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Le bon usage des facultés

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Le bouddhisme est la religion de la sagesse. L’homme vrai porte l’épée de sagesse. La sagesse est notre unique aspiration. Notre suprême idéal est de devenir un homme vrai. Dans notre monde, on dit : « Pas de remède à la bêtise. » Le Bouddha a dit aussi : « Tu ne dois pas te lier d’amitié avec un sot. »

sawaki1.jpgVoici l’histoire d’un fils imbécile. Il était très dévoué à son père et pratiquait la piété filiale avec ferveur. Son père était chauve comme un oeuf. Un jour qu’il faisait la sieste, les mouches se montrèrent particulièrement agressives. Elles ne cessaient d’aller et venir sur son crâne dénudé – certains textes parlent même de moustiques. Le fils dévoué les chassait avec ardeur mais sans résultat, elles revenaient aussitôt. Il était exaspéré et finit par se mettre en colère. Il saisit une bille de bois, la brandit haut au-dessus de sa tête et d’un coup l’abattit sur les mouches : les mouches s’enfuirent et le crâne vola en éclats. À cet instant, le dieu des arbres entonna ce refrain : « Mieux vaut avoir un sage comme ennemi qu’un crétin comme allié. »

Lorsque l’ennemi est un sage, on s’enrichit en devinant ses intentions. Bien entendu, nous ne parlons pas ici des faux sages. Quand on se lie d’amitié avec un sot, serait-ce par pure compassion pour lui montrer ce qu’est un homme vrai, on doit s’attendre à de cruelles déconvenues.

Saisir l’épée de sagesse est d’une importance vitale, un facteur essentiel dans la chaîne de causalité. Même sans argent et sans grade, faire briller l’épée de sagesse sans que la moindre particule de mensonge ou d’erreur ne vienne la ternir doit être l’unique aspiration de tout être humain.

L’espèce humaine se distingue par son intelligence et son adresse manuelle, grâce à quoi l’homme construit toutes sortes de machines. Il a aussi une propension à se quereller et il use du langage avec habileté. Bref, l’homme est doué de toutes sortes de talents. Malheureusement, il s’avère que, chez les humains, rares sont les individus qui font bon usage de leurs facultés.

La morale dit qu’il ne faut pas faire mauvais usage de ses dons, je dirais, moi, qu’il faut faire tout son possible pour déployer au mieux ses talents. Un escroc fait mauvais usage de ses dons. Un usurier aussi. Un type qui a trois résidences secondaires et entretient plusieurs maîtresses aussi. Chacun, dans son genre, est un exemple de talent mal employé. À commencer par moi-même, quand je me regarde de près, je m’aperçois que je suis un piètre utilisateur. Les parcours sans faute sont extrêmement rares.

Faire valoir au mieux ses capacités, c’est s’identifier au Bouddha ou à Dieu. Je dirais qu’il faut avant tout se connaître à fond, puis déployer le meilleur de soi-même en tranchant les passions qui nous induisent à faire mauvais usage de nous-mêmes. Ainsi, nous nous dressons sur notre propre sommet, cime éblouissante de lumière qui contient l’univers entier, et nous brandissons la lame acérée de la sagesse. Autrement dit, saisir l’épée de sagesse, c’est porter les capacités humaines à leur valeur optimale.

Celui qui atteint ce point ultime de lui-même où le ciel et la terre ont la même racine, où il est un avec toute chose et l’univers entier, cet homme a la capacité de venir en aide aux autres. Même s’il n’a pas le monopole de Shakyamuni, il n’en est pas moins bouddha : « Êtres animés et inanimés deviennent la Voie, herbes, arbres, pays et terres, tout sans exception devient Bouddha. »

Je me suis longuement attardé sur cette seule phrase : le grand homme saisit l’épée de sagesse – parce qu’elle est fondamentale. Quant à l’épée, à la pointe de prajna et flamme adamantine elle a la dureté et l’éclat du diamant, qui est le symbole de l’indestructibilité. Soyons donc rassurés, l’épée de sagesse est solide : sa pointe ne plie pas et sa flamme ne s’éteint pas. La pointe acérée, c’est l’homme qui, dressé à son plus haut degré, utilise au mieux ses capacités. À ce moment-là, il tient en main une flamme de diamant.

Il est regrettable que certaines personnes passent leur temps à coudre des vêtements pour les enfants morts, à fabriquer des masques mortuaires ou encore à construire des tombes comme résidences secondaires alors que la vie frétille devant soi ! En saisissant l’épée de sagesse à la pointe de prajna et flamme adamantine, on saisit la vie toute fraîche, la vie authentique, la vie « argent comptant » – ici et maintenant.

(1) le grand homme : jap. daijobu ; chin. ta-chang-fu ; skt. mahapurusa : cette expression est un surnom donné à ceux qui se sont éveillés à la nature de bouddha. Ét. Lamotte, dans L’Enseignement de Vimalakirti, la traduit par « grand homme ». A.L. Colas, dans Poèmes du zen des Cinq-montagnes, cite Jakushitsu Genko (1390-1367) : « La pratique de zazen est l’affaire de gens solides (daijobu). Ce n’est pas à la portée des tempéraments faibles ou douillets… » Il remarque que « grand homme » peut prêter à confusion. Daijobu est un être sain d’esprit, moralement costaud, sachant s’affranchir des maladies passionnelles contractées par l’intellect et l’affectivité de l’homme ordinaire.




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