Une des choses les plus célèbres dans l’enseignement du Bouddha, ce sont les quatre Nobles Vérités qui en fait sont un écho de quelque chose que l’on a trouvé dans la médecine ayurvédique. Les quatre Nobles Vérités, particulièrement bouddhistes, fonctionnent à la manière d’un médecin. Les médecins ayurvédiques sont un peu comme nos médecins d’aujourd’hui, ça coûte cher et parfois ça ne marche pas ; ils ont beaucoup d’opinions et parfois une bonne méthode. On peut identifier plusieurs étapes dans le traitement.
La première démarche du médecin est de rechercher les symptômes. Quand quelque chose ne va pas, on va le voir pour lui soumettre nos symptômes. Le médecin fait une anamnèse, il prend note de l’histoire, de ce qui fait mal, de ce qui ne fonctionne pas et il dénombre les symptômes. Dans l’enseignement du Bouddha, il y a un parallèle, c’est la première des quatre Nobles Vérités, on regarde ce qui fait mal- dukkha- littéralement ce qu’il y a de difficile à supporter. La traduction littérale du mot pali « dukkha » signifie toujours mauvaise chose. Toutes les choses qui commencent par « du » sont des mauvaises choses. Par exemple dans le Grec, vous avez le préfixe dys, dysfonction, dyslexie. Dukkha c’est la même chose, c’est quelque chose qui ne va pas, qui ne fonctionne pas, qui fait mal, qui est désagréable. Le contraire est sukha, qui veut dire bonne chose, bonheur, bien-être. Vous avez donc ces deux termes dukkha, sukha et la première démarche du médecin est la même que celle du Bouddha le grand thérapeute qui guérit les maux de la vie, qui guérit les maux du monde. Il dénombre les symptômes, il reconnaît ce qui fait mal, il regarde ce qui ne va pas.
Et notez le bien, si vous n’admettez pas que vous avez des problèmes, aucun médecin ne peut vous aider. La première nécessité pour que l’on puisse vous aider, c’est de dire ce qui vous fait mal, d’admettre que quelque chose ne va pas. Le mot patient, ça vient du latin « patio », je souffre, tout simplement. L’enseignement bouddhiste ne peut pas vous aider si vous n’admettez pas votre souffrance ou si vous l’ignorez. Vous devez vous intéresser à votre souffrance pour être en état de recevoir de l’aide. Ensuite le médecin ayurvédique comme le médecin d’aujourd’hui, fait une autre chose, il fait une sorte de diagnose, il essaie de chercher quelle est l’origine de ce dysfonctionnement. Est-ce que c’est une infection ? Est-ce que c’est un accident ? Est-ce que ça a quelque chose à voir avec la diète, le climat ? Après avoir fait une anamnèse, il essaie de trouver l’origine du mal. D’où viennent ces symptômes, ces dysfonctionnements ? De même dans l’enseignement du Bouddha, après avoir dénombré ce qui ne fonctionne pas, on cherche d’où vient cette souffrance. Moi je parle souvent de notre complicité. Qu’est-ce que nous faisons pour souffrir, qu’est-ce qu’il y a en nous qui constitue notre souffrance ou qui la rend possible ? Quelle est notre implication dans notre souffrance ?
Parce que normalement, nous faisons une grossière erreur, on traite les médecins comme on traite les garagistes : voyez ma voiture elle ne fonctionne pas, je vous la laisse, vous la réparez et puis je reviendrai mardi. Ne dites pas qu’il faut que je modifie ma manière de conduire, c’est votre travail de réparer ma voiture, je vous paye, vous la réparez et je viens la rechercher. Avec le médecin, je fais de même, je ne modifie pas mon comportement, je ne conduis pas de l’autre côté de la route, je n’ai rien à apprendre, ne me dites surtout pas de changer quelque chose dans ma vie mais faites que ça aille mieux ! Et notre attitude envers notre souffrance est souvent la même.
Je ne m’intéressais pas du tout au bouddhisme quand j’ai commencé à méditer mais je me sui rendu compte qu’il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas bien dans ma tête. Je me sentais assez privilégié et en même temps je me sentais très malheureux. Je savais que j’avais tous les privilèges mais je n’étais pas heureux. Donc il était clair que j’avais un problème de logiciel, il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je n’ai pas pu vraiment identifier où ça faisait mal, mais ça faisait mal et je n’ai pas pu trouver l’origine de ce mal. Donc, j’ai pensé qu’à travers la méditation, je pourrais peut-être optimiser quelque chose, sans vraiment changer, que je pourrais optimiser le fonctionnement de mon logiciel. Et j’y suis allé, pas dans l’attente d’apprendre quelque chose de religieux, c’était vraiment la dernière chose qui m’intéressait, mais je voulais apprendre quelque chose sur le fonctionnement de mon mental, croyant qu’avec une sorte d’arrangement, ça pourrait me dépanner. Et en fait, ça a mal tourné ! Je me suis fait prendre ! Je me suis fait prendre par la science ! Donc, j’ai dû assumer de plus en plus mes responsabilités. Et c’est devenu assez clair, la méditation n’était pas un petit truc que l’on fait pour que le logiciel fonctionne un peu mieux mais il fallait chercher un peu plus profondément ce qui ne fonctionnait pas.
Donc on a le médecin, il étudie les causes, les origines de la maladie, de la souffrance. Le médecin somatique recherche ce que la personne fait dans sa vie, ce qu’elle mange, ou elle vit, ce qu’elle fait de ses bras. Le Bouddha, le grand thérapeute des maux, le gourou de la médecine, comme il sera nommé plus tard, fait de même. Dans l’iconographie bouddhiste, à travers les siècles, vous trouvez l’image du Bouddha avec le baume suprême contre la souffrance. Les chinois, les indiens, les tibétains, même les Theravada dans les textes du Samyutta Nikaya, ont trouvé l’analogie entre le médecin et le Bouddha. C’est une image qui revient souvent. Le médecin bouddhiste essaye de trouver les origines de la souffrance, les causes qui maintiennent la souffrance. Souvent il est difficile de discerner la cause mais on peut discerner plusieurs conditions qui maintiennent la souffrance, qui constituent les vivres de la souffrance.
Le médecin ayurvédique dans une troisième étape se pose la question : est-ce que je peux guérir ça ? Il fait un pronostic : est-ce que je peux guérir, est-ce que je dois tenter ?
Parfois il ne faut pas tenter : vous avez un rhume, on ne peut vraiment rien faire, on ne peut qu’attendre que ça passe ; on peut diminuer les effets latéraux, mais en fait, on ne peut rien faire contre. Normalement, ça passe. Donc, il y a des cas où il faut attendre, et d’autres où si l’on attend ça ne va pas bien se terminer. Vous vous souvenez, chez les Grecs, il y avait Esculape qui avait le « don de regard », mais il faisait aussi un petit » deal » avec la mort. Quand la mort était aux pieds des gens malades, il pouvait les guérir, quand la mort était à la tête, il n’avait pas le droit de les guérir. Il fallait donc beaucoup de négociations avec la mort. Le guérisseur a des pouvoirs mais il n’a pas tous les pouvoirs. De même, dans la pratique bouddhiste, malgré le fait que l’on dispose de toutes les médecines, de tous les soins, on meurt quand même, il y a des formes de souffrance qui continuent. Même le Bouddha souffrait. Il avait des maux de dos. Parfois il disait : » mon dos me fait mal ce soir Sariputta, c’est toi qui va prononcer le discours, moi je vais m’allonger un peu ». Puis des moines s’occupaient du Bouddha, pliaient sa robe extérieure en quatre et le Bouddha s’allongeait tandis que Sariputta prononçait le discours de la loi suprême, et le Bouddha s’appuyait contre un pilier pour soulager ses douleurs de dos. Le Bouddha est mort, je crois, d’une dysenterie.
Il y a des souffrances qui sont obligatoires, d’autres qui sont volontaires. L’enseignement du Bouddha se concentre normalement sur les souffrances volontaires afin de les améliorer. La mort est quelque chose qui nous marque. Dès notre naissance, il faut que ce soit clair pour nous : nous allons mourir et cela va nous effrayer. C’est une chose qui nous effraye très profondément. Suivant le degré avec lequel nous acceptons, selon la capacité que nous avons de vivre avec cette idée, nous sommes plus ou moins capables de vivre authentiquement. Parce que la seule solution de faire face à sa mort, c’est de vivre de manière authentique, parce qu’on a pas beaucoup de temps, parce qu’il y a des limites, il y a des priorités. Dès que nous admettons qu’il y a des limites à notre vie, il s’impose à nous des priorités, des choses plus importantes que d’autres. Parmi tous les choix possibles que nous pouvons faire, il y a des choses qui sont essentielles.
Auparavant, je pensais que tout était démocratique, que les choses avaient une valeur équivalente, mais ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup de hiérarchies dans la nature. Je suis un démocrate dans le fond, comme le Bouddha était un démocrate. Il y a quelque chose de fondamentalement démocratique dans l’enseignement de Bouddha mais quand même il y a des hiérarchies. Ce sont des hiérarchies qui se sont imposées tout simplement par la nécessité. C’est une hiérarchie de besoins physiques comme de ne pas avoir assez de chaleur, ou pas assez de nourritures. Beaucoup de choses ne sont pas vraiment importantes tant que vous n’êtes pas rassasiés et au chaud. C’est clair, il y a une hiérarchie de besoins dans notre vie physique et aussi une hiérarchie de besoins dans notre vie émotionnelle, dans notre vie spirituelle. Dès que vous avez fait quelques démarches, beaucoup de choses deviennent sans importance. Il est important de faire cette démarche, de prendre cette décision, d’aller par là, avant que quelque chose d’autre devienne intéressant. C’est la prochaine étape qu’il faut accomplir. Si vous avez mille pas à faire, il faut commencer par le premier. Le 900ème n’est pas tellement important si vous n’avez pas fait tout ceux qui viennent avant
Donc, je reviens à ces quatre étapes, ces quatre Nobles Vérités. La quatrième de ces étapes, après avoir fait un diagnostic et après avoir clarifié que c’est guérissable, évidemment c’est la question de la thérapie, quelles sont les démarches pratiques. Dans l’enseignement du Bouddha, les démarches pratiques, c’est l’Octuple Noble Sentier, c’est comment gérer sa vie, comment éviter, comment endurer. Vous voyez, c’est intéressant de remarquer que ces quatre étapes se trouvent dans la médecine, dans des textes qui sont antérieures aux textes bouddhistes. Que le Bouddha, grand synthétiste qu’il était, a emprunté des idées à de nombreux enseignements, leur a donné d’autres accents et les a intégrées dans son enseignement.
Plusieurs de ses enseignements se déroulent en quatre points. Un autre de ses enseignements dont je voudrais vous parler un peu ce soir, c’est ce qu’on appelle en pali, Iddhipada. Iddhi, signifie pouvoir, ada veut dire moyens, approches. Vous connaissez peutêtre le Dammapada, les moyens d’approcher de la vérité. Le chemin. Pada ça veut dire pied, donc c’est devenu aussi l’allégorie du chemin que parcourent les pieds. Les Iddhipada, sont souvent liés à des pouvoirs surnaturels. La vérité, c’est que même les pouvoirs naturels se développent à travers ces Iddhipada. L’application des ces Iddhipada est fortement liée à une clarification de nos limites. Ce dont nous disposons : attention, énergie, temps, force, puissance corporelle, a des limites. Parce que le pivot c’est cela : nous ne l’admettons pas, nous croyons tout faire, que tout est toujours possible partout et nous n’avons pas vraiment un sens aiguisé de ce qui est important dans l’instant.
Donc, admettre notre mortalité, que les choses ont une fin et que nous ne savons pas ce qui va nous arriver après. Peut-être le savez-vous, moi je ne le sais pas. J’ai quelques théories. Je suis un bouddhiste, j’ai quelques croyances. J’ai de bonnes raisons de penser que ça va continuer d’une manière ou d’une autre mais je n’en suis pas certain. Je n’ai pas connaissance de mes vies antérieures, je ne peux pas voir l’avenir, donc, je reste avec mes expériences du présent que je peux extrapoler. Si ça continue comme ça continue maintenant, je me retrouverais avec les mêmes interrogations qu’aujourd’hui. Dans une autre forme de vie, je risque de rester avec ces choses que je n’ai pas comprises. Probablement avec une bonne quantité de l’énergie de mes désirs, de mes craintes. Peut-être que vous connaissez la célèbre réponse que donnait Trungpa Rimpoché à ses disciples qui lui demandaient : » mais quand il y a le non soi, qu’est-ce qui va renaître » ? Il disait : « ce sont vos névroses ». Il faut donc craindre que les choses ne se résolvent pas en attendant. Et quand nous sommes vraiment conscients de cela, des choix s’imposent. Voyez-vous, la liberté dans l’enseignement du bouddhisme est dans la possibilité de choisir. Nous sommes d’une certaine manière à la fois libre et prisonnier de cette possibilité de choisir. Parce que nous ne pouvons pas ne pas choisir, comme l’ont pensé quelques personnes dans ce pays, quelques existentialistes. Ils ont fait les mêmes observations : on n’est pas libre de ne pas choisir. Quoique vous fassiez, vous êtes tenus responsables, même si vous décidez de ne rien faire. Ça aussi c’est un choix et vous êtes tenus responsables de ce choix.
L’admission d’une limite nous amène forcément à une hiérarchisation de nos choix. Un tas de choses se présentent à vous et vous devez choisir celle qui est la plus importante. Qu’est-ce qui va être écrit en premier sur votre liste des choses à faire ? Qu’est-ce qui va devenir la première de vos préoccupations après avoir examiné tous les choix qui se présentent à vous ? Moi j’appelle ça la » priorisation « . Vous donnez la priorité à quelque chose. Et dans l’enseignement de ces quatre étapes des Iddhipada, la première chose qui s’impose, ce premier pas s’appelle chanda. Chanda c’est l’intention. Chanda est un terme neutre, parfois lié à la sensualité ou à la haine ; c’est considéré comme négatif, malsain, et parfois c’est lié à des aspirations. Kamachanda c’est le désir sensuel, Dhamma-chanda c’est le désir de la recherche de la vérité, et là c’est positif. Donc chanda en soi est neutre. Philosophiquement, ce serait la volition. Trouver des priorités nous force à identifier des buts, à identifier des valeurs. Les valeurs ne se trouvent pas dans la tête, elles se trouvent dans le coeur. Il y a des choses importantes pour nous dans notre coeur mais nos idées et les valeurs du coeur ne sont pas toujours convergentes. Si vous n’êtes pas sûrs de vos valeurs, observez votre comportement plutôt que vos idées. Regardez ce que vous faites, comment vous passez votre temps, avec qui, avec quoi. Quels sont les choses et les gens qui ont vraiment votre confiance ? Lorsque vous êtes sous pression, où prenez-vous Refuge : dans l’enseignement du Bouddha, sur le coussin de méditation ou dans le réfrigérateur ? En quoi prenez-vous Refuge ? Identifier ces valeurs, c’est la première partie de chanda. Çela signifie que l’on harnache l’énergie, la volition. On identifie ce qu’on veut et puis on focalise ses intentions. Je ne sais pas comment vous allez définir la différence entre volition et intention mais pour moi une intention, c’est une volition consciente. Depuis Freud, nous savons qu’il y a la volition que nous ne soupçonnons pas, c’est quand même une volition même si nous n’admettons pas que nous voulons certaines choses. Je considère qu’une intention, c’est une volition consciente, c’est une chose dont je sais que je la veux. Ce n’est pas seulement que je la veux sans l’admettre mais je sais que je la veux et je m’y efforce, j’ai une vision de cela, je l’ai identifiée, je peux la nommer, la décrire, la discerner.
Donc ça, ça fait partie de chanda. Toutes sortes de succès dans nos vies dépendent de l’accomplissement de ces quatre étapes. Ces quatre étapes font partie de tout ce que nous allons réussir. Nous ne réussirons que lorsque nous ferons ces quatre pas. Peut être n’en sommes-nous pas conscient mais vous allez être capables de les identifier dans un moment. La première étape, c’est chanda. Vous devez savoir ce que vous voulez. Quoique vous vouliez, vous n’avez aucune chance de l’obtenir si vous ne savez pas ce que vous voulez. Il y a beaucoup de gens qui savent qu’ils ont un désir pour quelque chose mais ils ne savent pas quoi. C’est comme un nuage, ça n’a pas de lame, ça ne coupe pas. Ça a un volume, mais ça n’a pas de tranche, pas de direction, d’orientation. Chanda nous force à aiguiser notre intention, à identifier de quoi il s’agit, à discerner la direction, à nous orienter. Et vous voyez très vite que ce n’est pas tellement facile.
Dans les valeurs vraiment profondes, que voulez-vous vraiment ? Comment identifier les valeurs profondes ? Oui, c’est bien d’avoir une Lamborghini mais est-ce que c’est vraiment la Lamborghini qui vous intéresse ou est-ce que vous voulez autre chose. Parce que derrière les choses, nous cherchons un état. Personne ne veut une Lamborghini mais ce que nous cherchons, c’est ce que nous donne la Lamborghini. Nous recherchons la sensation que nous avons quand nous conduisons la Lamborghini. La Lamborghini en soi, ce n’est vraiment pas fascinant mais c’est le sentiment que nous donne la conduite de la Lamborghini ou sa possession, ou d’être vus avec. En fait, nous recherchons derrière les choses un état. Il en est de même avec les relations et les possessions. Hier nous avons fait une belle via ferata, j’aime bien les rochers, j’aime bien marcher, j’aime bien les coins un peu arides mais, en fait, la viaferata est quelque part vers Sisteron et maintenant moi je suis ici. Ce qui m’a gratifié, c’est une sensation, un état mental, c’est une mixture entre ce qui est un peu dangereux, ce qui est un peu angoissant et une focalisation de mes forces, de ressentir un sens de la coordination, un sens du toucher, une présence, quelque chose qui me donne le sentiment de vivre. Souvent, en essayant d’identifier les valeurs que nous voulons, nous identifions plutôt les états que nous recherchons. Il faut alors les » désidentifier « , parce que ce que nous recherchons vraiment, ce n’est pas cela mais ce que ces choses représentent pour nous. Et ça devient déjà un peu plus complexe. Recherchez, demandez-vous ce que symbolise ce que vous trouvez le plus valorisant dans votre vie ? Et est-ce que vous êtes conscients que ces choses ont un arrière plan, quelles sont en fait les symboles de ce que vous recherchez. Donc la partie de Chanda nous force, nous amène à identifier plus profondément ce que sont les valeurs, ce que nous recherchons.
Deuxième étape, après avoir identifié ce que nous recherchons, c’est viriya, c-est-à-dire l’effort et l’énergie de pouvoir décider. Une intention et une décision sont deux choses différentes. Vous avez une intention, c’est quelque chose que vous avez pu identifier et qui vous attire, mais la décision ça engage. Pour vous donner un exemple un peu vulgarisateur, c’est la décision que vous prenez quand vous accélérez ou que vous embrayez. La décision équipe toute votre énergie dans une direction. Après que vous vous êtes orientés, que vous avez identifié votre intention, il vous faut mettre en marche tout le système. Donc, viriya, ce sont les énergies, les qualités guerrières, les énergies qui permettent d’agir d’une manière très focalisée, très déterminée suivant vos intentions. Et vous ne vous demandez pas si ça monte ou si ça descend, vous y allez. La décision, c’est quelque chose qui fait partie d’une réduction.
Le guerrier, ce n’est pas quelqu’un qui a beaucoup de valeurs, qui a beaucoup de loyauté. Il faut d’abord identifier les valeurs et puis on engage le guerrier qui fonce. Ce n’est pas le moment de douter quand vous décidez. Le doute, c’est quelque chose qui fait partie de l’identification, de l’orientation. Où est-ce que nous sommes ? Est-ce que c’est vraiment comme ça ? Est-ce qu’il faut vraiment… ? Dès que vous arrivez dans l’état de décision, le doute est un monstre, un obstacle. C’est vraiment un obstacle. C’est la rouille. Comment dire ? Ce sont les termites. Ça ronge, c’est corrosif.
Quelles que soient vos intentions, si vous ne vous décidez pas à agir avec votre énergie mentale et physique, votre capacité d’intention, votre temps, votre argent qui sont également de l’énergie ; si vous ne risquez pas l’engagement de tout cela, vous n’avez pas beaucoup de chances de réussite dans l’accomplissement de vos buts, de vos visions, de ce que vous attendez. Vos intentions ne sont rien si vous n’êtes pas prêts à vous engager, à vous mettre en marche dans cette direction.
Le troisième étape s’appelle Citta et dans ce moment là, elle se définit par votre capacité à tenir le coup. Vous voyez, après avoir décidé quelque chose, après avoir démarré, il faut garder l’esprit focalisé. Et Citta dans ce cas là, veut dire la capacité à rester concentré sur l’objectif. Vous avez démarré et il vous faut continuer. Dès qu’on a démarré, on a une bonne impression… par exemple, vous faites une randonnée, vous faites quelques kilomètres et vos muscles commencent à chauffer, vous êtes bien. A partir de là, il vous faut une autre sorte de force, il vous faut vous soutenir, vous maintenir, vous ramasser. Il faut chercher comment vous gérer pour tenir le coup. Souvent, c’est perçu comme une qualité féminine. Je ne dis pas une qualité de femme, je dis une qualité féminine. J’espère que vous comprenez que nous avons ces deux sortes de qualités en nous. Ce n’est pas une qualité guerrière, c’est une qualité de « nutrition ». C’est une qualité qui nous est nécessaire pour être capable de maintenir l’effort. Par exemple, dans cet état là, il faut se méfier d’une chose : la distraction. Parce que les efforts premiers sont faits, parce qu’on a démarré, on a le sentiment que ça y est, on est en route et le danger est de s’intéresser aux murs, aux fleurs… Ca roule et il y a une certaine tendance à se distraire. Maintenant, ça va bien, vous êtes en rythme de croisière. On commence à se sentir un peu à l’aise et c’est à ce moment là que survient le danger. Parce qu’on est en train de perdre la clarté, on perd la concentration de notre intention première. On s’éparpille. Tout nous paraît possible puisque les efforts primaires sont faits. Donc Citta, ça veut dire rassemblement, capacité de soutenir, de nourrir quelque chose. Et ça, c’est un effort mental. Ce n’est pas un effort de volonté, c’est un effort mental. Il faut un tout petit peu de volonté et beaucoup de routine. Vous voyez ?
Quand vous méditez, Citta c’est l’esprit de Samadhi. La volonté, ça ne vous aide pas beaucoup. La volonté, c’est bon pour refouler les obstacles. Je m’assois, je ne pense pas, je ne vais pas résoudre les problèmes de ma vie. Non je ne vais pas faire de films de vacances, pour cela, la volonté est très bien mais pour que l’esprit se rassemble, prenne du Samadhi, il faut un goût. Ça ne se fait pas volontairement, vous ne pouvez pas forcer l’esprit à trouver le Shamadi ; vous ne pouvez que le tenter. Vous pouvez dire : « viens ici, regarde, ça fait du bien », mais si vous dites : »marche maintenant « , il ne va pas se rassembler. La volonté ou même la menace, ça ne va pas vous aider à entrer dans des états plus rassemblés. J’essaie d’éviter le mot concentration parce que pour moi le mot concentration ça me fait penser à quelque chose qui bouge concentriquement, ça me fait penser à ma serpillière. C’est une horrible image qui ne correspond pas a ce que dit le Bouddha, c’est tout à fait autre chose. Le rassemblement des forces de l’attention me fait plutôt penser à l’eau qui coule toujours de façon cohérente. Quel que soit le nombre de gouttes d’eau que vous mettez dans un vase, elles vont toujours se rassembler. Il y a une tension de surface dans l’eau qui fait qu’il y a une cohérence. Et pour moi, le Samadhi, c’est ça. Donc Citta, c’est éviter l’éparpillement, garder un soutien qui permet de continuer ce cheminement. C’est quelque chose de très fragile, ça demande beaucoup de subtilité. C’est un peu comme avec les enfants ou avec les plantes. Parfois, il faut de l’eau mais quand on met trop d’eau, on les noie. Il faut un peu de soleil, mais quand la plante est trop exposée, elle brûle. Il y a des plantes qui n’aiment pas le sable et d’autre comme l’aloevera qui en ont besoin. Il faut donc être clair, subtil. Il faut le tout mais dans une certaine proportion. C’est simple, il faut, comment dire, optimiser. Aucune loi ne dit « le toujours plus » est la meilleure solution. Il faut seulement une certaine quantité de chaque chose. Vous avez besoin de 17 % d’oxygène dans votre air, vous n’avez pas besoin de 50 %, ça vous donnerait de drôles de vertiges ! Donc le maintien de Citta demande la capacité d’analyser à chaque instant ce qui est nécessaire. Mais ce n’est pas toujours la même chose qui est nécessaire, c’est quelque chose d’assez subtil et c’est pour ça que l’on utilise l’image de Citta pour cette troisième étape.
La quatrième étape, c’est simple, c’est la réflexion. Vimamsa, ça veut dire réfléchir, ça veut dire réfléchir profondément. Vous avez donc identifié la première étape, vous avez équipé vos énergies. Deuxième étape, vous avez démarré, vous avez décidé, vous avez pris une décision particulière. Après avoir trouvé des priorités, vous vous êtes engagés d’une manière claire et déterminée. Troisième étape, vous maintenez les efforts que vous avez faits, vous maintenez une direction, vous vous soutenez vous-mêmes dans cet effort. Là, il est intéressant de se soutenir pour une longue durée. Il y a des efforts sprints, il y a des efforts de longue distance. Si vous faites du marathon, il vous faut vous ménager. Cette gestion des énergies est une fonction du mental. Tout effort à long terme est un effort mental. Vous ne pouvez pas gravir une montagne, courir un marathon si vous ne savez pas maintenir votre mental. Au moment de l’épuisement, au moment de l’effort, si vous ne savez pas utiliser votre esprit, vous allez chuter, commencer à douter. Pour tous ces évènements de longue haleine, il faut une attitude mentale qui vraiment décide.
Vimamsa est une sorte de rectification. Vous constatez que vous commencez à prendre de l’âge, vous l’identifiez, vous dites : je suis capable de soutenir des efforts mais est-ce que j’y arrive ? Est-ce que je suis vraiment où je veux être ? Il faut une sorte de réorientation. Vous êtes sur le terrain maintenant. Vous vous demandez si vous êtes dans la bonne direction, si des évènements que vous avez voulus dans votre vie se sont effectivement produits. Est-ce que vous arrivez au terme ? Est-ce que vous approchez du but que je vous vous âtes fixé ou est-ce qu’il faut changer de chemin. Il y a quelque chose de vimamsa dans cette attitude, vous vous orientez de nouveau. Vous voulez allez dans la forêt, est-ce que vous vous en approchez ? Vous allez au sommet, est-ce que le sommet est plus proche ? Vous vous orientez de nouveau : est-ce possible d’aller par là, ou est-ce qu’il faut que je change de route ? Vimamsa, c’est le moment où vous levez le pied de l’accélérateur pour vous demander si c’est bien la bonne route ? Qu’est-ce qu’il faut maintenant ?
Vimamsa vous permet de vérifier, de corriger, d’affiner peut-être soit vos intentions, soit vos décisions, soit votre route.
Je suis sûr que vous pouvez identifier historiquement dans des actions que vous avez menées au succès, des moments où il a fallu avoir une vision. Chanda, identifier quelque chose qui a une valeur. Souvent ça se présente comme une vision et puis il y a des moments où il a fallu que vous risquiez quelque chose, que vous décidiez quelque chose. La prise de décision, souvent elle se fait un peu en tremblant parce qu’on ne sait pas si ça va bien tourner. Et puis il y a des moments où il faut tenir le coup, où vous devenez conscients qu’il y a d’autres routes, qu’il y d’autres choses, d’autres points de vue, d’autres démarches qui pourraient être assez intéressantes. Mais il vous faut rester sur votre piste il vous faut garder vos énergies. Et il y a des moments où il faut réfléchir : est-ce qu’on va continuer, est-ce qu’on va changer de direction ? Que va-t-on va faire d’autre maintenant ? Est-ce qu’on est sur la bonne route ? Estce qu’on peut vérifier ce qu’on avait envisagé ? Peut-être avez-vous fait un bout de chemin, et s’il vous faut continuer, comment vous faut-il continuer ? Ralentir ? Accélérer ? zigzaguer un peu ? Peut-être que la route directe n’est pas toujours la route la plus facile. Si vous grimpez une montagne, la « directissima » n’est pas souvent la route la plus facile. Regardez bien, peutêtre ce n’est pas la « directissima » qu’il faut prendre, peut-être faut-il bifurquer un peu et que prendre un petit chemin par là, ce serait mieux. Mais il faut regarder. Dès que vous foncez, vous ne pouvez plus regarder. Si vous êtes en mode guerrier-décision, il y a peu de perspective, il y a peu d’horizon. Pour regarder l’horizon, il faut un peu de recul.
Vimamsa, ç’est la quatrième étape, une sorte d’affinage, de réorientation. C’est peut-être même reconnaître que vous avez commis des erreurs, que vous avez dépassé des choses, que vous avez brûlé quelques étapes. Je pense que vous pouvez identifier cette étape. Donc, considérez dans ce qui est important pour vous, laquelle de ces quatre qualités vous personnifiez. Nous avons des désirs et de mauvaises haines mais nous avons aussi des talents. Essayez d’identifier vos qualités. Laquelle de ces quatre étapes est le plus facile pour vous. Il y a des gens qui ont très facilement des visions mais la mise en route est plus difficile. Il y a des gens à qui l’on donne un but et qui y courent très vite mais reconsidérer leur acte est une chose qui leur est difficile. Ou ils courent le cent mètres et ils se terrent. Ils disent » c’est vraiment laborieux votre truc, faut-il continuer ? » Essayez d’identifier parmi ces quatre étapes, laquelle est la plus facile et laquelle est la plus difficile pour vous. Si vous regardez le cheminement de votre vie, si vous étudiez ce que vous faites dans une certaine entreprise que vous avez identifiée, qu’est-ce qui a été le plus difficile ? Quel a été le moment de crise ? Qu’est-ce qui vous demande le plus de travail ? Ça, c’est vraiment intéressant. Evidemment, ce qui vous paraît le plus difficile est ce qui vous apporte le plus. Identifiez les choses qui sont faciles pour vous et oublier-les. Ne les oubliez pas complètement mais ne faites pas les choses que vous savez déjà très bien faire.
Si nous pratiquons les arts martiaux par exemple, et si nous avons un bon maître bien sûr, il nous dira en nous regardant faire un très bon mouvement. « maintenant vous faites tout, sauf ce mouvement ». Pour grandir dans la compréhension des autres mouvements, il ne faut pas s’attarder sur ce que vous savez déjà bien faire. Car nous aimons tous être des experts, nous aimons tous faire ce que nous savons bien faire. Ça nous gratifie, c’est bon pour nous, ça nous fait du bien, ça nous donne l’image de la compétence. Moi j’aime bien être compétent, mais j’aime bien aussi qu’on me force à renoncer à faire ce dont je suis capable afin de consacrer plus d’énergie à tenter de faire des choses que je ne sais pas très bien faire. C’est le devoir d’un bon maître de vous empêcher de répéter les choses que vous savez déjà bien faire. Essayez d’identifier votre attitude envers ces quatre pas. Tentez d’identifier dans vos projets, dans votre vie, la démarche qui est la vôtre dans ces quatre domaines. Lequel de ces domaines devrait être plus développé ? Et essayez de trouver des gens que vous admirez qui ont les qualités qui vous manquent. Demandez-vous comment ils font. Essayez de trouver non seulement des gens mais aussi dans l’histoire et dans la culture la personnification d’une telle qualité.
Quelles sont les parties de votre être qui doivent être développées pour accomplir ces quatre étapes ? Ça, je pense que c’est une question intéressante, ce n’est pas à dire au moine mais c’est une question que vous devez vous poser.
Merci.
Akincano Bhikkhu