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Interview de Sa Sainteté Sakya Trizin

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Comme beaucoup d’entre vous le savent déjà, Sa Sainteté Sakya Trizin est le chef de l’école Sakyapa du bouddhisme tibétain, voyageant de par le monde pour dispenser sans relâche les enseignements du Bouddha et les plus hautes initiations provenant du Palais des Sakyas. Sa Sainteté a eu la bonté de répondre à des questions d’ordre général sur le bouddhisme.

En ce début du mois de juin, les organisatrices de la venue de Sa Sainteté à Paris, les 28 et 29 juin 2014, vous proposent les réponses de Sa Sainteté sur les points suivants :

     1. QUESTIONS D’ORDRE GENERAL

     2. LES 4 OBJETS D’ATTENTION

          – La difficulté d’obtenir un corps humain,

          – L’Impermanence,

          – Les souffrances du samsara,

          – La loi du karma ou de cause et d’effet.

     3. LA PRISE DE REFUGE DANS LES TROIS JOYAUX

     4. LA VÉRITABLE COMPASSION

     5. LES CINQ DHYANIS BOUDDHAS



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1. QUESTIONS D’ORDRE GENERAL

Sakya Kunga Ling – « Votre Sainteté, pourquoi devons-nous pratiquer les enseignements Bouddhistes ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « J’aimerais répondre à votre question en expliquant quelles sont les trois sortes de gens qui pratiquent le Bouddhisme. D’une façon générale, du plus petit insecte jusqu’à l’être humain, intelligent, il y a un accord unanime : tous veulent le bonheur et tous veulent éviter la souffrance. La majorité des êtres humains ne comprennent pas quelle est la cause de la souffrance, ni quelle est la cause du bonheur, mais dans les enseignements du Bouddhisme et dans leur mise en pratique, vous trouverez les réponses à ces questions. »

Sakya Kunga Ling – « Quelles sont les causes de la souffrance et du bonheur ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « Dans le Ratnavali de Nagarjuna, il est dit : « Toute action provenant du désir, de l’aversion et de l’ignorance crée de la souffrance ; toute action s’élevant des contraires du désir, de l’aversion et de l’ignorance crée du bonheur. » Or il y a trois catégories d’êtres humains. Comme tous les autres êtres, ceux de la première catégorie veulent le bonheur, et ne veulent ni la souffrance ni la réincarnation dans les domaines d’existence inférieure. Ils pratiquent le bouddhisme pour créer les causes de réincarnation dans le domaine humain et dans les domaines célestes des dieux. Ils n’ont ni le pouvoir, ni le courage d’abandonner complètement le Samsara. Ces personnes désirent seulement profiter des meilleurs aspects du Samsara, tout en voulant éviter les pires aspects. C’est pourquoi elles pratiquent la religion bouddhiste : dans le but d’obtenir une naissance plus élevée.

La personne de la deuxième catégorie réalise que le Samsara dans son entier, quelle que soit la naissance obtenue, est par nature souffrance, de même que le feu est chaud par nature. Cette personne veut complètement sortir du Samsara et atteindre le Nirvana, qui est l’état entièrement hors de la souffrance.

Mais le type de personne le plus élevé réalise que, de même que tout comme elle ne veut pas souffrir et aspire au bonheur, les autres êtres pensants ont la même aspiration. Ces personnes savent que, puisque nous sommes nés d’innombrables fois dans le Samsara, il n’est pas un seul être qui n’ait été notre mère à un moment ou à un autre. Puisque nous sommes de ce fait si proches de tous les êtres, la personne du type élevé pratique le Bouddhisme dans le but de libérer tous ces êtres innombrables de la souffrance. »

2. LES 4 OBJETS D’ATTENTION

Sakya Kunga Ling – « Comment arriver à cette compréhension la plus élevée ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « Au commencement de toute pratique Bouddhiste viennent deux choses très importantes ; la méditation sur les 4 objets d’attention et la prise du Refuge.

Les 4 objets d’attention sont :

     – La difficulté d’obtenir une naissance humaine

     – L’impermanence de toutes choses du Samsara

     – Les souffrances du Samsara

     – La loi du karma ou de cause et d’effet

1°) La difficulté d’obtenir un corps humain

Nous pensons qu’il y a une grande quantité d’êtres humains, mais si nous comparons notre nombre à celui des autres créatures nous réalisons combien nous sommes peu nombreux. Par exemple, dans chacun de nos propres corps, il y a des millions de germes, microbes, virus, etc.… Autrement dit, statistiquement, nos chances d’obtenir une vie humaine sont très maigres.

Et, de toute façon, il y a de nombreux lieux de réincarnation qui ne sont pas propices pour un être humain, car il ne pourra pas y rencontrer l’enseignement du Bouddha.

– Il y a 8 lieux de naissances défavorables :

Les domaines de l’enfer,

     – Le domaine des animaux,

     – L’état d’ignorant,

     – Naître dans un état plein de vues erronées et doutes,

     – Certains domaines célestes,

     – Le domaine des muets.

De plus, même si nous obtenons une naissance humaine, il y a 10 conditions nécessaires pour la pratique :

– 5 conditions personnelles :

     – Naissance humaine,

     – Naissance dans un pays où le Bouddhisme est connu,

     – Possession de tous les organes des sens,

     – Foi envers les Refuges,

     – Rectitude des actes en accord avec le Dharma.

– 5 conditions générales :

     – Venue d’un Bouddha,

     – Prédication du Dharma,

     – Que la Doctrine dure,

     – Qu’il existe des pratiquants bouddhistes,

     – Qu’il existe des gens dévoués aux autres.

La difficulté d’obtenir une naissance humaine est expliquée à partir d’autres arguments. La cause de la naissance humaine est l’accomplissement d’actes vertueux et l’observance d’une conduite morale correcte. Or comme très peu de gens pratiquent tout cela, la naissance humaine est rare déjà par sa cause. Par nature, il est beaucoup plus probable de naître dans un autre domaine que celui des êtres humains.

La difficulté est illustrée par cet exemple : imaginez une tortue aveugle vivant dans l’océan. Sur la surface de l’océan flotte un joug. La tortue monte à la surface une fois seulement par siècle. Pourtant elle a de plus grandes chances de passer son cou dans le joug que nous en avons d’être réincarnés sous forme humaine.

2°) L’impermanence

Le Bouddha a dit :
« Les 3 domaines de l’existence – royaume céleste des dieux, terrestre des êtres humains et des animaux, souterrain des êtres des enfers – sont comparables aux nuages d’automne ; la naissance et la mort des êtres sont semblables au mouvement d’un danseur ; la vie d’un être est comme une chute d’eau, comme un coup d’éclair dans le ciel ; elle ne s’arrête jamais un seul instant et, une fois commencée, elle va inévitablement jusqu’à sa conclusion. »

Tout est changement continuel : à l’extérieur, les saisons changent, le printemps cède la place à l’été, l’automne, l’hiver. Les enfants grandissent jusqu’à l’age adulte, les adultes deviennent vieux, les cheveux passent du noir au blanc, la peau se fane, et la vie s’en va.

N’est-ce pas ainsi ? Tout change continuellement. Il n’y a pas un seul endroit où l’on puisse échapper à l’impermanence. Puisque tout change sans cesse, l’on ne sait jamais quand la fin va venir. On peut être en parfaite santé aujourd’hui et pourtant mourir demain. De la mort nous savons deux choses : il est sûr qu’elle viendra ; quand, nous n’en avons pas la moindre idée. Elle peut venir à tout moment, et il y a quantité de choses, internes et externes, qui peuvent la provoquer. Donc si vous voulez pratiquer le Bouddhisme, vous devez réaliser qu’il est nécessaire de commencer immédiatement. Vous ne pouvez jamais être sûr d’un lendemain pour vos actions. »

Sakya Kunga Ling – « En quoi cela nous aide-t-il ? La pratique du Bouddhisme ne nous rendra pas moins impermanents ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « Cela ne nous rendra pas plus permanents, mais cela nous donnera la certitude que, dans nos vies à venir, nous aurons moins de souffrance. La pratique du Dharma ou religion, revient en bref à éviter les actions non-vertueuses et à accomplir des actions vertueuses. Quand vous vous conduisez de cette façon, il est évident que vous serez plus heureux dans l’avenir. »

Sakya Kunga Ling – « Cela veut-il dire que, parce que nous attendons moins de cette vie, nous allons aussi moins souffrir ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « Oui, cela également, mais ce qui est plus important, c’est que la pensée de l’impermanence nous touche et nous conduise à pratiquer le Dharma plus vite. La pensée de l’impermanence nous aide à accélérer notre cheminement. »

3°) Les souffrances du Samsara

Sakya Kunga Ling – « Quels sont les 6 domaines et leurs souffrances ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « Comme je vous l’ai dit, quelle que soit votre position dans le Samsara, vous êtres en plein dans la souffrance.

La souffrance est de 3 sortes :

     – La « souffrance de la souffrance »,

     – La « souffrance du changement »,

     – La « souffrance des états conditionnés ».

La « souffrance de la souffrance » c’est par exemple d’avoir mal à la tête, une souffrance que tout le monde accepte et reconnaît comme telle. Ensuite, la « souffrance du changement » est la souffrance ressentie lors de la perception du changement. Vous êtes avec des amis aujourd’hui, mais vous devez vous séparer. Quand vous continuez, vous rencontrez des personnes hostiles. Rien ne demeure constant, et, voyant cela, nous éprouvons la souffrance du changement. La « souffrance des états conditionnés » signifie que toute activité dans ce monde est insatisfaisante, que nous ne pouvons jamais vraiment achever quoi que ce soit. Nous faisons bien sûr des quantités de choses dans ce monde, mais nous ne sommes jamais réellement satisfaits. Il y a toujours plus de choses à faire que nous ne le pouvons, et cette frustration est souffrance.

4°) La Loi du karma ou loi de cause et d’effet

Selon l’enseignement Bouddhiste, tout ce que nous avons à présent et tout ce que nous faisons, ont leur cause dans le passé. En fait, on dit même que si vous voulez savoir ce que vous avez fait dans le passé, vous n’avez qu’à regarder votre situation présente ; que vous soyez pauvre ou riche, laid ou beau, c’est le résultat d’actions passées. Si vous voulez connaître le futur, examinez vos actions présentes, car le futur, qu’il soit heureux ou non, dépend de ce que vous faites aujourd’hui. Tout ce que nous faisons aujourd’hui produit un résultat dans l’avenir. Si la racine d’un arbre est médicinale, les fleurs, les feuilles, l’écorce, tout ce qui pousse sous cet arbre sera médicinal, et de même une action qui se développe à partir du contraire du désir, de l’aversion et de l’ignorance, produira le bonheur. Si la racine de l’arbre est vénéneuse, tout ce qui poussera sur l’arbre sera poison, de même que les actions du désir, de l’aversion et de l’ignorance produiront la souffrance. »

Sakya Kunga Ling – « Existe-t-il une pratique basée sur la loi du karma ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « La loi de cause et d’effet, le karma, est l’un des principaux enseignements du Bouddhisme. Cela signifie que vous devriez toujours pratiquer des actions vertueuses, puisque les actions non-vertueuses engendreront toujours la souffrance dans cette vie aussi bien que dans les vies futures. Si vous ne voulez pas la souffrance, vous devriez éviter ses causes. S’il n’y a pas de cause, il n’y a pas de fruit. Si vous voulez le bonheur, de même que si vous voulez que l’arbre pousse, vous devez prendre soin de sa racine. Si la racine est défectueuse, l’arbre ne poussera pas.

3. LA PRISE DE REFUGE DANS LES TROIS JOYAUX

Le Triple Joyau comprend :

     – Le Bouddha qui est le guide,

     – Le Dharma, ou l’enseignement, qui est notre cheminement personnel,

     – Le Sangha qui représente nos compagnons spirituels.

Cependant, le Refuge final est seulement le Bouddha.

Le Dharma, ou enseignement, est en deux parties : l’enseignement et la réalisation.

L’enseignement est « les trois corbeilles », le Tripitaka, mais cela est comparable au bateau que vous utilisez pour traverser une rivière : quand vous atteignez l’autre rive, vous l’abandonnez simplement derrière vous.

La Réalisation est les trois entraînements :

     – L’entraînement dans la discipline morale,

     – L’entraînement dans la sagesse,

     – L’entraînement dans le samadhi.

Quant au Sangha, même ses membres les plus éminents sont encore sur le chemin et donc ne peuvent constituer un Refuge final.

Ainsi, en réalité, le Refuge est dans le Bouddha seul, mais nous prenons toujours Refuge dans le Bouddha, le Dharma est le Sangha.

4. LA VERITABLE COMPASSION

La compassion est en trois phases :

     – Le souhait que les êtres se détachent de la souffrance,

     – Le souhait que la cause de la souffrance soit supprimée,

     – Le souhait que tous les êtres se détachent de la souffrance en comprenant la vraie nature de toutes choses.

La pratique de la Compassion nécessite clairement une compréhension de la cause de la souffrance. »

Sakya Kunga Ling – « La méditation ayant pour but de provoquer la Compassion est une méditation sur la bonté de notre mère. Que faire si notre mère était sans bonté aucune ? »

Sa Sainteté Sakya Trizin – « On peut considérer que toute mère a de la bonté. Le fait qu’elle vous ait donné un corps humain est un grand bienfait. C’est assez pour que vous la considériez pleine de bonté. Si cela vous est difficile, essayez en toutes circonstances de penser à ses actions bienfaisantes et à ses bonnes qualités jusqu’à ce que le sentiment d’amour se soulève en vous.

5. LES CINQ DHYANIS BOUDDHAS

Selon la tradition SAKYA, les cinq Dhyanis Bouddhas sont tous à l’image du Bouddha SAKYAMUNI. Chacun des cinq types représentés par les cinq Bouddhas a des qualités spécifiques, mais chacun est aussi apparenté aux cinq défauts les plus communs dont nous sommes affligés :

     – AKSHOBHYA – (bleu) – est relié à la colère.

     – VAIROCANA – (blanc) – est relié à l’ignorance.

     – RATNASAMBHAVA – (jaune) – est relié à l’orgueil et à l’avarice.

     – AMITHABA – (rouge) – est relié à la passion et au désir.

     – AMOGHASIDDHI – (vert) – est relié à l’envie. »

Sa Sainteté Sakya Trizin indique : « Ces couleurs sont clairement en rapport avec les erreurs correspondantes : en anglais, on dit : « vert de jalousie », on associe la passion à la couleur rouge et la colère à la couleur bleu foncé.

Il est possible d’observer clairement ces caractéristiques des cinq types chez les différents individus : quelqu’un qui est de peau foncée, qui a éventuellement une marque sur le corps ressemblant à un Vajra et qui est souvent en colère est de la Race Akshobhya (le Vajra est le Signe d’Akshobhya).

Comme il y a un lien entre cause et effet, cette personne réussira particulièrement bien et plus facilement si elle pratique la Voie qui se rapporte à Akshobhya. Voyez-vous, le Bouddha Akshobhya représente la transformation complète de la colère. Dans le Mantrayana, on considère que la colère ou la sensualité excessive ne sont pas des défauts, mais des choses à purifier. Il s’agit de purifier les énergies que nous engageons dans tel défaut, et ce faisant, d’atteindre à l’un des cinq Bouddhas, chacun étant caractérisé par une forme de Sagesse. Ceci est une raison supplémentaire pour appeler le Mantrayana le Yana du Résultat. Dans l’Absolu, il n’y a pas d’impureté, bien sûr. Les impuretés apparaissent parce que nous n’avons pas réalisé la Vérité, parce que nous continuons à penser en termes de sujet et d’objet. C’est pourquoi on peut dire que les impuretés, elles aussi, proviennent d’une vision erronée. »

Dans nos prochains articles, vous pourrez retrouver de nouveaux extraits des magnifiques paroles et explications de Sa sainteté SAKYA TRIZIN, ainsi que de nouveaux articles sur leurs deux Eminences, les fils de Sa sainteté, SE RATNA VAJRA Rinpoché et SE GYANA VAJRA Rinpoché.

Pour Sakya Kunga Ling, Paris

Pour le Bureau, Catherine D.





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