Kusen donné par le Maître zen Federico Dainin-Jôkô lors du zazen du 27 juillet 2014 au dojo de La Montagne Sans Sommet.
Les mains vides je m’en vais et mon bâton est porté par mes mains.
Je marche à pieds et j’avance sur le dos d’un bœuf.
Lorsque je traverse le pont « merveille !!! », l’eau ne s’écoule pas, mais c’est bien le pont qui s’écoule.
C’est le temps des vacances. Beaucoup de nos amis de Dharma ont déjà les orteils remplis de sable granuleux.
Certains ont déjà montré sur Facebook le bronzage du « marcel », d’autres les pique-niques entre amis. D’autres pestent contre les bouchons sur les routes pour partir en vacances qui sont insupportables, d’autres parce qu’il fait trop chaud ou parce que le temps est maussade. D’autres sont ravis, les enfants sont heureux de faire trempette, de s’abandonner aux heures qui s’écoulent dans la légèreté de l’été.
C’est le temps des vacances et c’est le temps de la lenteur, de la coupure.
C’est le temps de se voir un peu plus soi-même, c’est le temps de prendre un peu de temps. Les villes se vident, les plages se remplissent, beaucoup de bureaux sont désertés, tout le monde souhaite un peu d’insouciance, un moment de répit, le repos mérité.
Et, dans à peine quelques semaines, tous referont le voyage dans le sens inverse, les villes se repeupleront, nous reprendrons notre place au bureau et notre dojo se remplira à nouveau. Soudainement, vous aurez l’impression que vous n’avez plus le temps.
La routine reviendra, puis les jours de l’automne, les feuilles qui dansent, les longues journées de l’hiver, le froid. Noël, la course aux cadeaux, le jour de l’an, peut-être la neige et ses paysages immaculés, peut-être le goudron hivernal, emmitouflés sous quelques couches de doudounes.
Les branches sèches des arbres prépareront déjà l’éclosion du printemps, l’explosion de la beauté du monde et arriveront les beaux jours, les primevères, les narcisses, les jonquilles… Et déjà nous prévoirons à nouveau nos vacances !
Nous sommes pèlerins de ce monde et quoi que nous croyions, nous sommes sans cesse en éternel recommencement. Tous les cycles se répètent inlassablement.
Et naturellement, nous coulons comme la rivière, ou alors ce sont les cycles du temps qui coulent avec nous.
Mais, à la fin de tout cela que restera-t-il ? Et avant tout cela, qu’ y avait-il ?
D’où venez-vous, où vous en allez-vous ? Pèlerins du monde, pèlerins de l’existence, nous n’avons de cesse d’éternellement recommencer.
Tout est éternel recommencement, avant vous, pendant et après vous…
Mais, de vos pas de pèlerins sur cette terre, dans cette existence qu’est la vôtre, que restera-t-il ?
Les oiseaux vont et viennent dans le ciel, parcourant le même chemin intangible. Les poissons nagent dans les eaux suivant les vents contraires, les marées.
Et d’où vient cet homme qui ne cesse éternellement de recommencer ?
Et où s’en va-t-il ?
Ne croyez pas que votre chemin est unique et comprenez que vous ne cessez pas d’emprunter de nouveaux chemins, de recommencer votre vie à chaque instant.
C’est votre grande pauvreté et à la fois c’est votre grande richesse, votre béatitude. Quels que soient le goût de vos vacances, le parfum de ces jours d’été, vos mains seront éternellement vides. Et bienheureux êtes-vous si vos mains sont vides, car elles pourront tout recevoir. Où que vous alliez, peu importe les sentiers que vous choisirez, vos pieds seront toujours posés sur cette vaste terre.
Bienheureux êtes-vous de marcher sur cette terre, car c’est là le plus grand, le plus haut des miracles de votre existence !
Qui que vous rencontriez, quelles que soient les expériences que vous vivrez, vous ne serez face à cela qu’un vaste vide insondable, un grand « ne sait pas » et bienheureux êtes-vous d’être ce vaste vide insondable, car il contient à lui seul toutes choses sans limite !
Que vous soyez demain dans la joie ou dans la tristesse, vous ne serez que les pèlerins funambules qui ne cesseront jamais d’avancer en prenant équilibre entre : « joie et tristesse », « tristesse et joie ».
Bienheureux êtes-vous d’êtres ces funambules merveilleux, car c’est ainsi que vous réaliserez l’existence au-delà de la tristesse et au-delà de la joie ! Quelles que soient vos croyances, votre foi, vos certitudes et vos opinions, elles ne seront que vos croyances, votre foi, vos certitudes et vos opinions, celles des êtres ignorants que nous sommes !
Bienheureux êtes-vous, dans cette ignorance humble parce qu’elle peut sans cesse tout apprendre et tout réapprendre.
Quelles que soient les solitudes de votre chemin et l’abandon, voire même l’abandon de l’amour, bienheureux êtes-vous si vous savez accueillir la solitude et accepter l’abandon, car en acceptant la solitude vous rencontrerez le monde et tous les êtres ! En recevant l’abandon, vous comprendrez que ce qui compte est d’avoir aimé. Quelles que soient vos joies, vos réussites et quels que soient vos succès, ils ne seront que des éclats de réussite, de succès et de joies qui sonneront comme le vent traverse le monde.
Bienheureux êtes-vous si la joie, la réussite, le succès traversent votre vie pour s’en aller car ils laisseront la place à de nouvelles merveilles !
Mendiants de ce monde, funambules de l’existence, ceci est votre grande richesse, ne la trahissez pas, comprenez que vous êtes un éternel recommencement et que c’est votre béatitude !
Et de toutes vos pérégrinations, de tous vos voyages, de tous les pas semés de par le monde, que restera-t-il de vous ?
Que le temps des vacances vous apporte l’envie de ne rien faire, de ne rien chercher, de ne rien vouloir !
Laissez-vous porter comme l’oiseau se laisse porter en déployant les ailes par les vents, laissez-vous porter comme le poisson se laisse accompagner par la rivière !
Cet été, essayez de vivre comme des mendiants de l’existence qui avancent simplement avec un bol et un bâton, recevant ce que l’existence dépose et acceptant que l’existence reprenne ce qu’elle veut reprendre.
Avancez les mains vides et le cœur léger. Pas après pas, saisissez comme il est merveilleux que cette vie soit un éternel recommencement.
Abandonnez vos bagages, laissez vos besaces, abandonnez vos sacs à dos, tout est déjà ici, parfaitement accompli.
Votre grande pauvreté c’est toute votre richesse !