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La Paix en Marche – Comment transformer les peurs, par Thich Nhât Hanh

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Bonjour chers amis, chère Sangha,

Quand nous écoutons ensemble la cloche et respirons ensemble comme cela, nous créons une sorte d’énergie collective très forte qui pénètre en chacun de nous et qui facilite la guérison et la transformation. Pratiquer dans une Sangha (une communauté de pratiquants), c’est facile. Chacun de nous a une graine de peur dans la profondeur de sa conscience connaissance ; le Bouddha nous invite à reconnaître cette graine de peur en nous. Les moines, les moniales sont supposés reconnaître cette graine chaque jour : « je dois mourir un jour, je ne peux pas échapper à la mort. Je peux tomber malade un jour, je ne peux échapper à la maladie. Un jour, je devrai me séparer de celui ou celle que j’aime, c’est inéluctable ». Tout ce que je peux emporter avec moi, ce sont seulement les fruits de mes actions ; je ne peux rien emporter d’autre avec moi : ma maison, mon compte en banque, mes diplômes… je ne peux pas emporter ces choses-là avec moi. Cette pratique nous aide à nous familiariser avec la vérité.

La pleine conscience

Reconnaître la peur qui est en nous afin de pouvoir la transformer. On a peur de beaucoup de choses ; on a peur de perdre un jour son travail ; on a peur que la personne qui nous aime aujourd’hui nous abandonne demain; on a peur des accidents ; on a peur des terroristes. Mais qu’est-ce que le Bouddha nous dit pour réduire la peur ? Les causes de l’accident peuvent se trouver hors de nous, mais elles peuvent aussi être en nous. Et il est fréquent que la cause intérieure déclenche la cause extérieure. Il y a beaucoup de choses à faire pour pouvoir se protéger. Je voudrais tout d’abord parler de l’énergie de la pleine conscience comme une énergie de protection. La pleine conscience c’est l’énergie qui nous permet de nous rendre compte de tout ce qui se passe dans le moment présent. Quand je bois une tasse de thé, je peux la boire dans la pleine conscience ; si je sais que je suis en train de boire une tasse de thé, je bois le thé dans la pleine conscience. Quand je fais un pas et que je le sais, je marche dans la pleine conscience. On peut préparer son petit déjeuner dans la pleine conscience ; peut-être avez-vous besoin de quinze minutes ou vingt minutes pour préparer le petit déjeuner, mais c’est une pratique. On peut porter son attention vers ce qui se passe, ce que l’on fait. Quand on fait la vaisselle, on peut apprendre à générer l’énergie de la pleine conscience. Une fois habité par la pleine conscience, on est vraiment là, on sait ce qui se passe et on peut réagir vite pour que le danger soit évité. Avec la pleine conscience qui nous habite, on sait exactement ce que l’on doit faire et surtout ce que l’on ne doit pas faire. C’est pourquoi nous tous nous pouvons pratiquer pour cultiver cette énergie en or qu’on appelle l’énergie de la pleine conscience. La pleine conscience est la matière première avec laquelle on peut fabriquer beaucoup de choses ; avec la pleine conscience, on peut cultiver la compassion, on peut cultiver aussi la compréhension, la sagesse.

La compassion

La compassion est un agent protecteur ; vous savez qu’une personne sans compassion souffre beaucoup, complètement isolée ; sans compassion, on ne peut pas établir de relation avec les autres êtres vivants, et l’on souffre ; c’est pourquoi la compassion nous soulage, nous donne de la liberté, de la paix et du bonheur. Si vous avez de la compassion en vous, vous êtes protégés ; c’est parce que la compassion se révèle, se manifeste dans la manière de regarder, de parler, d’agir. Et l’autre personne se sent en sécurité avec vous, c’est parce que vous êtes habité par l’énergie de la compassion. Elle sait que vous n’allez pas lui faire du mal ; elle peut toucher cette compassion en vous ; alors il faut cultiver la compassion pour sa propre protection, et on peut en même temps protéger les autres si on a de la compassion.

Les Israéliens ont peur et ils combattent pour leur survie ; et nous comprenons. Les Palestiniens ont peur, et ils veulent combattre pour leur survie, et nous les comprenons aussi. Osama Bin Laden a peur ; il a peur que le Judaïsme et le Christianisme détruisent l’Islam comme un mode de vie. Donc les terroristes agissent sur la fondation de leurs peurs ; ils combattent pour leur survie aussi. Et si on a assez de temps pour regarder en profondeur, on voit que tout le monde a peur ; et cette peur va de pair avec la haine, la colère et la violence. Et quand nous sommes victimes de la haine, de la colère et de la violence, nous souffrons et nous faisons souffrir les autres. C’est une chose très claire, très simple à comprendre.

Les perceptions erronées

Donc si vous avez le temps de regarder… vous pouvez obtenir la compréhension : ils ont peur, ils souffrent ; ils sont victimes de leur peur, de leur colère, de leur haine, de leur violence ; et personne ne se trouve dans la situation de les aider. Pour pouvoir les aider, il faut faire en sorte que cette peur soit réduite, soit enlevée, soit transformée. Et nous savons très bien que la peur est née des perceptions erronées ; c’est le Bouddha qui a dit cela : « la peur est née des perceptions erronées ». Nous avons peur l’un de l’autre, c’est parce qu’il n’y a pas assez de communication ; il y a des perceptions erronées qui nous séparent ; alors il faut faire en sorte de restaurer la communication. La peur, le terrorisme ne peuvent pas être déracinés par les bombes ; c’est parce que la peur et la terreur sont nés des perceptions erronées ; et on ne peut pas enlever, détruire les perceptions erronées avec les bombes, avec les fusils, mais seulement avec le dialogue, l’écoute profonde, la parole aimante qui permettent seules d’aider l’autre personne à corriger ses perceptions erronées. Quand on écoute avec compassion, quand on pratique l’écoute profonde, on commence à comprendre pourquoi l’autre personne souffre, l’autre personne a peur, a de la haine et du désespoir. Et nous pouvons réaliser que cette personne-là est vraiment victime de ses propres perceptions erronées, et on se dit : « plus tard, j’aurai du temps pour pouvoir offrir des informations qui pourront aider cette personne-là à corriger ses perceptions » ; vous êtes motivés par la compassion ; vous êtes là assis tranquillement pour écouter l’autre personne, et c’est déjà là un acte d’amour. Et quand vous réalisez que cette personne est victime de beaucoup de malentendus, beaucoup de perceptions erronées, vous vous promettez que plus tard vous ferez de votre mieux pour aider cette personne à corriger ses perceptions. Une fois les perceptions corrigées, une vue juste est obtenue et la peur sera alors diminuée en même temps que la souffrance. Cette personne a une conception d’elle-même, et elle a une conception de vous, de nous ; et ces deux sortes de perceptions peuvent être erronées ; et c’est pourquoi cette personne a agi ainsi avec de la colère et de la haine. Quand l’on écoute cette personne-là, on peut identifier ses perceptions erronées ; et puis on peut aussi en même temps réaliser que l’on est soi-même victime de ses propres perceptions erronées ; si l’autre personne est victime de ses perceptions erronées, moi aussi je peux être victime des perceptions erronées. En écoutant en profondeur comme cela, on peut réaliser qu’on a eu des perceptions erronées sur soi-même et sur l’autre personne ; et cela nous aide à corriger les perceptions en nous-même. Le père a des perceptions erronées à propos de son fils, et le fils peut avoir des perceptions erronées sur son papa ; alors tous les deux souffrent, et chacun pense qu’il est victime de l’autre personne ; mais tous les deux sont victimes des perceptions erronées. Si les Palestiniens et les Israélites réalisent cela : les deux partis sont tous les deux victimes des perceptions erronées, et que tous les deux combattent pour leur survie, alors pourquoi ne pas coopérer pour pouvoir avoir une survie collective. Je voudrais vous dire que le bonheur n’est jamais une chose individuelle ; la sécurité aussi, ce n’est jamais une chose individuelle. La survie, la sécurité, ce sont des choses collectives.

Imaginez un mari qui souffre profondément ; est-ce que sa femme peut être heureuse ? Non, pour être heureuse, cette dame-là doit aider son mari à souffrir moins ; donc la souffrance est une chose collective, et le bonheur aussi. Quand le père souffre, le fils ne peut pas être vraiment heureux ; alors il faut faire quelque chose pour que le père souffre moins, de sorte que le fils aura une chance d’être heureux. Donc, ce que je veux dire ici, c’est que la souffrance n’est jamais une chose individuelle. Il faut assurer le bonheur de l’autre pour qu’on puisse être heureux. La sécurité n’est pas une chose individuelle; si les autres se sentent en danger, alors vous êtes en danger aussi ; il faut donc s’occuper de la sécurité de l’autre personne. Est-ce que la politique américaine est sur cette voie ou non ? Est-ce que la politique française va dans cette direction ou non ? Pour avoir de la sécurité, on doit offrir de la sécurité. Alors, si l’autre personne souffre, ce sera très difficile pour nous d’être heureux ; il faut donc songer à faire quelque chose pour que l’autre personne souffre moins. Si l’autre personne a beaucoup de peurs, alors cette personne-là va devenir une cause de notre peur. C’est pourquoi réduire la peur en l’autre personne c’est réduire la peur en soi-même. Qu’est-ce qu’on a fait pour les arabes, pour les Palestiniens, pour les Israélites, pour Osama Bin Laden…

La méditation c’est l’acte de regarder en profondeur, regarder soi-même, regarder l’autre personne ; et si on peut identifier la cause de la souffrance, de la peur dans l’autre personne, la compassion jaillit de notre coeur ; et avec la compassion on n’accuse plus, on souffre beaucoup moins ; on peut commencer à regarder l’autre personne avec les yeux de la compassion ; on peut lui parler avec une parole aimante, et ça change déjà beaucoup de choses. Il faut donc avoir le temps pour pouvoir regarder, regarder en profondeur. Cette pratique nous procure, nous offre de la compassion. Avec la compassion on ne souffre plus, on peut accepter, on veut faire quelque chose pour aider, on n’a plus cette intention de punir. Et si vous êtes animés par cette compassion, par ce désir d’aider, alors l’autre personne va pouvoir reconnaître cette intention, et elle aura alors moins peur de vous, et vous aurez vous-même moins peur d’elle. Au sein de la famille, on peut pratiquer cela ; au sein de la communauté, on peut pratiquer cela ; et entre les nations, les groupes ethniques, on peut pratiquer cela. On peut toujours commencer avec une inspiration profonde pour se calmer, pour apporter de la détente à notre corps. Et lorsqu’on est détendu physiquement, on peut déjà commencer à calmer nos sensations, nos émotions.

Avec la pratique de l’inspiration, de l’expiration en pleine conscience, on aura assez d’énergie de pleine conscience pour pouvoir reconnaître les émotions comme la peur, la colère, le désespoir afin de pouvoir les embrasser.

« J’inspire, je sais que la peur est en moi. J’expire, je prends soin de ma peur maintenant avec beaucoup de douceur ».

Et comme on peut faire cela, on peut continuer et regarder en profondeur pour voir les racines véritables de cette peur. Si vous avez peur de lui, il a peur de vous ; alors vous êtes tous les deux des victimes de la peur. On peut dialoguer pour créer une collaboration qui permette de transformer la peur dans chaque camp.

Malheureusement, nos dirigeants politiques et militaires ne sont pas entraînés dans cette pratique : la pratique de la respiration profonde, la pratique de la pleine conscience, la pratique du regard compatissant. C’est pourquoi ils n’arrivent pas à enlever la peur, corriger les perceptions erronées qui sont à la base de tout conflit, de toute souffrance, de toute peur. Et comme citoyen, on doit pratiquer, on doit soutenir nos dirigeants politiques. La pleine conscience est un agent protecteur, la compassion en est un autre, et la sagesse est un agent protecteur aussi. Qu’est-ce que c’est que la sagesse, et quelle sagesse ?

L’inter-être

Dans le bouddhisme, on parle de l’inter-être ; on ne peut jamais être par soi-même, on doit inter-être avec tout autre chose. Regardez une fleur par exemple. La fleur ne peut pas être par elle-même ; la fleur doit inter être avec le soleil, les nuages, la terre, etc… Imaginez qu’il n’y ait pas de soleil ; aucune fleur ne peut pousser. Donc en regardant profondément dans la fleur, on voit l’élément soleil ; et je peux toucher le soleil quand je touche la fleur ; le soleil est dans la fleur ; fleur et soleil inter sont. Quand je regarde la fleur, je vois un nuage, et je touche un nuage ; je sais très bien que sans nuage il n’y aura pas de pluie, et la fleur ne peut pas pousser ; donc il y a bien l’élément nuage dans la fleur ; la fleur ne peut pas être par elle-même, elle doit inter être avec le nuage.

Donc cette sagesse montrée par le Bouddha est une pratique. Quand on regarde quelque chose, quelqu’un, on doit voir la nature de l’inter être de cette personne-là, on doit voir la nature de l’inter être de soi-même. Si vous regardez en profondeur en vous-même, vous voyez tant de choses ; vous voyez que vous n’êtes pas vraiment vous-même, vous ne pouvez pas être par vous-même, vous devez inter-être avec tous les autres. Je reconnais que mes ancêtres, non seulement mes ancêtres humains, mais encore mes ancêtres animaux, végétaux et minéraux sont en moi. Mon père et ma mère sont encore vivants dans chacune de mes cellules ; et je peux tout à fait parler à mon papa, à ma maman, c’est parce qu’ils sont encore là dans chacune de mes cellules. Essayez une fois de parler à votre papa et votre maman… Mon père, avant sa mort, a essayé de pratiquer le bouddhisme, mais il n’a pas eu autant de chance que moi ; je suis devenu moine à l’âge de seize ans. Et je suis allé très loin dans le chemin de la pratique, et je le fais pour mon papa aussi. Une fois, dans la méditation assise, j’ai dit à mon papa : « Papa, on a réussi ! ». Donc, quand vous faites une inspiration et vous sentez le bonheur et la paix, vous le faites aussi pour votre papa et votre maman. Quand vous faites un pas en paix, un pas avec solidité, avec liberté, avec joie, alors vous le faites pour votre maman aussi ; peut-être maman n’a pas eu l’occasion de faire des pas comme cela dans la détente pour entrer en contact avec les merveilles de la terre, du ciel, comme on l’a fait ce matin ; et maintenant on marche pour maman, on marche pour papa, on marche pour tous nos ancêtres. Imaginez, visualisez que des milliards de pieds se posent sur le sol en même temps que vous posez votre pied ; vous pouvez très bien visualiser cela. Quand vous touchez la terre avec votre pied dans la Pleine Conscience, dans la joie, tous vos ancêtres font la même chose en même temps ; c’est très gentil de votre part de permettre à vos ancêtres de marcher comme cela. Et quand je marche, je vois que ce n’est pas moi qui marche seul, c’est toute une lignée d’ancêtres qui marchent ; et la transformation, ce n’est pas pour moi seul, la transformation c’est pour tous mes ancêtres. Si vous avez eu le temps de faire des recherches sur vos ancêtres, vous verrez que ce travail-là peut vous aider beaucoup. Des générations d’ancêtres ont travaillé, ont combattu, ont pu franchir beaucoup d’obstacles pour pouvoir s’établir dans cette vie ; ils ont eu beaucoup d’expériences, ils sont déjà passés par beaucoup d’épreuves, beaucoup de souffrance, beaucoup de dureté ; et ces expériences-là, cette détermination-là sont encore en vous dans chaque cellule, dans chaque gène contenu dans votre corps. Alors vous pouvez leurs parler : « Chers ancêtres, je sais que dans le passé vous avez beaucoup souffert, vous avez beaucoup réussi aussi; et je suis très fier de vous ; à présent votre sagesse est en moi, votre courage est en moi, et je n’ai pas peur ». Ainsi, avec vos ancêtres en vous, vous devenez plus forts, vous avez beaucoup plus de confiance en vous. Vous n’êtes pas quelque chose d’isolé, vous êtes toute une lignée d’ancêtres ; vous êtes forts, vous êtes muni de beaucoup d’expérience et de volonté. Alors, il n’y a pas de raison d’avoir peur ; si mes ancêtres sont parvenus à faire cela, moi aussi, au nom de mes ancêtres, je vais pouvoir surmonter les difficultés qui apparaissent sur mon chemin. Alors, l’inter-être c’est aussi le non-soi.

Le non-soi

Le non-soi c’est un enseignement formidable offert par le Bouddha. Le non-soi c’est ça ; le non-soi ça ne veut pas dire que vous n’êtes pas là ; le non-soi dit que vous n’êtes pas là comme entité séparée, mais vous êtes là comme une merveille dans le sens de l’inter-être. Vous êtes vous-même bien sûr, mais vous êtes aussi vos ancêtres et vos enfants. Alors avec cette confiance, on est plus fort ; on sait qu’en cultivant les vertus de nos ancêtres, on va pouvoir surmonter toutes les difficultés qui se dressent sur notre chemin. Qu’est-ce que c’est que la sagesse ? C’est une vue juste. La vue juste, c’est la vue de l’inter être ; on n’est pas seul, on n’est pas isolé. Et on doit agir en inter-être. On inter est avec les chrétiens, on inter est avec les bouddhistes. Nous sommes une famille, et le bonheur de l’un concerne le bonheur de l’autre ; alors il faut agir dans l’esprit de l’inter être. Inter-être, c’est un mot nouveau ; mais pas tellement nouveau, ça existe dans la littérature bouddhiste ; j’espère que nous aurons bientôt ce mot dans le dictionnaire français. Être, c’est vraiment inter être ; on ne peut jamais être par soi-même ; on ne peut qu’ inter être avec les autres. Et sur cette base, sur cette sagesse, on peut éviter les paroles et les actes qui séparent, qui détruisent, qui causent de la souffrance. L’inter être, c’est la vision profonde ; et avec la pratique de la méditation, la pratique du regard profond, on va pouvoir découvrir l’inter être. Avec l’inter-être, on peut produire des pensées justes. Une pensée juste est une pensée qui va de pair avec l’esprit de l’inter être. Il n’y a pas de séparation ; sa souffrance c’est la mienne, son bonheur c’est le mien. Une pensée juste c’est une pensée qui va de pair avec la compassion, avec la compréhension. Et chacun de nous peut toujours produire une telle pensée, une pensée qui est digne de nous, qui est digne de nos ancêtres, une pensée qui va de pair avec la compréhension et l’amour, la compassion. Et vous savez, chaque fois qu’on produit une pensée juste, une pensée de compassion et de compréhension, cette pensée commence à nous guérir, à nous nourrir ; et ça va avoir un effet positif sur notre santé physique et morale. La juste pensée, la pensée juste, ça guérit et ça nourrit. Et vous savez très bien que vous avez cette capacité de produire une pensée juste, une pensée qui va de pair avec l’amour, le pardon et la compréhension. Et cette pensée va tout d’abord vous donner de la santé physique et mentale. Croyez-moi, j’ai pratiqué : une pensée juste c’est très guérissant, très nourrissant pour vous-même, et ça guérit et nourrit le monde après cela. Et chaque jour on doit avoir l’occasion de produire des pensées comme ça, des pensées justes ; ça ne coûte rien. Si on a le temps de regarder en profondeur, et si on touche la nature, la vérité de l’inter être, alors on peut très facilement produire des pensées justes, des pensées de compassion et de compréhension qui vont nous changer et changer le monde. Et avec la sagesse de l’inter être, on peut produire des paroles justes, des paroles qui vont de pair avec la compassion, le pardon et la compréhension. Une parole juste peut inspirer de l’espérance, de l’espoir, de la joie dans une autre personne ; ça ne coûte rien ; mais il faut du temps, du temps pour pouvoir aimer, pour pouvoir regarder en profondeur. Avec cette capacité d’être concentré, de regarder en profondeur, on va pouvoir comprendre, et on va pouvoir produire naturellement une parole juste, une parole aimante, une parole qui va de pair avec la compassion, le pardon, la réconciliation, la compréhension ; et vous savez très bien, chers amis, que vous êtes capables de produire une telle parole ; n’attendez pas demain pour le faire ; il faut le faire aujourd’hui, directement ou avec votre portable (Rires…).

Avec la sagesse de l’inter-être, on peut produire de l’action juste, l’action qui peut protéger, qui peut aider, qui peut soutenir ; et vous savez que vous êtes aussi capables de faire cela, une action juste recommandée par le Bouddha : la pensée juste, la parole juste et l’action juste. Je vous ai dit déjà que dans la méditation quotidienne, les moines et les moniales récitent cette phrase :  » Quand je meure, je ne peux rien apporter avec moi sauf mon karma, le fruit de mon karma « . Mais qu’est-ce que c’est que le karma ? Le karma, c’est la pensée, c’est la parole, c’est l’action ; une fois produits, cette pensée continue à voyager dans le monde ; une fois produite, cette parole continue à voyager dans le monde, c’est votre propre continuation. Si vous parlez d’une vie prochaine, ce sont des actes, des paroles et des pensées que nous produisons aujourd’hui, mais pas exactement prochaines, c’est parce que ces énergies que nous produisons peuvent déjà avoir un effet sur notre corps, notre esprit et le monde, on n’a pas à attendre la décomposition de ce corps. La vie future est déjà là, le futur est déjà là.

Jean-Paul Sartre a dit ceci (c’est un philosophe français) : « L’homme est la somme de ses actes ». C’est une pensée très proche du bouddhisme. Ses actes c’est le karma ; c’est parce que le mot karma, ça veut dire « acte » ; mais l’acte dans le bouddhisme est vu en trois termes : pensée, parole et action. La pensée c’est une action ; la parole c’est une action ; et le geste c’est une action aussi. On veut continuer en beauté, et pour assurer une belle continuation, on doit faire attention à la pensée, à la parole et aux actions que nous produisons chaque jour. Un oranger produit des feuilles, des fleurs d’oranger et des oranges. Nous, êtres humains, nous produisons les pensées, les paroles et les actes ; et la pratique consiste à produire seulement des belles paroles, des paroles justes, des idées, des pensées justes, et des actions justes. Et pour pouvoir assurer une belle continuation, on doit y penser chaque jour : on ne produit que les pensées justes, on ne produit que les paroles justes, et on ne produit que l’action juste.

Le non être

Il y a parmi nous ceux ou celles qui ont peur du non être. Aujourd’hui on est quelqu’un, mais plus on ne sera plus personne. On pense à sa propre mort. Si nous avons du temps pour regarder en profondeur, pour faire la méditation, on verra que la naissance et la mort, ce sont des idées, des concepts qui ne s’appliquent pas vraiment à la réalité ; et quand on pratique bien, on a une chance de toucher notre nature propre et on perd cette sorte de peur, la peur du non être. Regardons par exemple un nuage qui flotte dans le ciel… Est-ce qu’un nuage peut mourir ? Est-ce qu’on peut parler de la mort d’un nuage ? La mort… Qu’est-ce que ce que c’est que la mort ? De quelque chose on devient rien, de quelqu’un on ne devient personne ; c’est notre idée de la mort ; mais ça ne s’applique pas à un nuage. Pour ceux ou celles qui pratiquent le regard profond, on sait qu’il est impossible pour un nuage de mourir, de devenir le néant. Un nuage peut se transformer en pluie, en grêle, en neige, mais un nuage ne peut jamais se transformer en néant. « Rien ne se crée, rien ne se perd », c’est un scientifique français qui a dit cela, c’est pas un bouddhiste. Donc, quand on regarde en profondeur le nuage, on voit que la nature véritable du nuage c’est la nature de non naissance et non mort. On se demande quelle est l’origine de ce nuage, et on peut déjà voir avant sa manifestation en forme de nuage que le nuage a été eau, chaleur…

La vague et l’eau

L’eau dans l’océan, l’eau dans les rivières, dans les lacs, et la chaleur… ainsi dans une vie antérieure, le nuage a été eau et chaleur ; et cette manifestation en forme de nuage, c’est seulement une continuation ; ce n’est pas une naissance, ce n’est pas une création. Tu n’es pas une création, tu es une manifestation ; tu peux cesser ta manifestation pour te manifester autrement, mais tu es libre de la mort, du non être. Donc, quand on regarde un nuage on voit sa nature propre, sa nature de non naissance et non mort. Si vous avez quelqu’un qui vous est cher, qui vient de décéder, il faut regarder cette personne en profondeur pour voir qu’elle n’est pas perdue, elle est encore là dans ses nouvelles manifestations. S’il arrive que vous tombiez amoureux d’un nuage, et si le nuage n’est plus là dans le ciel, ne pleurez pas… C’est parce que le nuage s’est transformé en pluie, et c’est la pluie qui vous appelle : « Chéri, chéri, je suis encore là, tu ne me vois pas ? » Alors il faut un regard profond pour pouvoir reconnaître votre bien-aimée, elle est toujours là dans ses nouvelles transformations.

Dans le bouddhisme, on préfère le terme manifestation au terme naissance, et on utilise aussi le terme continuation. La naissance c’est une continuation, la mort c’est aussi une continuation. Rien ne se perd, rien ne se crée. Quand on vient dans un centre de pratique… La pratique peut nous apporter un soulagement de notre douleur, mais le plus grand soulagement ne peut être obtenue que quand vous êtes capable de toucher votre propre nature de non naissance et de non mort. Dans le bouddhisme on appelle cela l’Ainsité ou le Nirvana. Le Nirvana ce n’est pas un endroit ; le Nirvana c’est l’absence de ces notions comme naissance, mort, commencement, fin, ceci et cela, la même chose ou une chose différente ; c’est l’absence de la venue et du départ.

Être et non être

Il y a des théologiens qui parlent de Dieu comme fondation de l’être ; moi je ne pense pas comme cela en ce qui concerne l’être et le non être ; je me demande : « si Dieu est la fondation de l’être, qui sera la fondation du non être ? » Dieu doit dépasser les deux concepts être et non être. Regardez cette boîte d’allumettes, et essayez de voir la flamme ; la flamme est cachée quelque part dans la boîte. Est-ce que la flamme existe ou n’existe pas ? Chère petite flamme, est-ce que tu es là ? Tu existes ou tu n’existes pas ? C’est la méditation… Et si vous écoutez en profondeur, vous pouvez entendre la voix de la flamme : « Cher Thây, chère Sangha, chers amis, je suis là, vous ne pouvez pas me qualifier comme non être, je suis là cachée dans mes conditions ; toutes les conditions sont favorables à ma manifestation, sauf une ; il faut me procurer cette dernière manifestation, faites quelque chose, et je vais me manifester ! » Alors on a l’impression que la flamme se cache dans la boîte, mais ce n’est pas vrai ; l’oxygène hors de la boîte est une condition nécessaire pour la manifestation de la flamme ; donc, les conditions pour cette manifestation sont un peu partout, même dans mes doigts. Alors on ne peut pas qualifier la flamme de non existante ; et quand la flamme se manifeste, on ne peut pas la qualifier comme existante ; la notion d’être et de non être ne peut pas s’appliquer à la réalité, c’est l’enseignement du Bouddha. Être ou ne pas être, c’est pas là le problème (Rires…).

La flamme s’est manifestée, et pendant cette manifestation on ne peut pas la qualifier comme être sinon on doit la détruire comme non être après. Donc, non seulement la nature propre, la nature véritable du nuage est la nature de non naissance et non mort, mais la nature de la flamme également c’est la nature de non naissance et non mort. Alors il n’y a pas de fondation pour la peur.

Quand on perd un être bien-aimé, on pose toujours cette question : « Il est venu de quelque part, il est parti quelque part ; je ne peux pas le trouver. » Essayons de poser la question à la petite flamme : « Chère petite flamme, d’où viens-tu ?… D’où viens-tu ? » Et comme on prend le temps d’écouter, on peut entendre ceci : « Cher Thây, chers amis, chère Sangha, je ne viens de nulle part ; quand les conditions sont suffisantes, je me manifeste. Cher Thây, chère Sangha, chers amis, je ne viens de nulle part ; je ne viens pas du sud, du nord, de l’est, de l’ouest; quand les conditions sont suffisantes, je me manifeste. » Et on sait que la flamme a raison, il n’y a pas de venue. Votre bien-aimé également, il est venu de nulle part ; quand les conditions sont suffisantes, il se manifeste auprès de vous, et quand les conditions ne sont plus suffisantes, il cesse sa manifestation pour se manifester autrement. Chère petite flamme, où es-tu allée ? Je ne te vois plus… Où es-tu ? Et on peut entendre ceci : « Cher Thây, chère Sangha, chers amis, je ne suis partie nulle part ; je ne suis pas partie au sud, au nord, à l’est, à l’ouest, non… Quand les conditions ne sont plus suffisantes, je cesse ma manifestation pour pouvoir me manifester autrement.  » Alors, cette fois-ci, on sait que la flamme a raison aussi. Alors, la personne qui vous est chère, elle est quelque part là ; il faut un oeil de sagesse pour pouvoir la reconnaître. Elle est toujours avec vous, beaucoup plus proche que vous ne pensez. Peut-être est-elle en vous, et vous pouvez très bien respirer pour elle, marcher pour elle, et prendre le petit déjeuner pour elle, pour lui ; c’est une chose possible avec le regard profond. Alors le Bouddha nous offre des pratiques, beaucoup de pratiques qui nous aident à atténuer notre peur, réduire notre peur, et finalement à la transformer totalement. Regardez une vague qui se dresse sur l’océan ; vous voyez, il y a un commencement, une fin, une montée, une descente. Et la vague a peur. La vague peut avoir des complexes de supériorité ou d’infériorité, parce qu’il y a d’autres vagues tout autour ; et la vague souffre à cause de ces complexes-là, de cette peur-là, mais une fois que la vague peut toucher sa propre nature, l’eau, alors elle perdra toute peur. Et il est possible pour la vague de se courber et de reconnaître qu’elle est faite d’eau ; l’eau c’est sa propre nature. On peut parler de la vague en terme de commencement, de fin, de montée et de descente, plus grande, plus petite, plus jolie, moins jolie, mais on ne peut pas parler de l’eau avec les mêmes termes. Alors toucher votre propre nature, c’est le but ultime de la méditation, et ce serait dommage si, dans cette vie, nous n’avions pas le temps de faire cela. Vous regardez en profondeur pour toucher votre nature propre de non naissance et de non mort. Une fois que la vague arrive à toucher l’eau, elle s’amuse en s’élevant, elle s’amuse en tombant ; elle rit tout le temps. Et nous pouvons faire la même chose avec notre soi-disant naissance et notre soi-disant mort. Et c’est pourquoi on a dit que le plus grand soulagement qu’on peut avoir avec la pratique, c’est seulement après avoir touché cette nature de non naissance et de non mort en soi. Et ceci est une invitation à la pratique. Je vais m’arrêter ici et je vais vous offrir la parole. Merci.

– Source : www.vipassana.fr

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