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Lama Thubten Yeshe — Tourner la Roue

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LAMA THUBTEN YESHE : TOURNER LA ROUE[1]


Lama_Thubten_Yeshe.jpgCeci nous amène au moment de la vie du Bouddha où celui-ci est prêt à commencer l’enseignement aux autres, du chemin spirituel

Le Bouddha Sakyamuni réalisa ensuite l’action suprême d’une créature illuminée.

Il commença à donner les enseignements et les instructions spirituelles qui libèrent les créatures sensibles de leurs souffrances et des insatisfactions et qui les conduisent à la plus haute perfection de l’esprit : l’Illumination, l’Eveil. Cette action est habituellement connue sous l’expression « tourner la Roue du Dharma » ; et le Bouddha l’a réalisé sous différentes formes pendant les 45 années qui lui restèrent à vivre.

Quiconque se démène pour atteindre la Bouddhéité, le fait expressément afin d’être bénéfique aux autres – et premièrement à travers des enseignements donnés-. Sakyamuni, lui, après avoir atteint I’Illumination, n’a pas commencé à enseigner immédiatement . En se retenant d’abord, il a montré que les parfaites réalisations de l’illumination ne sont pas quelque chose que l’esprit humain ordinaire, superficiel, peut saisir facilement. Sa découverte était au-delà de la conception normale des choses et des mots, au-delà de l’expression ou de la description. Il savait combien il serait difficile pour les autres de comprendre sa réalisation et donc il resta silencieux. Mais après sept semaines en forêt à jouir seul des bienfaits de l’Illumination, il lui fût demandé d’enseigner pour le bien des autres et il accepta.

L’hésitation du Bouddha à enseigner jusqu’à ce que l’on le lui réclama sincèrement, souligne une caractéristique importante de son enseignement. Ceux-ci ne forcent jamais les autres contre leur volonté : « tenez, voilà des enseignements fantastiques. Pourquoi ne venez-vous pas vous joindre à nous ? »Non, et de la même façon, il n’a envoyé aucun disciple dans les rues afin de convaincre les gens de leur misère et d’offrir le salut à ceux qui voudraient bien venir se joindre à eux. Non, les enseignements du Bouddha ne furent jamais présentés ainsi et les traditions tibétaines font en sorte d’attendre que quelqu’un le demande avant de recevoir les enseignements.

Pourquoi instruit-on les bouddhistes expressément à ne pas faire passer en force leurs croyances auprès des autres ou à déclarer : « j’ai découvert le meilleur chemin de vie et si vous ne le suivez pas, vous êtes perdus. » Selon les enseignements du Bouddha, cette approche est à la fois grossière et irréaliste. Lorsque quelqu’un fait une expérience profonde, qu’elle soit désastreuse ou fantastique, celle-ci est complètement unique et personnelle. Et il serait fou de penser que sa relation puisse être tout aussi significative pour quelqu’un d’autre.

Même si vous dîtes à votre meilleur ami, ce que vous avez découvert, il est pourtant impossible de lui faire passer l’essence véritable de votre expérience. Puisque ce que nous disons est nécessairement exprimé à travers des mots et des concepts, même un très bon ami ne pourra probablement pas saisir la nature de ce que nous ressentons. La communication dans le domaine spirituel est très difficile.

Cela montre que nous vivons tous des vies assez différentes les unes des autres. Nous pouvons partager des systèmes de perception et de comportement similaires, mais nos expériences intérieures sont uniques, hautement individuelles. Nous vivons chacun, chacune dans l’univers privé de notre propre esprit. En conséquence, tout effort pour faire passer en force nos convictions spirituelles auprès des autres ou pour partager nos expériences dévotionnelles- si elles sont authentiques, celles-ci sont toujours d’une nature intensément personnelles- est une mauvaise interprétation et peut aisément se terminer en frustration et en incompréhension.

Le Bouddha a montré qu’il existe des moments appropriés et d’autres inappropriés pour enseigner. Il a toujours attendu jusqu’à ce qu’on lui demande sincèrement d’instruire. Il savait que l’acte même de prendre la décision formelle de chercher de l’aide et ensuite de la demander, crée une énergie à l’intérieur de ceux et celles qui recherchent la vérité, énergie qui les prépare à une écoute intensive, pas seulement avec leurs oreilles, mais également avec leur cœur. Cela constitue une approche bien plus efficace que celle d’enseigner des étudiants(es) qui ne sont pas prêts. En d’autres termes, les étudiants ont besoin d’espace. Si on ne leur donne pas la chance de créer eux-mêmes, cet espace à l’intérieur d’eux-mêmes, si ils ne sont pas préparés à rencontrer l’enseignant à moitié-chemin en s’ouvrant eux-mêmes à la réception des instruction spirituelles qui constitue l’essence de l’enseignement, rien n’entrera jamais dans leur esprit.

Ceci constitue la psychologie adéquate propre à l’Illumination. Nous pouvons même peut-être dire sa politique. Le Bouddha comprend la façon de pensée des êtres et peut prendre la mesure de leurs esprits superstitieux. Il peut ajuster son approche spontanément en fonction de leurs limites et en être sûr avant de leur montrer leur chemin individuel.

Sa vision non-obscurcie, pure, embrasse tous les phénomènes, incluant les fonctionnements les plus subtils de notre esprit et il peut alors nous enseigner en conséquence.

Lorsque une créature illuminée enseigne véritablement, la force de ses réalisations confère un pouvoir spécial à tout ce qu’elle dit ou fait. Même un mot, un seul mot de son discours illuminé peut satisfaire les besoins d’êtres différents. Les gens ordinaires sont limités par le pouvoir des mots qu’ils emploient ; leur discours peut rarement apporter un sens de plénitude. Mais le discours d’un être illuminé est différent. Quelque soit le sujet, chaque auditeur reçoit exactement ce dont il a besoin.

D’ordinaire, si nous sentons qu’une personne parle bien, nous pouvons la louer en disant : « quelle belle conférence il a donnée ». Mais d’un point de vue bouddhiste, le véritable pouvoir du discours ne réside pas dans le discours lui-même. Derrière les mots, dans l’esprit du conférencier, doit exister l’expérience vivante de la sagesse lumineuse, pénétrante. Cette sagesse donne au discours d’un Bouddha, son pouvoir. Un tel pouvoir n’a rien à voir avec l’éloquence d’une personne ordinaire. C’est seulement une question de réalisation intérieure.

Un Bouddha est un être dont les réalisations sont complètes, son discours a donc le pouvoir de toucher chaque auditeur profondément et de façon pénétrante. Non seulement cela, mais un être illuminé peut atteindre à la compréhension sans avoir à utiliser un seul mot.

Les premiers enseignements formels du Bouddha Sakyamuni après son illumination, furent donnés dans le Parc des Daims à Sarnath. Ces enseignements furent délivrés aux cinq méditants qui l’avaient suivi pendant ses six années de pratiques ascétiques, mais qui l’avaient abandonné lorsqu’il renonça à sa stricte discipline d’auto mortification.

Le sujet de ce premier Tour de Roue du Dharma était les Quatre Nobles Vérités. Les deux premières révèlent l’existence de la souffrance et de l’insatisfaction dans nos vies et nous montre que la source de tous les problèmes est à trouver dans l’attachement dévorant de notre esprit, qu’il soit direct envers les objets des sens ou perverti dans un reniement de soi extrême. Les deux dernières décrivent l’état de complète cessation de toute souffrance et le chemin intermédiaire libre de tous les extrêmes qui conduit à cette parfaite cessation.

Le Second Tour de Roue du Dharma commença dans le Parc des Vautours en dehors de Rajagriha, pas très loin de Bodh Gaya et avait trait à la véritable nature de la réalité. Ces discours sur la perfection de la sagesse proposent la vue profonde de la vacuité, la shunyata dans le contexte du chemin de vie d’un bodhisattva. Ces enseignements sur l’absence d’existence inhérente des phénomènes, vides d’existence propre, substantielle, beaucoup plus subtils que ceux du Premier Tour de Roue, sont destinés à des disciples de plus grande intelligence et motivation.

Après ces deux premiers Tours de Roue, il devenait nécessaire de clarifier les apparentes contradictions. En enseignant les Quatre Nobles Vérités, le Bouddha présentait le chemin de base qui conduit de la souffrance à la libération. Il a donc souligné dans ces enseignements, la nature fonctionnelle des phénomènes. Il a décrit en détails, le fonctionnement de l’esprit, comment il nous enchaîne à une insatisfaction chronique et comment en nous entraînant convenablement, nous libérer de cette situation. Pendant le Premier Tour de Roue, le Bouddha a parlé de l’esprit ou conscience comme si c’était une entité réelle. Cependant dans le Second Tour de Roue, en exposant les idées fausses subtiles à travers lesquelles nous percevons la réalité, il en a parlé principalement en des termes où cette fois, les choses n’existent pas.

Le Bouddha ne souhaitait pas mettre ses disciples dans un état de confusion, mais il a bien vu l’apparente contradiction entre ces deux approches, l’une mettant l’accent sur l’existence et l’autre sur la non-existence, qui pourrait causer certaines difficultés dans le futur. Afin d’éviter une confusion possible, il a institué les enseignements du Troisième Tour de la Roue du Dharma.

Lorsque le Bouddha lui-même proposait ses enseignements, et même ceux très subtils du Deuxième Tour de la Roue, il n’avait pas à se soucier si ses disciples allaient comprendre ou pas ce qu’il voulait dire. Il connaissait la capacité mentale de son auditoire, et était en mesure de parler directement au cœur de chacun. Mais il était concerné par le fait que ses disciples de moindre capacité et ceux qui allaient venir dans le futur, pourraient être en proie à la confusion. « Pourquoi le Bouddha à propos de la même question, avait-il dit certaines fois, « oui » et d’autres fois « non » ? Ses disciples auraient pu se poser la question. Pour leur salut, il a donc apporté d’autres clarifications supplémentaires.

L’une des caractéristiques majeures de tous les enseignements du Bouddha, est qu’ils sont dessinés de manière à satisfaire les besoins et les aptitudes de chaque individu. Nous avons tous différents intérêts, problèmes et chemins de vie, aucune méthode d’instruction ne peut donc être utilisable par tous. Le Bouddha lui-même a expliqué qu’afin de toucher un disciple particulier avec un « background », une histoire de vie particulière, il enseignerait une doctrine particulière. Et donc parfois dans certaines circonstances en réponse à la même question, il lui sera nécessaire de répondre « oui » et à d’autres, il lui sera plus approprié de dire « non ».

Le Bouddhisme est flexible et n’a aucune qualité rigide, dogmatique. C’est pourquoi j’ai souvent le sentiment qu’il est plus un système psychologique qu’une religion. Je ne veux pas dire par là que le Bouddhisme n’a aucun aspect religieux. Je veux plutôt dire que le Bouddhisme demande une inspection intelligente de ses enseignements plutôt qu’une acceptation aveugle. Cette emphase sur l’expérimentation personnelle et l’investigation le rendent unique parmi les systèmes religieux de pensée.

Si nous ne jetons pas un regard raisonné, introspectif sur ces enseignements, plusieurs dangers peuvent apparaître. D’un côté, les contradictions apparentes entre ce que le Bouddha a pu enseigner à différents moments de sa vie publique, peuvent remettre en question la valeur de ses instructions. A travers une vision limitée incapable de voir la singularité du but derrière cette apparente antinomie, nous pourrions trouver dans ces enseignements, une source de confusion plutôt que de connaissance intime. En conséquence, nous pourrions les rejeter d’un bloc. D’un autre côté, si nous adoptons une attitude très pieuse, sans questionnement, acceptant la valeur nominale de ce que le Bouddha a pu enseigner simplement parce qu’il l’a dit, tôt ou tard nous allons souffrir de graves désillusions. Quelqu’un alors questionnera un jour nos croyances et comme elles ne seront basées sur rien d’autre qu’une foi aveugle, nos convictions s’effondreront.

Selon le Bouddhisme du Mahayana, il existe deux catégories d’enseignements du Bouddha : les définitifs et les interprétatifs. Les enseignements définitifs ont trait à la nature absolue de la réalité, et les enseignements interprétatifs aux réalités conventionnelles qui donc doivent être interprétés convenablement avant de pouvoir être compris. A cause de ces deux divisions, nous ne devrions jamais accepter littéralement et sans questionnement tout mot du Bouddha entendu ou lu. Une telle attitude non critique à propos d’un sujet aussi important que le développement spirituel, est très dangereux et manquerait complètement de sagesse.

Pour toutes ces raisons, dans le troisième Tour de Roue, le Bouddha a donné des indications afin de concilier les deux premiers Tours de Roue. Il a expliqué à l’intention de ceux et celles qui sans cela auraient pu mal l’interpréter, la façon dont certaines choses doivent être dites afin d’exister ou de ne pas exister. Ces indications montrent combien il est important de regarder au delà des simples mots afin de trouver la véritable signification de ses enseignements.

Quelque soit le moment de ces enseignements, le Bouddha a souligné l’importance de l’investigation personnelle par chacun(ne) de ses mots et de leurs significations. Il conviendra donc de les adopter seulement lorsque vous serez convaincus qu’ils sont opérants et peuvent être appliqués à votre propre vie. Si ils ne sont pas pour vous convaincants, mettez les de côté. Le Bouddha a comparé ce procédé de mise à l’épreuve de la véracité de ses enseignement avec les tests de l’or. De même qu’il n’est pas question de payer un prix élevé pour ce qui est supposé être de l’or, nous avons la responsabilité d’examiner ses enseignements par nous-mêmes afin de voir si ils sont raisonnables et dignes d’intérêt.

Bien qu’il soit de tradition de diviser les enseignements du Bouddha en ces trois Tours de Roue du Dharma, nous ne devons pas penser qu’il n’a enseigné que cela. En plus d’un vaste corpus de discours expliquant le chemin gradué vers l’ Éveil, il a enseigné le chemin lumineux du tantra capable d’apporter une discipline permettant une perfection ultime réalisée en une seule vie.

Il n’existe pas une seule chose que le Bouddha ait pu faire durant sa présence sur cette terre jusqu’à sa mort, qui n’ait été faite afin de délivrer toutes les créatures vivantes de leurs souffrances mentales et physiques. Ses discours formels n’étaient qu’une partie de ses enseignements complets et détaillés. Et sa façon de vivre a constitué également un exemple pour les autres. Et puisque tout ce qu’il a dit, pensé et fait, provenait de sa parfaite sagesse, tous ses actions étaient d’ordre transcendantal, capables d’apporter la paix ultime et la tranquillité à ceux et celles susceptibles de prendre ses enseignements à cœur.


Par Lama Thubten Yeshe

Cet enseignement est extrait du site
www.buddhaline.net

[1] : Réimprimé pour le programme A LA DÉCOUVERTE DU BOUDDHISME avec l’autorisation des Lama Yeshe Wisdom Archives.Traduction de Jean-Marie Leduc




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