétique qui résonne comme l’écho parfait de ces images harmoniques. En parcourant ces pages, le bruissement du ruisseau tinte à l’oreille à la façon des « Haïkus » dans un esprit parfaitement Zen. Cette heureuse association dégage une tranquille plénitude qui vient nous rappeler l’éphémère et dérisoire sottise humaine devant l’éternel naturel et l’infini.
Un courant de pensée qui prend sa source dans les profondeurs de la matière et de l’esprit, dans le questionnement métaphysique qui vise à redéfinir la véritable place de l’homme dans l’univers. La volonté de chercher dans cette nature sauvage les réponses aux questions posées par le comportement insouciant de la société humaine, vient nous rappeler la quête philosophique et les recherches idéalistes d’Emerson et de Thoreau [[Ralph Waldo Emerson, « Nature » essai, 1836. Henry David Thoreau, « Walden, ou La vie dans les bois » (Walden, or Life in the woods 1854).]].
Les idées transcendentalistes, qui ont été maintes fois critiquées [[Notamment par Robert Louis Stevenson.]], avaient été développées, il est bon de le rappeler, sur la base du respect de la nature et en harmonie avec elle (comme d’autres grands courants de pensée comme le Bouddhisme).
La sortie récente du film « Into the wild » [[« Into the Wild » de Sean Penn, 2007 USA, janvier 2008 VF, d’après le roman de Jon Krakauer, « Voyage au bout de la solitude » réédité en 2007 aux Presses de la Cité.]], et son succès auprès du public (Américain), tendrait à confirmer une reconnaissance de ces problématiques, aujourd’hui plus actuelles que jamais dans notre besoin urgent de raison, d’humilité et de dignité humaine.
Christophe Sidamon-Pesson se passionne très jeune pour le Queyras, et décide de s’y installer pour y vivre et y travailler. Il commence par réaliser de remarquables photographies d’oiseaux de montagne et se consacre plus globalement à l’étude des biotopes montagnards, quand il n’est pas parti en reportage dans d’autres contrées farouches du nord de l’Europe qu’il affectionne pour leurs aspects sauvages. Son parti pris est désormais philosophique et son engagement absolu ; témoin sensible de la biodiversité et de l’affaiblissement de l’équilibre naturel, il souhaite participer par son action à la protection de cet environnement qui nous émerveille et qui est si loin des préoccupations matérielles des hommes.
Christophe recherche tout particulièrement les endroits où l’esprit humain n’a pas sa place, là où la nature réalise son cycle éternel et grandiose sans se préoccuper des enjeux économiques et politiques qui régissent le destin des états et des civilisations. C’est pour cette raison que ses images nous touchent avec force ; elles tranchent avec celles que nous avons l’habitude de « consommer ». Il nous montre ici l’aspect « sauvage » de la nature primitive, il recherche la forêt primaire, la dureté de la pierre, le côté impressionnant qui remet l’homme à sa place naturelle, « parmi les autres êtres ».
Christophe n’hésite pas à partir seul, un ou deux jours en montagne, à grimper 1000 mètres de dénivelé avec son sac de 30 kg sur le dos pour faire une photo au lever du jour si c’est la condition pour réussir une photo de qualité, c’est-à-dire pour l’auteur, réussir l’expression d’un espace libre de l’empreinte de l’homme [[Source : www.naturapics.com/articles….]]. Ses photographies, exposées dans de nombreux festivals, ont été primées dans divers concours dont le prestigieux BBC Wildlife Photographer of the year en 2005. Auteur de Queyras (Pêcheur d’Images – Le Télégramme, 2002) avec Michel Blanchet, il collabore aussi avec de nombreux magazines.
Par Laurent Meynier
Source :www.photosapiens.com