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L’Indifférenciation Sexuelle du Bouddha Lui-Même

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Mâle ou femelle : deux « potentialités », de sagesse et de compassion


Mais le Mahâyâna développe aussi l’idée d’une indifférenciation sexuelle fondamentale du Bouddha lui-même. Les textes anciens l’avaient présenté comme un « Grand Homme » (mahâpurusa), sexuellement déterminé. Parmi les « trente-deux marques » physiques qu’il porte sur son corps – signes que déchiffra un devin à la naissance du prince Siddhârta – figurait « un sexe caché dans un fourreau comme celui d’un étalon », marque d’une évidente virilité ! Le Mahâyâna, lui, le présentera davantage comme un être potentiellement masculin et féminin. Les premières représentations anthropomorphiques du Bouddha (qui datent, elles aussi, des environs de l’ère chrétienne) montreront d’ailleurs des Bouddhas le plus souvent vêtus d’une fine étoffe appliquée au corps, démontrant, « en creux », l’absence de tout attribut sexuel masculin.
Parvenu à l’Eveil, le Bouddha se situe au-delà de toute convention dualiste, en corps comme en esprit. Ni masculin ni féminin, il peut se manifester sous l’une ou l’autre forme, de la même manière que sont présentes en lui, à la fois, les deux plus hautes vertus bouddhiques : la sagesse transcendante (prajnâ), qui permet d’accéder à la Libération, et la Grande Compassion qui se manifeste dans les « moyens habiles » qu’ils utilisent, en tant que Bouddha « suprême », pour enseigner.


L’activité, vertu masculine, est désormais indissociable de la vertu de sagesse (prajnâ-parâmitâ) que le Mahâyâna, dans son iconographie, présentera sous des traits féminins et appellera la « mère de tous les Bouddhas ». La distinction sexuelle se transmue en distinction virtuelle ! Tout être – dès lors qu’il est un Eveillé (buddha) – peut manifester aussi bien la féminine sagesse dont il jouit, que la masculine activité qu’il entreprend au profit des êtres englués dans les conventions nées du désir.


Les évolutions plus tardives du Mahâyâna, dans ses développements tantriques (à partir du VIe siècle), infléchiront encore ce phénomène. Ce que le Mahâyâna présentait en théorie, le tantrisme le traduira matériellement et en pratique : les Bouddhas, hommes, sont désormais « unis » à une parèdre féminine, dans une relation sexuelle que la sculpture et la peinture reproduiront maintes fois. L’indifférenciation originelle, potentiellement sexuée, se manifeste alors sous la forme d’une union du masculin et du féminin, qui se traduit aussi dans la pratique (dans un contexte ésotérique, réservé à une élite restreinte) par des techniques de yoga sexuel.


Au sein même du corps de chaque être vivant, masculin et féminin sont dits présents ; non pas dans le corps grossier issu de la procréation, mais dans le « corps subtil » qui irradie d’énergies pures le corps « conventionnel ». Ce corps « subtil » est l’expression de la « nature de Bouddha » présente en tout être, que le pratiquant doit manifester. L’indifférenciation n’est donc plus réservée aux seuls Bouddhas accomplis, elle est une caractéristique fondamentale de tout être, que le yoga tantrique permet d’expérimenter.


Le tantrisme sera le seul courant du bouddhisme à considérer que la potentialité féminine des êtres pourra « prendre corps » de façon individuée, y compris dans un corps de « Bouddha parfaitement accompli ». Le meilleur exemple en est celui de Târâ.

D’abord comprise comme une manifestation féminine d’un « futur Bouddha » – le bodhisattva Avalokitesvara, parangon de la compassion de tous les Bouddhas – elle sera finalement présentée elle-même comme un très réel Bouddha-femme !

Selon la légende, alors qu’elle n’était qu’une princesse « ordinaire », des bhikkhu lui auraient conseillé de souhaiter une renaissance masculine pour pouvoir parfaire ses qualités et parvenir ainsi à l’Eveil suprême. Mais la princesse répond :


« Ici, il n’est point d’homme ni de femme, pas de soi, pas de personne, pas de conscience. L’étiquetage « masculin » et « féminin » n’a pas d’essence, mais trompe le monde à l’esprit gauchi ».


Puis elle formule ce voeu :


« Nombreux sont ceux qui aspirent à l’Eveil dans un corps d’homme, mais aucun n’oeuvre au bien des êtres animés dans un corps féminin. Aussi, jusqu’à ce que le samsâra soit vide, j’accomplirai le bien des êtres dans un corps de femme ». [extrait de « Les Cent-huit noms »]


« Ce qu’en disent les religions », collection des éditions de l’Atelier
dirigée par Philippe Gaudin, Evelyne Martini et Jacques Scheuer, est réalisée en partenariat avec l’Université Bouddhique Européenne, l’Institut d’Etudes Hébraiques de l’Université de Nancy II, les Instituts de sciences et théologies des religions de Marseille, Paris et Toulouse, et le groupe de Recherche « Société, droit et religion en Europe », CNRS-Université Robert Schuman de Strasbourg.

Voir le dossier UBE sur La femme (de Dominique Trotignon)


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